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La guerre et la paix

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L'armée française continuait à fondre dans une progression égale et mathématique, et le passage de la Bérésina, sur lequel on a tant écrit, n'a été qu'un incident de sa destruction, et nullement l'épisode décisif de la campagne. Si l'on en a fait tant de bruit du côté des Français, c'est que tous les malheurs, tous les désastres échelonnés le long de leur route, se réunirent ensemble en un sinistre pour les accabler sur ce pont écroulé, et laisser ensuite dans l'esprit de chacun un ineffaçable souvenir. Si, du côté des Russes, il a eu un égal retentissement, c'est que, loin du théâtre de la guerre, à Pétersbourg, Pfühl avait composé un plan, destiné à faire tomber Napoléon dans un piège stratégique qu'il lui tendait ex professo sur les bords de la Bérésina. Convaincu que tout se passerait conformément à la combinaison adoptée, on soutenait que la Bérésina avait été la perte des Français, quand au contraire les conséquences de ce passage furent moins fatales aux Français que Krasnoé, comme le prouve le chiffre des prisonniers et des canons qui leur furent enlevés dans cette rencontre.

Plus la fuite des Français s'accélérait, plus étaient misérables les derniers débris de leur armée, surtout après la Bérésina, et plus s'éveillaient d'un autre côté les passions des généraux russes, qui ne se ménageaient pas les reproches et en accablaient surtout Koutouzow. Supposant que l'insuccès du plan de Pétersbourg lui serait attribué, on ne lui épargnait ni le mécontentement, ni le dédain et les railleries, déguisées, il est vrai, sous des formes respectueuses, qui le mettaient dans l'impossibilité de relever l'accusation. Tout son entourage, incapable de le comprendre, déclarait ouvertement qu'avec ce vieillard entêté il n'y avait pas de discussion possible; que jamais il ne serait à la hauteur de leurs vues, et qu'il se bornerait toujours à leur répondre par son éternelle phrase: «Il faut faire un pont d'or aux Français.» S'il leur disait qu'il fallait attendre les vivres, que les soldats n'avaient pas de bottes, ces réponses si simples à leurs savantes combinaisons étaient pour eux une nouvelle preuve que c'était un vieil imbécile, tandis qu'eux, les généraux intelligents et habiles, n'avaient aucun pouvoir.

À la suite de l'éloignement de Bennigsen, le grand-duc Constantin, qui avait fait le commencement de la campagne et qui avait été mis de côté par Koutouzow, revint à l'armée, fit part au commandant en chef du déplaisir que causaient à l'Empereur la faiblesse de nos succès et la lenteur de nos mouvements, et lui annonça la prochaine arrivée de Sa Majesté.

«Je prie Votre Haute Excellence, au reçu de cette lettre, de vous retirer à Kalouga à cause de l'état précaire de votre santé, et d'y attendre les ordres ultérieurs de Sa Majesté Impériale.»

«C'est sans doute pour me dire que je n'ai pas sur quoi manger.... J'ai au contraire tout ce qu'il faut pour vous, même dans le cas où vous voudriez donner des dîners,» répliqua vivement Tchitchagow, qui tenait à faire montre, dans chaque parole, de son importance personnelle, et supposait à Koutouzow la même préoccupation.

«Ah! ce n'est que pour vous dire ce que je vous dis, et rien de plus.»

Tchitchagow était le plus acharné projeteur de diversions militaires; c'était lui qui avait proposé d'en faire une en Grèce et l'autre à Varsovie; il refusait toujours de se rendre où on l'envoyait. Tchitchagow regardait Koutouzow comme son obligé, parce qu'ayant reçu en 1811 la mission de conclure la paix avec la Turquie en dehors de ce dernier, et ayant appris qu'elle était déjà signée, il avait dit à l'Empereur que tout l'honneur en revenait à Koutouzow, fut le premier à venir à sa rencontre, à l'entrée du château de Vilna, en petite tenue de marin, l'épée au côté, la casquette sous le bras, et lui remit le rapport de l'état des troupes et les clefs de la ville. La déférence semi-méprisante que la jeunesse témoignait à ce vieillard, qu'elle regardait comme tombé en enfance, perçait à tout propos avec une brutale franchise, dans la conduite de Tchitchagow, qui connaissait déjà les accusations portées contre Koutouzow. Ce dernier lui ayant dit que les fourgons qui contenaient sa vaisselle de table et qui lui avaient été enlevés à Borissow lui seraient rendus intacts:

Le 29 novembre, il entra à Vilna, «Son cher Vilna», comme il l'appelait. Il y était venu déjà deux fois comme gouverneur; il trouva donc, en dehors des aises de la vie que lui offrait cette ville, heureusement préservée des horreurs de la guerre, de vieux amis et de bons souvenirs. Rejetant loin de lui tout souci gouvernemental et militaire, il se mit à vivre d'une existence régulière et tranquille, autant que le lui permettaient toutefois les intrigues qui s'ourdissaient autour de lui, comme si tout ce qui allait se passer d'événements importants lui était devenu complètement indifférent.

Koutouzow, chez qui l'expérience du courtisan était au moins égale à celle du militaire, comprit aussitôt que son rôle était fini, et que le semblant de pouvoir dont on l'avait revêtu lui était retiré. C'était facile à comprendre. D'un côté, la campagne dont on lui avait confié la direction était terminée, et par conséquent il avait rempli son mandat; et, de l'autre, il éprouvait une fatigue physique qui exigeait, pour son corps brisé par l'âge, un repos absolu.

Ces dissentiments et ces dispositions malveillantes de l'état-major arrivèrent aux dernières limites après la jonction de l'armée de Koutouzow avec celle de Wittgenstein, le brillant amiral et le héros de Pétersbourg. Une seule fois, après la Bérésina, Koutouzow prit de l'humeur, et écrivit à Bennigsen, qui envoyait des rapports particuliers à l'Empereur, les lignes suivantes:

Celui-ci, avec un sourire fin et pénétrant, lui répondit simplement:

Le commandant en chef arrêta la plus grande partie des troupes à Vilna, contre la volonté de l'Empereur. Après quelque temps de séjour, son entourage déclara qu'il avait complètement baissé. S'occupant fort peu de l'administration militaire, il laissait ses généraux agir à leur guise, et menait une vie de plaisirs, en attendant l'arrivée du Souverain.

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