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La guerre et la paix

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Les chevaux furent sellés en un tour de main, et chacun se mit en place. Denissow donna ses dernières instructions au détachement d'infanterie qui servait d'avant-garde, et qui disparut bientôt derrière les arbres, en pataugeant dans la boue, et en s'enfonçant dans le brouillard du matin. Pétia tenant son cheval par la bride, attendait impatiemment l'ordre du départ; ses ablutions du matin l'avaient singulièrement rafraîchi, mais ses yeux brillaient d'un éclat inaccoutumé, pendant que le frisson de la fièvre l'agitait de plus en plus.

«Eh bien, est-ce prêt?» demanda Denissow.

—Ne pas bouger?... Hourra!» s'écria Pétia, et, sans s'arrêter une seconde, il s'élança au plus épais de la mêlée.

«Vassili Fédorovitch, dit-il en se rapprochant de Denissow, vous me confierez un petit commandement, n'est-ce pas?»

«Tué!» s'écria ce dernier en devinant de loin, à cet abandonnement du corps qu'il connaissait si bien, que Pétia était mort.

«Prenez-les à revers et que l'infanterie ne bouge pas!

«Nous le laisserons là,» cria-t-il à Denissow, qui ne lui répondit rien.

«Le signal!»

«Je ne te demande qu'une chose, lui dit-il sévèrement: c'est de m'obéir et de ne pas te fourrer là où tu n'as que faire!...» Et pendant toute la marche il ne lui dit plus un mot.

«Hourra! mes enfants!» s'écria Pétia, et, talonnant son cheval couvert d'écume, il enfila la rue du village.

«Fini!» répéta Dologhow, comme s'il éprouvait un plaisir particulier à prononcer ce mot, et il rejoignit les prisonniers qu'entouraient les cosaques.

«Fini!» dit-il les sourcils froncés, et il alla à la rencontre de Denissow.

Une décharge fendit l'air, les balles sifflèrent, les cosaques et Dologhow entrèrent à sa suite dans la cour de la maison; au milieu des nuages de fumée, on voyait des Français jeter là leurs armes, ou se précipiter à la rencontre des cosaques, tandis que d'autres dégringolaient de la montagne vers l'étang. Pétia continuait à galoper dans la cour de la maison, mais, au lieu de tenir la bride en main, il gesticulait d'une façon étrange des deux bras à la fois, et se penchait de plus en plus d'un côté de sa selle. Son cheval, venant à se heurter contre les tisons d'un foyer à demi éteint, s'arrêta court, et Pétia tomba lourdement à terre. Ses pieds et ses mains s'agitèrent un moment, tandis que sa tête restait immobile: une balle lui avait traversé le cerveau. Un officier français sortit de la maison avec un mouchoir blanc au bout de son épée, et déclara à Dologhow qu'ils se rendaient. Celui-ci, descendant alors de cheval, s'approcha de Pétia, qui gisait sur le sol, les bras étendus.

On lui amena les chevaux, et, après avoir gourmandé son cosaque pour n'avoir pas assez serré les sangles, il se mit en selle. Pétia posa le pied sur l'étrier, tandis que son cheval tentait, comme toujours, de lui attraper la jambe, et, s'élançant sur sa monture, léger comme un oiseau, il se retourna pour voir s'ébranler la file des hussards.

Lorsqu'ils arrivèrent à la lisière du bois, la plaine commençait déjà à s'éclairer, et Denissow donna alors un ordre à l'essaoul; ses cosaques défilèrent un à un devant eux, et il descendit la montagne à leur suite. Glissant et se retenant sur leurs pieds de derrière, les chevaux avec leurs cavaliers arrivèrent bientôt dans le ravin. Pétia, dont le frisson augmentait, avançait de front avec son chef. Le jour blanchissait, et les vapeurs du brouillard dérobaient seules à la vue les objets éloignés. Rejoignant ses hommes, Denissow se tourna vers son cosaque, lui fit un signe de tête et lui dit tout bas:

Le cosaque leva la main, un coup de feu retentit, et au même instant les chevaux partirent au galop, pendant que d'autres coups de feu éclataient de tous côtés. Pétia fouetta son cheval en lui rendant la main, et s'élança en avant sans écouter Denissow qui l'appelait. Il lui avait semblé qu'au moment du signal la lumière avait paru et qu'il faisait jour comme en plein midi. Il atteignit le pont que les cosaques avaient dépassé, bouscula un traînard, et continua son galop effréné. Devant lui, des hommes, des Français, sans doute, traversaient la route de droite à gauche; l'un d'eux glissa et tomba sous les pieds de son cheval. Plus loin, un groupe de cosaques s'était arrêté devant une isba, et un cri effroyable de détresse s'en échappa. Pétia s'approcha, et ses yeux tombèrent sur la figure pâle d'un Français effaré qui serrait convulsivement le bois de la lance dirigée contre lui.

Des coups de feu s'échangeaient à quelques pas de là. Des cosaques, des hussards, des prisonniers russes déguenillés, couraient en tous sens, en criant à tue-tête. Un jeune Français, la tête découverte, se défendait à la baïonnette contre les hussards: lorsque Pétia arriva, il était déjà à terre. J'ai encore été en retard,» se dit-il en se dirigeant du côté où la fusillade était plus vive; on se battait dans la cour où Dologhow et lui étaient entrés la veille; les Français, retranchés derrière la haie et dans le fouillis de buissons du jardin, tiraient sur les cosaques massés autour de la porte cochère. Il aperçut, à travers la fumée de la poudre, la figure pâle de Dologhow, qui criait à ses hommes:

Denissow, qui avait presque oublié l'existence de Pétia, le regarda avec surprise:

De ses mains tremblantes, celui-ci avait relevé la figure, maculée de boue et de sang, du pauvre Pétia.... «Je suis habitué à manger des douceurs, c'est du raisin sec excellent, prenez-le tout».... Ces paroles lui revinrent involontairement à la mémoire, et les cosaques se regardèrent stupéfaits, en entendant des sons rauques, pareils au jappement d'un chien, qui sortaient de la poitrine oppressée de Denissow. Se retournant tout à coup, il se cramponna convulsivement à la palissade.

Parmi les prisonniers russes qui venaient d'être délivrés, se trouvait Pierre Besoukhow.

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