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La guerre et la paix

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IX

En revenant à la maison du garde, Pétia trouva Denissow qui l'attendait dans la première pièce avec une vive inquiétude, et se reprochait de l'avoir laissé aller.

«Dieu merci, s'écria-t-il, Dieu merci!... Mais que le diable t'emporte! s'écria-t-il en interrompant le récit exalté de Pétia. Grâce à toi, je n'ai pas dormi; va-t'en te coucher, nous aurons encore le temps de faire un somme.

—Vessennï. Il s'est jeté dans un coin à l'entrée de la cabane et s'est endormi de peur.»

—Pourquoi pas? On peut.»

—Non, je n'en ai pas l'habitude... À propos, vos pierres à fusil sont-elles en bon état? J'en ai apporté avec moi, si tu en as besoin, tu peux en prendre.»

—Non, Likhatchow; c'est ton nom, n'est-ce pas? Je viens de rentrer: nous sommes allés faire une visite aux Français.»

—Mais voilà, j'aiguise un sabre pour le bârine.

—Les uns dorment, les autres non.

—Je n'ai pas envie de dormir, répondit Pétia; je me connais: si je m'endors, je ne pourrai plus me réveiller, et puis, je n'ai pas l'habitude de dormir avant la bataille.»

—Il va faire bientôt jour,» ajouta le hussard, et, prenant l'écuelle, il s'éloigna en s'étirant.

—Et puis, je t'en prie, mon ami, repasse-moi un peu mon sabre, il est émou.... Pétia s'arrêta au moment où il allait dire un mensonge, car le sabre n'avait jamais été aiguisé. Peux-tu me le repasser?

—Et le gamin où est-il?

—Elle est là près de la roue.

—Eh quoi, bârine, vous ne dormez pas? dit un cosaque qui était assis près des fourgons.

—C'est vrai, murmura le cosaque.

—Bonne idée, dit l'homme, qui était un hussard.... Dis donc, n'est-il pas resté une écuelle ici chez vous?

«Qu'est-ce que tu aiguises donc là, toi? demanda le nouveau venu.

«Mais dormez donc un peu, lui dit le cosaque.

«Je te le propose parce que je suis habitué à tout faire avec exactitude, poursuivit celui-ci. Les autres font tout à la diable, ne préparent rien et le regrettent ensuite; je n'aime pas cela, moi!

«Eh bien, Karabach, mon ami, dit-il en lui passant la main sur les naseaux et en l'embrassant.... Eh bien, nous ferons de la besogne demain.

«C'est prêt, Votre Noblesse; vous pourrez maintenant fendre avec, au moins deux Français!»

Pétia secoua sa torpeur. Un jour grisâtre perçait à travers les branches dénudées, et les chevaux, invisibles jusque-là, émergeaient peu à peu de la brume. Pétia, sautant à bas du fourgon, tira de sa poche un rouble, qu'il donna au cosaque, examina son sabre et le glissa dans le fourreau. Les hommes détachèrent les chevaux et en arrangèrent les sangles.

Pétia lui raconta en détail non seulement son expédition, mais encore pourquoi il y avait pris part, et comment, à son avis, il valait mieux risquer sa vie que de laisser aller les autres à l'aventure.

Pétia garda longtemps le silence, en prêtant l'oreille à tous les bruits; des pas se firent tout à coup entendre, et une ombre se dressa devant lui.

Likhatchow se leva, fouilla dans les bâts; et Pétia grimpa sur le fourgon pour mieux suivre le travail du cosaque. «Est-ce qu'ils dorment, les camarades? lui demanda-t-il.

