La guerre et la paix在线阅读

La guerre et la paix

Txt下载

移动设备扫码阅读

XIX

Pierre fut longtemps avant de s'endormir. Marchant à grands pas dans sa chambre d'un air soucieux, tantôt il haussait les épaules, tantôt il tressaillait, et ses lèvres s'entr'ouvraient comme pour murmurer un aveu. Lorsque six heures du matin sonnèrent, il pensait toujours au prince André, à Natacha, à leur amour, qui le rendait jaloux encore aujourd'hui. Il se coucha heureux et ému, et décidé à faire tout ce qui lui serait humainement possible pour l'épouser.

Il avait fixé son départ pour Pétersbourg au vendredi suivant, et le lendemain Savélitch vint lui demander ses ordres au sujet du voyage.

—Vous avez raison, répondit la princesse Marie, de penser que l'heure serait mal choisie de lui parler de votre...» Elle s'arrêta en réfléchissant que la métamorphose qui s'était opérée chez Natacha rendait son objection invraisemblable, et elle comprit qu'elle ne serait pas offensée de recevoir l'aveu de cet amour, et qu'au fond de son cœur elle le désirait; mais, n'obéissant pas à ce premier mouvement, elle répéta:

—Quoi? dit Pierre d'une voix haletante en l'interrogeant des yeux.

—Quels sont vos ordres, Excellence? partirez-vous demain?

—Qu'en ferais-je, Excellence? Nous avons vécu du temps du vieux comte, le bon Dieu ait son âme!... et maintenant nous vivons auprès de vous, sans avoir à nous plaindre.

—Oui, je le crois. Écrivez à ses parents. Quant à moi, je lui en parlerai lorsqu'il en sera temps. Je le désire, et mon cœur me dit que cela sera.

—Non, je ne pars pas, répondit Pierre vivement.... Du reste oui, peut-être.... En tout cas, je passerai demain vous demander vos commissions.» Et il se tenait debout, très embarrassé.

—Non, dans quelques jours, je t'en préviendrai. Pardonne-moi tout l'embarras que je te donne. C'est étrange, se dit-il, qu'il n'ait pas deviné que je n'ai rien à faire à Pétersbourg, et qu'avant tout il faut que «cela» se décide. Je suis sûr, du reste, qu'il le sait et qu'il fait semblant de l'ignorer.... Lui en parlerai-je? Non, ce sera pour une autre fois.»

—Je sais qu'elle vous aime..., qu'elle vous aimera!» Elle avait à peine prononcé ces paroles, que Pierre se leva, lui saisit la main et la serra avec force.

—Je l'ai vue une fois, et l'on parlait de son mariage avec le jeune Rostow; c'eût été très bien pour eux, puisqu'ils sont ruinés.

—Faites votre voyage à Pétersbourg, cela vaudra mieux, et je vous promets de vous écrire.

—Et tes enfants?

—Et mes enfants feront comme moi, Excellence; avec des maîtres comme vous, on n'a rien à craindre.

—Eh bien, et mes héritiers? demanda Pierre. Si je me mariais, par exemple? Cela peut arriver, n'est-ce pas? ajouta-t-il avec un sourire involontaire.

—Décidément, se dit Pierre, elle ne me comprend pas, ou elle ne veut pas me comprendre... il vaut mieux ne lui rien dire.»

—Comme il traite cela légèrement, se dit Pierre. Il ne sait pas combien c'est grave et effrayant.... C'est ou trop tôt ou trop tard!

—Ce serait très bien, si j'ose le dire à Votre Excellence.

—Ce serait trop de bonheur, trop de bonheur! répondit Pierre en baisant les mains de la princesse Marie.

—Ce n'est pas de la princesse Marie que je vous parle, mais de Natacha.

—Aller à Pétersbourg maintenant? Soit, je vous obéirai. Mais demain, puis-je encore venir vous voir?»

—Ah oui! je connais son histoire, c'est fort triste.

À déjeuner, Pierre raconta à sa cousine qu'il avait été la veille chez la princesse Marie, et qu'à sa grande surprise il y avait vu Natacha Rostow. La princesse Catherine parut trouver la chose toute simple.

«Vous le croyez, dites, vous le croyez?

«Lui parler à présent est impossible. Fiez-vous à moi, je sais...

«La connaissez-vous? lui demanda Pierre.

