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La guerre et la paix

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VIII

Après avoir endossé l'uniforme français, et s'être coiffés du shako, Pétia et Dologhow se rendirent à cheval jusqu'à la clairière d'où Denissow avait examiné le camp; arrivés là, ils descendirent dans le ravin, où Dologhow ordonna aux cosaques qui les accompagnaient de les attendre sans bouger, et s'élança ensuite avec Pétia sur la route qui conduisait au pont. La nuit était des plus sombres.

«Ils ne m'attraperont pas vivant, je vous jure, et s'ils m'attrapent, j'ai un pistolet, murmura Pétia.

—Tais-toi, ne parle pas russe,» répliqua vivement Dologhow.

—Quand un officier fait sa ronde, on ne lui demande pas le mot d'ordre.... J'ai besoin de savoir si le colonel est ici... entendez-vous, imbécile!» Et, poussant de côté la sentinelle avec le poitrail de son cheval, il continua sa route.

—Le mot d'ordre? répéta la sentinelle sans répondre, et en lui barrant le chemin.

—Il les fera marcher, les lapins! répondit un autre en riant, mais tous deux se turent, en plongeant les yeux dans l'obscurité, au bruit des pas de Dologhow et de Pétia, qui s'approchaient de leur groupe.

—Bonjour, messieurs,» dit Dologhow à haute voix.

«Si vous comptez sur la soupe du soir, vous venez trop tard,» dit d'un ton gouailleur une voix derrière le brasier.

«Oh! quel héros vous faites! Comme c'était beau! Comme je vous aime!

«Oh! c'est un dur à cuire, disait un des officiers assis dans l'ombre, de l'autre côté.

«Le mot d'ordre?» Dologhow retint son cheval et avança au pas.

«Lanciers au 6ème!» s'écria Dologhow, sans rien changer à l'allure de son cheval.

«L'ennuyeuse affaire que de traîner ces cadavres après soi.... Mieux vaudrait fusiller toute cette canaille!» ajouta-t-il en éclatant de rire, et ce rire étrange fit craindre à Pétia que les Français ne s'aperçussent de la ruse.

«Entends-tu?» dit Dologhow, et Pétia reconnut la voix des prisonniers russes, groupés autour d'un feu.

«Eh bien, adieu! Tu diras à Denissow que c'est pour la pointe du jour, au premier coup de fusil,» dit Dologhow en s'éloignant, mais Pétia le saisit par la main en lui disant:

«Dites donc, le colonel Gérard est-il ici?

«Ces brigands sont partout,» répondit l'un d'eux; à quoi Dologhow répliqua que les cosaques n'étaient à redouter que pour des traînards isolés comme lui et son compagnon, mais qu'assurément ils n'oseraient pas attaquer des détachements considérables.

«C'est vous, Clément? D'où diable...?» Mais il n'acheva pas.

«Bonsoir, messieurs,» dit Dologhow. Pétia essaya d'en dire autant, mais il ne put prononcer un mot. Les officiers continuaient à chuchoter. Dologhow fut longtemps à se mettre en selle, car le cheval ne se tenait pas tranquille. Enfin il partit au pas, franchit la porte cochère, suivi de Pétia, qui aurait bien voulu se retourner pour voir si on les poursuivait, mais qui n'osait pas.

Reconnaissant son erreur, il fronça légèrement les sourcils, salua Dologhow comme on salue un inconnu, et lui demanda ce qui l'amenait. Celui-ci lui expliqua que son compagnon et lui rejoignaient leur régiment, et le pria de lui dire s'il ne savait pas où se trouvait le 6ème lanciers. Il l'ignorait complètement, et il sembla à Pétia que les officiers les examinaient d'un air défiant. Le silence dura quelques secondes.

Personne ne releva l'observation. «Quand donc partira-t-il?» se disait Pétia, qui était resté debout. Mais Dologhow reprit de plus belle sa conversation, et leur demanda hardiment combien ils avaient d'hommes par bataillon, combien de bataillons et combien de prisonniers.

Le rire de Dologhow ne trouva pas d'écho, et un des officiers français, invisible dans l'ombre où il était étendu, couvert de son manteau, s'approcha et glissa quelques mots à l'oreille de son voisin. Dologhow se leva au même moment et demanda ses chevaux. «Nous les donnera-t-on, oui ou non?» pensa Pétia en se rapprochant involontairement de son compagnon. On amena les chevaux.

Le bivouac était établi des deux côtés de la route que longeait Dologhow; sans faire la moindre attention aux cris et aux rires des soldats, il arriva devant la grande porte cochère, entra dans la cour, descendit de cheval, et s'approcha d'un grand feu qui flambait au beau milieu, et autour duquel étaient assis quelques hommes causant à haute voix. Dans une petite marmite placée sur le feu mijotait un morceau de viande qu'un soldat, en bonnet de police et en capote gros-bleu, tournait avec la baguette de son fusil.

La noire silhouette de la sentinelle apparaissait au milieu du pont.

Dologhow répliqua qu'ils avaient mangé et qu'ils allaient continuer leur chemin. Jetant la bride de son cheval au soldat qui surveillait la marmite, il s'assit sur ses talons à côté de l'officier qui lui avait parlé. Ce dernier ne le quittait pas des yeux et lui demanda nouveau quel était son régiment. Dologhow fit semblant de ne pas l'entendre, préoccupé en apparence d'allumer sa pipe, de questionner à son tour les officiers sur le plus ou moins de sécurité des routes, et de s'informer auprès d'eux s'il ne risquait pas de rencontrer des cosaques.

Des ombres s'agitèrent autour du foyer: un officier de haute taille en fit le tour et s'approcha des nouveaux venus.

De là ils descendirent vers le pont, croisèrent la sentinelle, qui les laissa passer sans mot dire, et s'engagèrent dans le ravin, où les attendaient les cosaques.

Au même moment, un «qui vive?» nettement accentué, suivi du bruit sec d'un fusil qu'on armait, se fit entendre à quelques pas.

Au lieu de reprendre le même chemin, ils traversèrent le village, où ils s'arrêtèrent un instant et prêtèrent l'oreille.

Apercevant une ombre noire un peu en avant de lui, il alla droit à elle: c'était un soldat portant un sac sur ses épaules, et il lui répéta sa question. Le soldat s'approcha sans défiance, caressa de la main le cou du cheval, et répondit naïvement que le commandant et les officiers étaient plus haut dans une ferme, ainsi qu'il appelait la maison du propriétaire.

—C'est bien, c'est bien!» répliqua Dologhow; mais, Pétia continuant à ne pas le lâcher, il devina que le jeune garçon se penchait vers lui pour l'embrasser; il se laissa faire en riant, tourna bride et disparut dans la nuit.

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VIII