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La guerre et la paix

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III

Sonia et le vieux comte essayaient en vain de remplacer Natacha; elle était décidément la seule qui pût arrêter sa mère sur la pente d'un désespoir voisin de la folie. Pendant trois semaines elle resta constamment auprès d'elle, sommeillant à ses côtés dans un fauteuil: elle lui donnait à boire, à manger, et ne cessait de lui adresser de douces et tendres paroles.

La blessure de cette pauvre âme ne pouvait se cicatriser. La mort de Pétia avait emporté la meilleure part de sa vie. Un mois plus tard, cette femme, que la nouvelle de la mort de son fils avait trouvée portant légèrement et avec vigueur ses cinquante ans, sortit de sa chambre, vieille, à moitié morte, et ne prenant plus aucun intérêt à l'existence. Ce coup, qui l'avait terrassée, arracha au contraire sa fille à sa léthargie. Natacha avait cru que sa vie était finie lorsque son affection pour sa mère lui démontra que l'essence de son être, c'est-à-dire l'amour, était encore vivace en elle, et, l'amour une fois réveillé dans son âme, elle revint à la vie.

—Non, non, pourquoi m'as-tu emmenée?... Elle me demandera.

—Non, ma chérie, elle est au contraire beaucoup mieux aujourd'hui.»

—Mais tu es fatiguée, dors.

À dater de ce jour, elles eurent l'une pour l'autre cette amitié exaltée et passionnée qui ne se rencontre qu'entre femmes. Elles s'embrassaient à tout instant, s'adressaient de tendres paroles, et passaient ensemble la plus grande partie de leur journée. Si l'une s'en allait, l'autre s'inquiétait, et ne se rassurait que lorsqu'elle l'avait rejointe. Elles se sentaient plus en paix avec elles-mêmes, réunies que séparées; c'était un sentiment plus fort que l'amitié, et si exclusif, que la vie ne devenait possible que si l'amie était là. Parfois, elles gardaient le silence pendant de longues heures, ou bien, couchées l'une à côté de l'autre, elles bavardaient toute la nuit jusqu'au matin. Les souvenirs les plus lointains étaient leur thème favori. La princesse Marie racontait son enfance, ses rêveries, parlait de sa mère et de son père, et Natacha, qui jusque-là s'était détournée avec une indifférence hautaine de cette vie de dévouement et de soumission, dont elle ne pouvait comprendre la poétique et chrétienne abnégation, aujourd'hui ardemment attachée à la princesse Marie, s'éprit de sympathie pour son passé, et en comprit enfin le côté intime, resté si longtemps impénétrable à ses yeux. Sans doute, elle ne songeait pas à pratiquer cette abnégation absolue, car elle était habituée à chercher d'autres joies, mais elle apprécia d'autant plus vivement cette vertu, qu'elle ne la possédait pas. Quant à la princesse Marie, elle aussi, en écoutant les récits de l'enfance et de l'adolescence de Natacha, elle entrevoyait un horizon qui lui était inconnu, la foi dans la vie et dans les jouissances qu'elle apporte avec elle. De «lui» elles ne parlaient qu'à de bien rares intervalles, pour ne pas insulter (c'était leur idée) à l'élévation de leurs sentiments, mais ce silence volontaire accomplissait peu à peu, et malgré elles, l'œuvre de l'oubli.

«Mâcha, dit-elle timidement en l'attirant par la main, ne crois pas que je sois mauvaise, non, ma petite âme, je t'aime bien, je t'assure, soyons amies, complètement amies.» Et elle lui couvrit de baisers la figure et les mains.

«Je n'ai pas sommeil, Marie, reste avec moi.

Natacha, étendue sur le lit, examinait dans la demi-obscurité les traits de la princesse Marie: «Lui ressemble-t-elle? se demandait Natacha. Oui et non: elle a quelque chose de particulier, d'étrange, quelque chose qui m'est inconnu, mais elle m'aime, et son cœur est essentiellement bon... mais que pense-t-elle? Comment me juge-t-elle?»

Natacha avait singulièrement pâli, et sa faiblesse était si grande que, lorsqu'on lui parlait de sa santé, elle en éprouvait un certain plaisir; mais tout à coup, par une révolution subite, elle se sentait envahir, non pas par la crainte de la mort, mais par celle de la maladie et de la perte de sa beauté. Examinant alors son visage amaigri, elle s'étonnait du changement survenu dans ses traits, et les étudiait tristement dans son miroir. «C'était inévitable,» se disait-elle, et cependant elle en avait peur, et regrettait qu'il en fût ainsi! Un jour, ayant monté trop vite l'escalier, elle s'arrêta essoufflée, et trouva aussitôt une raison pour redescendre, puis une autre pour remonter: elle cherchait ainsi à essayer et à mesurer ses forces. Une autre fois elle appela Douniacha, et la voix lui manqua. Bien qu'elle l'entendît s'approcher, elle l'appela de nouveau, à pleins poumons, comme lorsqu'elle chantait, et elle s'écouta avec attention. Elle ne s'en doutait pas et n'aurait pu le croire possible, mais, à travers la couche épaisse de limon dont elle croyait son âme recouverte, perçaient déjà les fines et tendres pointes de l'herbe nouvelle, qui devait prendre le dessus, et faire bientôt disparaître, sous la sève de sa verdure, la douleur qui l'avait écrasée. La plaie intérieure se cicatrisait.

Les derniers jours du prince André avaient déjà lié Natacha et la princesse Marie; ce nouveau malheur les rapprocha davantage. Cette dernière avait remis son départ; elle soigna avec dévouement Natacha, dont les forces physiques avaient été soumises à une trop rude épreuve dans la chambre de sa mère, et qui était tombée malade à son tour. S'apercevant un jour qu'elle avait le frisson, la princesse Marie voulut qu'elle vînt chez elle, la coucha sur son lit, baissa les stores, et allait la quitter, lorsque Natacha la rappela.

La princesse Marie, confuse et embarrassée, répondit cependant avec joie à cet épanchement.

La princesse Marie partit pour Moscou à la fin de janvier, emmenant Natacha avec elle, car le comte insistait pour qu'elle consultât les médecins.

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