«J'ai à vous faire une confidence, dit-il avec une émotion contenue, venez à mon aide, princesse, que dois-je faire, que puis-je espérer? Je sais, je sais parfaitement que je ne la vaux pas, et que l'heure est mal choisie pour lui parler. Mais ne pourrais-je être son frère?... Non, non, ajouta-t-il vivement, je ne le veux, ni ne le puis.... J'ignore, reprit-il après un moment de silence et en s'efforçant de parler avec suite, j'ignore depuis quand je l'aime, mais je n'ai jamais aimé qu'elle, et je ne puis me représenter l'existence sans elle. Sans doute, il est difficile de lui demander à présent sa main, mais la pensée qu'elle pourrait me l'accorder et que j'en laisserais échapper l'occasion est horrible pour moi. Dites, chère princesse, puis-je espérer?

«Comment? Je vais à Pétersbourg? Pourquoi à Pétersbourg? se demanda-t-il tout surpris. Ah oui! c'est vrai, je l'avais décidé il y a longtemps déjà, avant que «cela» fût arrivé; au fait, j'irai peut-être.... Quelle bonne figure que celle du vieux Savélitch! se dit-il en le regardant.... Eh bien, Savélitch, tu ne veux donc pas de ta liberté?

«Au revoir, comte, lui dit-elle tout haut.... Je vous attendrai avec impatience,» ajouta-t-elle tout bas.

«Ainsi donc, vous partez demain pour Pétersbourg?

«Ah! le voilà revenu, voyons un peu ce qu'il va en advenir!»

Pierre dîna chez la princesse et y aurait passé toute la soirée, si ces dames n'étaient allées aux vêpres, où il les accompagna.

Natacha était moins animée que les jours précédents, mais lui, en la regardant, ne sentait qu'une impression: celle du bonheur dont il était pénétré et qui augmentait d'intensité à chacune de ses paroles, au moindre mouvement qu'elle faisait. Lorsque la main fine et maigre de Natacha se posa dans la sienne au moment des adieux, il la garda involontairement quelques secondes. «Cette main, ce visage, ce trésor de séductions, sera-t-il véritablement à moi, toujours à moi?»

Natacha lui tendit la main et sortit. Alors la princesse Marie, au lieu de la suivre, se laissa tomber dans un fauteuil, et, fixant sur lui son regard lumineux, l'observa avec une profonde attention. La fatigue dont elle s'était plainte s'était subitement évanouie, et l'on voyait qu'elle se préparait à avoir avec lui un long tête-à-tête.

Le lendemain, il revint de nouveau, et resta si tard, que, malgré le plaisir qu'elles éprouvaient à le voir et malgré l'intérêt absorbant qui l'attachait à leurs côtés, la conversation s'épuisa et finit par tomber sur les sujets les plus insignifiants. Pierre n'avait cependant pas le courage de s'en aller, bien qu'il sentît qu'elles attendaient son départ avec impatience. La princesse Marie, ne prévoyant pas de terme à cette situation, se leva la première, et lui fit ses adieux, sous prétexte d'une migraine.

L'embarras et le malaise de Pierre disparurent comme par enchantement à la sortie de Natacha. Avançant brusquement un fauteuil, il s'assit à côté de la princesse Marie.

Il alla dîner chez la princesse Marie. En parcourant les rues, où se voyaient encore les restes des maisons incendiées, il ne put s'empêcher de les admirer. Les hautes cheminées qui s'élançaient du milieu des décombres lui rappelaient les ruines poétiques des bords du Rhin et du Colysée. Les isvostchiks et les cavaliers, les charpentiers qui équarrissaient leurs poutres, les marchands, les boutiquiers, tous ceux qui le rencontraient, semblaient le regarder avec des visages rayonnants et se dire:

Et Pierre revint le lendemain pour prendre congé.

En arrivant chez la princesse Marie, il lui sembla qu'il avait été le jouet d'un songe, qu'il avait vu Natacha en rêve; mais, à peine fut-il entré, qu'il sentit, à la vibration de tout son être, l'influence de sa présence. Vêtue de noir, comme la veille, et coiffée de même, sa physionomie était pourtant tout autre et il l'aurait infailliblement reconnue la première fois si alors il l'avait vue ainsi: elle avait sa figure d'enfant, sa figure de fiancée. Ses yeux brillaient d'un éclat interrogateur, et une expression mutine et singulièrement affectueuse se jouait sur ses lèvres.

Ces simples paroles, l'expression de physionomie qui les avait accompagnées, furent pour Pierre, pendant les deux mois de son absence, une source inépuisable de souvenirs et d'ineffables rêveries. «Elle m'a dit qu'elle m'attendrait avec impatience.» Et il se répétait à toute heure du jour: «Quel bonheur! quel bonheur!»

0.29%
XIX