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La guerre et la paix

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XVII

Quand on voit les Français, pendant tout le cours de cette campagne, courir à leur perte inévitable, en ne subordonnant à aucune combinaison stratégique l'ensemble de leurs opérations ou les détails de leur marche, on ne peut se figurer que les historiens, à propos de cette retraite, reproduisent leur théorie de la mise en mouvement des masses par la volonté d'un seul. Cependant ils ont écrit des volumes pour énumérer les remarquables dispositions prises par Napoléon pour guider ses troupes, et vanter le talent militaire déployé à cette occasion par ses maréchaux. Ils ont recours aux arguments les plus spécieux, afin de nous expliquer les motifs qui l'engagèrent à choisir, pour battre en retraite, la route dévastée qu'il avait prise en marchant sur Moscou, au lieu de profiter de celle qui traversait des gouvernements abondamment approvisionnés. Ils exaltent son héroïsme au moment où, se préparant à livrer bataille à Krasnoé et à commander en personne, il dit à, son entourage: «J'ai assez fait l'Empereur, il est temps de faire le général!» Et pourtant, malgré ces nobles paroles, il fuit plus loin, abandonnant toute son armée à son malheureux sort! Ils nous dépeignent ensuite la bravoure des maréchaux, celle de Ney en particulier, qui se borne, après un détour dans la forêt, à passer de nuit le Dnièpre, et à arriver à Orcha, sans drapeaux, sans artillerie, après avoir perdu les neuf dixièmes de ses hommes! Enfin ils nous décrivent complaisamment dans tous ses détails le départ de l'Empereur, de l'Empereur laissant là sa grande et héroïque armée!

Ce fait, qui, en langue vulgaire, serait tout simplement taxé de lâcheté, et qu'on apprend aux enfants à mépriser, est représenté par les historiens comme quelque chose de grand et de marqué au coin du génie. Et quand ils sont à bout d'arguments pour justifier une action contraire à tout ce que l'humanité reconnaît de bon et de juste, ils évoquent solennellement la notion de la grandeur, comme si elle pouvait exclure la notion du bien et du mal. S'il était possible de partager leur manière de voir, il n'y aurait donc rien de mal pour celui qui est «grand», et aucune atrocité ne pourrait lui être reprochée. «C'est grand!» disent les historiens, et cela leur suffit. Le bien et le mal n'existent pas pour eux, il n'y a que «ce qui est grand et ce qui ne l'est pas», et «le grand» est pour eux la marque essentielle de certains personnages qu'ils décorent du nom de héros! Quant à Napoléon, qui s'enveloppe de sa fourrure et s'éloigne à fond de train de tous ceux qu'il a emmenés avec lui, et dont la perte est en train de se consommer, il se dit, lui aussi, en toute tranquillité, que «c'est grand!» Et parmi tous ceux qui depuis cinquante ans l'appellent: Napoléon «le Grand», il n'y en a pas un qui comprenne qu'admettre «la grandeur» en dehors des lois éternelles du bien et du mal équivaut à reconnaître son infériorité et sa petitesse morale! À notre avis, la mesure du bien et du mal, donnée par le Christ, doit s'appliquer à toutes les actions humaines, et il ne saurait y avoir de «grandeur» là où il n'y a ni simplicité, ni bonté, ni vérité!

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