La guerre et la paix在线阅读

La guerre et la paix

Txt下载

移动设备扫码阅读

IV

Ce qui parfois ne laissait pas de causer du souci à Nicolas, c'était son emportement et son habitude de hussard d'avoir la main leste. Dans les premiers temps de son mariage, il n'y avait rien vu de répréhensible, mais, la seconde année, un certain incident le fit subitement changer de manière de voir à ce sujet. Il avait fait venir un jour le successeur du défunt Drône, le staroste de Bogoutcharovo, qui était accusé de malversations. Nicolas le reçut sur le perron, et, aux premiers mots du prévenu, lui répondit par une grêle d'injures et de coups. Rentrant un moment après pour déjeuner, il s'approcha de sa femme, qui travaillait, la tête inclinée sur son métier, et lui raconta, comme de coutume, tout ce qu'il avait fait dans la matinée, et entre autres l'affaire du staroste.

La comtesse Marie, rougissant et pâlissant tour à tour, ne releva pas la tête et garda le silence.

—Mais pourquoi ne t'en vas-tu pas, lui répondait-elle pour le consoler, lorsque tu ne te sens plus la force de te maîtriser?»

—Lequel? demanda la comtesse Marie, étonnée.

—Celui-ci: «On donnera à celui qui est riche, mais pour celui qui est pauvre, on lui ôtera même ce qu'il a.» Elle est celle qui est pauvre, et à laquelle on a tout ôté. Pourquoi? Je n'en sais rien: peut-être parce qu'elle n'a pas l'ombre d'égoïsme.... Mais le fait est qu'on lui a tout pris.... Elle me fait, te l'avouerai-je, une peine terrible. J'ai vivement désiré jadis lui voir épouser Nicolas, et cependant je pressentais que cela n'aurait jamais lieu. Elle est la «fleur stérile» de l'Écriture, mais parfois il me semble qu'elle ne sent pas comme nous deux nous aurions senti.»

—Ce matin, Marie, et que cette bague brisée me rappelle à l'avenir la parole que je viens de te donner!»

«Tu dois sûrement me mépriser, Marie? disait-il.

«Te souviens-tu, lui dit celle-ci, d'un certain passage de l'Évangile qui se rapporte si complètement à la position de Sonia?

«Quel impudent coquin! s'écria-t-il en s'échauffant à ce souvenir, s'il avait au moins avoué qu'il était ivre, mais.... Qu'as-tu donc, Marie?»

«Quand as-tu brisé ton camée? lui dit-elle pour changer de sujet de conversation, en examinant une bague qu'il portait toujours au doigt et qui représentait la tête de Laocoon.

«Nicolas, j'ai tout vu.... Il est coupable, je le sais.... Mais pourquoi l'as-tu...?» Et elle se voila la figure de ses mains.

«Marie, lui dit-il tout doucement, cela n'arrivera plus, je te le jure.... Jamais!» reprit-il d'une voix émue, comme un enfant qui demande pardon.

Nicolas ne répondit rien, rougit fortement, et s'éloigna d'elle en faisant quelques pas dans la chambre. Il devinait la cause de ses larmes, mais, ne trouvant rien de blâmable dans une habitude qui remontait pour lui à tant d'années, il lui donna tort, et se dit: «Ce sont des petites faiblesses de femme... ou plutôt n'aurait-elle pas vraiment raison?» Dans son irrésolution, il jeta un regard sur ce visage aimé qui souffrait pour lui, et comprit qu'elle avait dit juste, et qu'il était coupable envers lui-même.

Les larmes jaillirent plus abondantes des yeux de la comtesse. Elle saisit la main de son mari et la porta à ses lèvres.

Depuis lors, quand il sentait la colère le gagner et ses poings se fermer, il tournait rapidement sa bague et baissait les yeux devant celui à qui il avait affaire. Cependant il lui arrivait, de temps à autre, de s'oublier, et alors, en s'en confessant à sa femme, il lui renouvelait sa promesse.