Les rêveries de Pétia l'avaient, en attendant, transporté dans un monde féerique où rien ne rappelait la réalité. Cette grande tache noire, qu'il voyait à quelques pas, était-elle véritablement la maison du garde, ou bien n'était-ce pas une caverne conduisant dans les entrailles de la terre... et cette lueur rougeâtre, l'œil unique d'un monstre géant, fixé sur lui?... Était-ce bien aussi un fourgon sur lequel il était assis, ou plutôt une haute tour, de laquelle, s'il venait à tomber, il prendrait son vol pendant un jour, un mois peut-être, sans atteindre le sol. Il regarda le ciel; l'aspect en était aussi féerique que celui de la terre: les nuages, emportés par le vent, couraient au-dessus de la cime des arbres, et laissaient à découvert des myriades d'étoiles dans cet infini sans fond, qui tantôt semblait s'élever, à perte de vue, au-dessus de sa tête, et tantôt s'abaisser jusqu'à portée de la main. Il ferma involontairement les yeux, et, cédant au sommeil, il vacilla de droite et de gauche. La pluie tombait toujours, les ronflements des soldats endormis se mêlaient aux hennissements des chevaux et au bruit du sabre sur la pierre. Pétia entendit tout à coup un admirable orchestre qui jouait un hymne inconnu, d'une beauté et d'une douceur ineffables. Musicien à l'égal de Natacha, et bien plus que Nicolas, il n'avait cependant jamais appris une seule note et n'y avait même jamais songé. Aussi ces mystérieux motifs, en envahissant soudain son cerveau et son âme, lui parurent-ils pleins de charme et d'enivrante poésie. La musique devenait de plus en plus distincte. C'était ce que les spécialistes auraient appelé «une fugue», Pétia n'avait pas la moindre idée de ce que c'est qu'une fugue. La mélodie, reprise tantôt par un violon, tantôt par un cor aux sons plaintifs et séraphiques se perdait, inachevée, dans le chœur, d'où elle s'élançait de nouveau pour se fondre dans un merveilleux ensemble, en un chant grave et solennel, ou triomphant et victorieux.... «Mais je rêve! se dit Pétia en perdant presque l'équilibre; ce sont sans doute mes oreilles qui tintent... ou peut-être ne suis-je pas le maître de cet orchestre invisible?... Oh! reviens, reviens, chante encore!...» Il referma les yeux, et les sons de l'hymne, qui se rapprochaient et s'éloignaient tour à tour, vibrèrent de nouveau à ses oreilles.... «Dieu, que c'est beau!» se disait Pétia en essayant de diriger le céleste orchestre.... «Doucement, plus doucement à présent!...» et les sons lui obéissaient.... «Et maintenant, plus vite, plus gaiement, avec ensemble!...» et les sons, grandissant en puissance, semblaient surgir des profondeurs de l'espace.... «À vous, les voix!» ordonna Pétia, et des voix d'hommes et de femmes, d'abord presque insaisissables, s'élevèrent graduellement avec une imposante énergie. À cette marche triomphale s'unissaient le chant des instruments, le bruit de la goutte d'eau qui tombait, le grincement du sabre, les hennissements des chevaux, sans que ce merveilleux et gigantesque ensemble en fût un moment troublé. Pétia en écoutait, avec un ravissement mêlé de terreur, les sublimes harmonies, et il ne sut jamais combien de temps elles durèrent! Il était encore sous le charme, et regrettait de n'avoir auprès de lui personne à qui faire partager son bonheur, lorsque la voix de Likhatchow le réveilla brusquement.

Le cosaque sortit sa tête de dessous le fourgon pour examiner Pétia de plus près.

Il resta donc quelque temps dans la cabane à repasser les détails de sa course aventureuse et à rêver au lendemain, et, quand il vit Denissow endormi, il sortit pour prendre l'air.

Il faisait nuit au dehors: quelques rares gouttes de pluie tombaient encore: on entrevoyait çà et là les silhouettes des tentes des cosaques et de leurs chevaux attachés au piquet; un peu plus loin se dessinait indistinctement le contour de deux fourgons attelés, et tout au fond du ravin un feu s'éteignait lentement. Parmi les cosaques et les hussards, plusieurs ne dormaient pas; on distinguait le murmure de leurs voix et le bruit que faisaient les chevaux en mangeant. Pétia se dirigea vers les fourgons, près desquels se trouvaient les chevaux sellés. Il reconnut le sien, un bon petit cheval de Petite-Russie.

«Voilà le commandant,» dit Likhatchow à la vue de Denissow, qui appelait Pétia du seuil de l'isba et donnait ordre de se préparer.

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