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La guerre et la paix

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XVI

À la fin de janvier, Pierre arriva à Moscou et s'établit dans une aile de sa maison, qui était restée intacte. Comptant repartir le surlendemain pour Pétersbourg, il alla voir le comte Rostoptchine et quelques-unes de ses anciennes connaissances, qui toutes, dans la jubilation de la victoire définitivement remportée, le reçurent avec joie, et le questionnèrent sur ce qu'il avait vu. Bien qu'on lui témoignât beaucoup de sympathie, il se tenait sur la réserve, et se bornait à répondre vaguement aux questions qu'on lui adressait sur ses projets d'avenir. Il apprit entre autres que les Rostow étaient à Kostroma, mais le souvenir de Natacha n'était plus pour lui qu'une agréable réminiscence d'un passé déjà bien éloigné. Heureux de se sentir indépendant de toutes les obligations de la vie, il l'était aussi de se sentir dégagé de cette influence à laquelle il s'était cependant soumis de son plein gré.

Les Droubetzkoï lui ayant annoncé l'arrivée de la princesse Marie à Moscou, il s'y rendit le même soir. Chemin faisant, il ne cessa de penser au prince André, à ses souffrances, à sa mort, à leur amitié, et surtout à leur dernière rencontre, la veille de Borodino.

—La nouvelle de votre délivrance m'a fait bien plaisir, c'est la seule joie que nous ayons eue depuis longtemps.—Et de nouveau elle jeta un regard inquiet à sa compagne.

—Figurez-vous que je n'ai rien su de lui, dit Pierre... je le croyais tué, et ce que j'ai appris m'est parvenu indirectement par des tiers. Je sais qu'il a rencontré les Rostow.... Quelle étrange coïncidence!»

—En ce cas, veuillez entrer dans le salon des portraits.»

«Vous ne la connaissez donc pas?» dit-elle.

«Est-il mort irrité, comme je l'ai vu alors, se disait-il, ou bien l'énigme de la vie ne s'est-elle pas dévoilée à lui au moment de sa mort?»

«Annonce-moi, elle me recevra peut-être.

Quelques instants après, le valet de chambre revint, accompagné de Dessalles, chargé par la princesse de dire à Pierre qu'elle serait très heureuse de le voir et qu'elle le priait de monter chez elle.

Pierre était grave et triste en entrant dans la maison Bolkonsky, laquelle, tout en conservant son caractère habituel, portait encore quelques traces de délabrement. Un vieux valet de chambre, au visage sévère, comme pour donner à comprendre que la mort du prince n'avait rien changé aux règles établies, lui dit que la princesse venait de se retirer dans son appartement, et qu'elle ne recevait que le dimanche.

Pierre parlait avec vivacité. Il jeta à son tour les yeux sur l'étrangère, et, voyant son regard de curiosité affectueuse, il comprit instinctivement qu'il devait y avoir dans cette dame en grand deuil un être bon et charmant, qui ne gênerait en rien ses épanchements avec la princesse Marie. Celle-ci ne put s'empêcher de laisser percer un grand embarras lorsqu'il fit allusion aux Rostow, et son regard alla de nouveau de Pierre à la dame en noir.

Pierre examina plus attentivement le pâle et fin visage, la bouche étrangement contractée et les grands yeux noirs de l'inconnue, où tout à coup il retrouva ce rayonnement intime, si doux à son cœur, dont il était depuis si longtemps privé. «Non, c'est impossible, se dit-il. Serait-ce elle, cette figure pâle, maigre, vieillie, avec cette expression austère... c'est sans doute une hallucination!» À ce moment la princesse Marie prononça le nom de Natacha, et le pâle et fin visage aux yeux tristes et recueillis fit un mouvement, comme une porte rouillée qui cède à une pression du dehors. La bouche sourit, et il s'échappa de ce sourire un effluve de bonheur qui enveloppa Pierre et le pénétra tout entier. Plus de doute possible devant ce sourire: c'était Natacha, et il l'aimait plus que jamais!

La violence de son impression fut telle, qu'elle révéla à Natacha, à la princesse Marie, et surtout à lui-même, l'existence d'un amour qu'il avait encore de la peine à s'avouer. Son émotion était mêlée de joie et de douleur, et plus il cherchait à la dissimuler, plus elle s'accentuait, sans le secours de paroles précises, par une rougeur indiscrète: «C'est seulement de la surprise,» se dit Pierre; mais, quand il voulut renouer la conversation, il regarda encore une fois Natacha, et son cœur se remplit de bonheur et de crainte. Il s'embrouilla dans sa réponse, et s'arrêta court. Ce n'était pas seulement parce qu'elle était pâlie et amaigrie, qu'il ne l'avait pas reconnue, mais parce que dans ses yeux, où brillait jadis le feu de la vie, il n'y avait plus que sympathie, bonté et inquiète tristesse.

Il pensa à Karataïew, et établit une comparaison involontaire entre ces deux hommes si différents l'un de l'autre, et pourtant si rapprochés par l'affection qu'il avait eue pour tous les deux.

Il la trouva, à l'étage supérieur, dans une petite chambre basse éclairée d'une seule bougie, et habillée de noir. Une autre personne, également en deuil, était auprès d'elle. Pierre supposa au premier abord que c'était une de ces demoiselles de compagnie dont il savait que la princesse aimait à s'entourer, et auxquelles il n'avait jamais fait attention. La princesse se leva vivement, et lui tendit la main. «Oui, lui dit-elle quand il la lui eut baisée, et en remarquant le changement de sa figure, voilà comme on se rencontre. «Il» a beaucoup parlé de vous les derniers temps, —et elle reporta ses yeux sur la dame en noir avec une hésitation qui n'échappa pas à Pierre.

La confusion de Pierre n'eut pas d'écho chez Natacha, et une douce satisfaction éclaira seule son visage.

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