Dans la noblesse du gouvernement, Nicolas était estimé, mais pas aimé; les intérêts de la noblesse l'occupaient peu: aussi passait-il pour fier aux yeux des uns, ou pour peu intelligent aux yeux des autres. Tant que durait l'été, il consacrait tout son temps à l'administration de ses biens. Quand venait l'automne, il chassait du matin au soir, et passait régulièrement l'hiver à inspecter les villages éloignés et surtout à lire des livres d'histoire, dont il achetait chaque année une certaine quantité. Il se composait de la sorte une bibliothèque sérieuse, et se posait comme règle de lire d'un bout à l'autre tout ce qu'il achetait. Ce fut d'abord une tâche ennuyeuse à remplir, mais qui devint peu à peu pour lui une occupation habituelle, à laquelle il finit par prendre un vif intérêt. Comme il restait l'hiver presque toujours à la maison, il entrait dans les moindres détails de la vie de famille, et, son union avec sa femme devenant de plus en plus intime, il découvrait tous les jours en elle, de nouveaux trésors de tendresse et d'intelligence. Avant leur mariage, Nicolas, s'accusant lui-même et rendant justice à la conduite de Sonia, avait tout raconté à la princesse Marie, en la priant d'être bonne et affectueuse pour sa cousine. La femme comprit la faute de son mari, s'imagina que sa fortune avait influencé son choix, se sentit mal à l'aise devant Sonia et, ne pouvant rien lui reprocher, fit tout son possible pour l'aimer; mais elle ne put y parvenir, et parfois elle se sentait animée de mauvais sentiments à son égard. Elle en fit un jour la confession à Natacha, en se reprochant son injustice.

Celle-ci leva les yeux sur lui, essaya en vain de dire un mot et baissa de nouveau la tête.... «Qu'as-tu, mon amie?» Les pleurs embellissaient toujours la comtesse Marie, car, ne pleurant jamais que de chagrin ou de pitié, et non de colère ou de souffrance physique, ses yeux lumineux et profonds avaient alors un charme irrésistible. À cette question de son mari, elle fondit en larmes.

Bien que la comtesse Marie objectât à Natacha que ces paroles de l'Évangile avaient une autre signification, elle ne pouvait s'empêcher, en regardant Sonia, de donner raison à sa belle-sœur. Sonia semblait effectivement se résigner à son sort de «fleur stérile», et ne pas se rendre compte de tout ce qu'il y avait de pénible dans sa situation. On aurait dit qu'elle s'était attachée au groupe de la famille plus qu'aux individus, et qu'elle tenait au foyer comme le chat du logis.

Elle soignait la comtesse, caressait les enfants, et se montrait toujours prête à rendre tous les services imaginables, ce qu'on acceptait, il faut bien le dire, comme une chose toute naturelle, et sans grande reconnaissance. La propriété de Lissy-Gory avait été réparée, mais n'était plus tenue sur le même pied que du vivant du vieux prince. Les nouvelles constructions, faites du temps où l'argent manquait encore, étaient des plus simples: bâtie en bois sur les anciens fondements de pierre, la maison d'habitation était d'ailleurs vaste et spacieuse; ses planchers peints, et son modeste mobilier, avec ses divans mal rembourrés, ses fauteuils, ses chaises, et ses tables en bois de bouleau, étaient l'ouvrage des menuisiers indigènes. Les chambres d'amis n'y manquaient pas: aussi toute la parenté des Rostow et des Bolkonsky s'y réunissait-elle souvent. Ils y passaient des mois entiers avec leur famille et leurs nombreux domestiques, et, les jours de naissance et de nom des propriétaires, une centaine d'invités y faisaient leur apparition pour un ou deux jours. Le reste de l'année, la vie calme et régulière de tous les jours s'écoulait doucement au milieu des occupations habituelles, entrecoupées de déjeuners, de dîners et de soupers, dont les produits de Lissy-Gory faisaient tous les frais.

0.26%
IV