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La guerre et la paix

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II

L'aversion que chacun inspirait à Natacha était plus marquée encore envers les membres de sa famille. Son père, sa mère, Sonia, lui étaient si familiers et si proches, que leurs paroles lui paraissaient toujours sonner faux dans ce monde idéal qui l'absorbait complètement. Elle leur témoignait non seulement de l'indifférence, mais même de l'inimitié. Elle écouta la nouvelle apportée par Douniacha sans la comprendre: «De quel malheur parle-t-elle? Qu'est-ce qui peut leur être arrivé, à eux, dont les jours coulent et se succèdent avec la même tranquillité?» Voilà ce qu'elle se demandait.

Lorsqu'elle entra dans le salon, son père sortait de la chambre de la comtesse. Sa figure contractée était couverte de larmes; en apercevant sa fille, il fit un geste désespéré, et éclata en sanglots déchirants, qui bouleversaient sa bonne et placide figure:

—Maman, à qui parlez-vous?

«Pétia, Pétia!... Va! Va! Elle t'appelle!» Pleurant à chaudes larmes comme un enfant, et traînant ses jambes affaiblies, il s'affaissa sur une chaise, en couvrant sa figure de ses mains.

«Natacha, tu m'aimes? lui dit-elle tout bas d'une voix confiante.... Tu ne me tromperas pas, tu me diras la vérité?»

«Natacha, criait la comtesse, ce n'est pas vrai, n'est-ce pas, il ment?... Natacha! poursuivait-elle, en repoussant ceux qui entouraient, dis-moi que ce n'est pas vrai!»

«Mère chérie!» dit-elle en employant tout son amour filial à soulager sa mère d'une part de son terrible malheur, pendant que celle-ci, impuissante à conjurer l'horrible réalité, s'obstinait à repousser l'idée qu'elle pouvait encore vivre, lorsque son fils bien-aimé venait d'être tué à la fleur de l'âge, et elle retombait dans le monde du délire pour fuir la fatale vérité.

«Maman, ma chérie!... Je suis là, maman! murmurait-elle sans interruption, et, la prenant dans ses bras, elle luttait tendrement avec elle en la faisant entourer d'oreillers, en la forçant à boire un peu d'eau, en dégrafant sa robe.

«Je suis là, maman, je suis là!» lui disait-elle toujours, en baisant sa tête, son visage, ses mains, et aveuglée par le torrent de larmes qui coulait le long de ses joues.

«Comme te voilà grand et beau!» poursuivit la comtesse en prenant la main de sa fille...

«Comme je suis heureuse de ton retour!... Tu es fatigué?... veux-tu du thé?»

On aurait dit qu'un courant électrique enveloppait dans ce moment Natacha de la tête aux pieds, et la frappait douloureusement au cœur; elle sentit quelque chose éclater en elle, elle crut mourir, mais cette horrible angoisse fut instantanément suivie d'une sensation de délivrance. La torpeur qui pesait sur elle s'était évanouie. La vue de son père, les cris de douleur sauvage de sa mère, lui firent oublier sa propre désolation; elle courut à son père, mais celui-ci, d'un geste qui trahissait sa faiblesse, lui indiqua la porte de la chambre de la comtesse, sur le seuil de laquelle la princesse Marie venait d'apparaître, pâle et tremblante. Saisissant Natacha par la main, elle murmura quelques mots, mais celle-ci, incapable de la voir et de l'entendre, la repoussa, se précipita vers sa mère, et s'arrêta une seconde devant elle, comme si elle luttait contre elle-même. La comtesse, à moitié couchée dans un fauteuil, en proie à des mouvements nerveux qui agitaient tout son corps, se frappait la tête contre la muraille. Sonia et les femmes de chambre tenaient ses mains étroitement serrées.

Natacha s'approcha.

Natacha s'agenouilla sur le fauteuil, se pencha au-dessus de sa mère, releva sa tête affaissée, et colla sa figure contre la sienne.

Natacha n'aurait pu dire comment se passèrent cette première nuit et la journée qui suivit. Elle ne dormit pas, et ne quitta pas sa mère d'une minute. Son affection, tenace et patiente, ne cherchait ni à consoler ni à expliquer, mais enveloppait la pauvre affligée d'effluves de tendresse qui étaient comme un appel à la vie. La troisième nuit, profitant d'un moment d'assoupissement de sa mère, elle venait de fermer les yeux en appuyant sa tête sur le bras du fauteuil, lorsque, à un craquement du lit, elle les rouvrit tout à coup, et vit la malade, assise sur son séant, parlant tout bas:

Les yeux de Natacha, voilés de larmes, semblaient implorer son pardon.

La comtesse serra la main de sa fille, ferma les yeux et se calma un moment. Tout à coup, se soulevant avec un violent effort, elle promena autour d'elle un regard terne, et, apercevant sa fille, elle lui prit la tête à deux mains et la serra de toutes ses forces, puis, fixant ses yeux sur son visage, qu'elle pressait à lui faire mal, elle la regarda longtemps d'un air égaré.

—Natacha, il est mort, mort!... Je ne le verrai plus!» Alors, se jetant au cou de sa fille, elle fondit en larmes pour la première fois.

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