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La guerre et la paix

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IX

La cinquième compagnie bivouaquait sur la lisière même de la forêt, et un énorme feu éclairait vivement, au milieu de la neige, les branches d'arbres ployant sous le givre, lorsque, au milieu de la nuit, on entendit dans le bois des pas qui faisaient craquer les branches sèches.

«Mes enfants, ce sont les sorcières!» dit un soldat.

—Vive harica, vive cerouvalla! sidiablaka... répétait à son tour le soldat qui avait saisi le refrain.

—Vive Henri IV, Vive ce roi vaillant! Ce diable à quatre..., chantait Morel.

—Oh! comme le ciel est étoilé, c'est signe de gelée, quel malheur!...»

—Kiou kiou... le tripetala déboi, déba et dettra vargala, chanta-t-il, criant à pleins poumons et avançant ses lèvres avec effort.

—Cela sonne bien tout de même. Voyons, Zaletaiew, répète.

—C'est ça, c'est ça!... c'est du français, n'est-ce pas?... Donne-lui de la «cacha», il lui en faudra pas mal pour en manger à sa faim.» Et Morel engloutit sa troisième écuelle.

—Bravo! bravo!» s'écrièrent quelques voix, au milieu d'un franc éclat de rire.

«Voyons, voyons, que je l'apprenne.... Comment est-ce? J'attraperai l'air, bien sûr? disait le soldat chanteur que Morel serrait contre lui avec tendresse.

«Oh! mes braves, mes bons, mes bons amis!... Voilà des hommes!»

«C'est aussi des hommes pourtant, dit l'un d'eux en s'enveloppant de sa capote, et l'absinthe aussi a ses racines.»

Tous relevèrent la tête et écoutèrent. Deux figures humaines, d'une tournure étrange, furent soudain éclairées par la flamme au moment où elles sortirent du taillis: c'étaient deux Français qui se cachaient dans la forêt. Prononçant des paroles inintelligibles pour les soldats, ils se dirigèrent vers eux. L'un, coiffé d'un shako d'officier, paraissait très affaibli, et, se laissa tomber plutôt qu'il ne s'assit auprès du feu; son compagnon, plus petit, trapu, les joues bandées d'un mouchoir, était évidemment plus robuste. Il releva son compagnon, et, montrant sa bouche, dit quelques mots. Les soldats les entourèrent, on étendit une capote sous le malade, et on leur apporta à tous deux de la «cacha» et de l'eau-de-vie. L'officier était Ramballe avec son domestique Morel. Lorsque ce dernier eut avalé l'eau-de-vie et une grande écuelle de «cacha», une gaieté maladive s'empara de lui; il se mit à parler sans s'arrêter, tandis que son maître, refusant de rien prendre, gardait un morne silence, en regardant les soldats russes de ses yeux rouges et vagues. Un long et sourd gémissement s'échappait parfois de ses lèvres. Morel, désignant les épaules du malade, cherchait à faire comprendre que c'était un officier, et qu'il fallait le réchauffer. Un officier russe, s'étant approché d'eux, envoya demander au colonel s'il ne voudrait pas recueillir un officier français transi de froid. Le colonel donna l'ordre de le lui amener. Ramballe fut engagé à se lever; il essaya, mais, au premier mouvement qu'il fit, il vacilla, et serait infailliblement tombé, sans le secours d'un soldat qui le souleva et aida ses camarades à le transporter dans l'isba. Passant ses bras autour du cou de ses porteurs et inclinant la tête comme un enfant sur l'épaule de l'un d'eux, il ne cessait de répéter d'une voix plaintive:

Morel, resté avec les soldats, occupait la meilleure place. Ses yeux étaient rouges, enflammés et larmoyants; vêtu d'une pelisse de femme, il avait mis par-dessus son bonnet un mouchoir noué sous le menton. L'eau-de-vie l'ayant un peu grisé, il chantait d'une voix rauque et mal assurée une chanson française. Les soldats se tenaient les côtes de rire.

Morel riait avec eux en continuant...: «eut le triple talent de boire, de battre, et d'être un vert galant!

De sympathiques sourires couraient sur les visages des jeunes soldats, tandis que les vieux, trouvant au-dessous d'eux de s'occuper de ces puérilités, restaient étendus de l'autre côté du feu, en se soulevant parfois pour jeter un coup d'œil affectueux sur Morel.

Les étoiles, assurées de n'être plus dérangées par personne, scintillèrent plus vivement sur la sombre voûte; tantôt s'éteignant, tantôt s'allumant et lançant dans l'espace une gerbe de lumière, elles semblaient se communiquer mystérieusement une joyeuse nouvelle.

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