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La guerre et la paix

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VI

Pétia, en quittant Moscou et ses parents, avait rejoint son régiment, et avait été attaché peu après, comme officier d'ordonnance, au chef d'un détachement considérable. Depuis qu'il avait été promu à ce grade, et surtout depuis son entrée dans l'armée active, où il avait pris part à la bataille de Viazma, il était sous l'influence d'une joyeuse surexcitation, à la pensée d'être devenu un homme fait, et il craignait de laisser échapper la moindre occasion de se couvrir de gloire. Heureux de tout ce qu'il avait vu et éprouvé à l'armée, il lui semblait toujours que les hauts faits ne s'accomplissaient que là où il n'était pas. Aussi supplia-t-il instamment son général, qui cherchait quelqu'un à envoyer à Denissow, de lui confier son message; celui-ci y consentit, mais, se rappelant l'action insensée de Pétia à la bataille de Viazma, où, au lieu de suivre la route, il avait galopé jusqu'à la ligne des tirailleurs sous le feu des français et tiré deux coups de pistolet, il lui défendit de prendre part aux opérations de Denissow. C'était là la raison de son embarras, quand ce dernier lui avait demandé s'il pouvait rester auprès de lui; jusqu'à la lisière du bois, Pétia s'était dit qu'il remplirait strictement son devoir et s'en retournerait aussitôt; mais, à la vue des Français et après le récit de Tikhone, il décida, avec ce brusque changement de front habituel aux très jeunes gens, que son général, qu'il avait profondément respecté jusqu'à ce moment, était un pas grand'chose d'Allemand; que Denissow était un héros, l'essaoul un autre héros, et Tikhone un troisième héros, qu'il serait honteux à lui de les abandonner dans une circonstance périlleuse, et qu'il prendrait part à l'attaque.

Le jour tombait lorsqu'ils arrivèrent tous trois à la maison du garde. Dans la demi-obscurité se dessinaient les formes vagues des chevaux sellés des cosaques, des hussards dressant les tentes sur la clairière et allumant leurs feux dans le fond d'un ravin, afin d'en dérober la fumée aux ennemis. Dans la première chambre de la petite cabane, un cosaque, les manches retroussées, hachait du mouton, tandis que dans la seconde trois officiers étaient occupés à transformer en table une porte qu'ils avaient arrachée de ses gonds. Pétia, se débarrassant de son uniforme mouillé, leur offrit aussitôt ses services pour l'arrangement du souper. Dix minutes plus tard, la table, couverte d'une nappe, fut chargée de deux flacons d'eau-de-vie et de rhum, de pain blanc, de sel, et de mouton rôti. Assis au milieu des officiers et déchirant de ses doigts la viande tendre et succulente, le long de laquelle découlait la graisse, Pétia était en proie à une exaltation enfantine qui lui inspirait une tendresse expansive pour tous les hommes, et par conséquent l'assurance d'être payé de retour.

—Va, va!... Ce pauvre enfant!» répéta Denissow. Pétia, qui était déjà à la porte, se retourna à ces mots, et se glissa entre les officiers jusqu'à Denissow.

—Seulement, je vous en prie, donnez-moi un commandement, un petit commandement; qu'est-ce que cela peut vous coûter?... Ah! voici mon couteau, il est à votre service,» dit-il en le tendant à un officier qui essayait de couper un morceau de mouton. L'officier le remercia et fit l'éloge de l'instrument.

—Qui cherchez-vous!» demanda la voix d'un cosaque dans l'obscurité. Pétia lui expliqua qu'il demandait le petit Français.

—Oui, ce pauvre enfant! répondit Denissow, qui ne trouvait rien de répréhensible dans ce sentiment.... Qu'on l'appelle! Il se nomme Vincent Bosse.

—Merci, monsieur,» répondit le petit tambour d'une voix d'enfant et en essuyant sur le seuil ses pieds couverts de boue.

—Je vais l'appeler, dit Pétia.

—C'est un petit rusé, dit le hussard qui était à côté de Pétia; nous l'avons fait manger tantôt, il était affamé.»

—Ah! c'est vous, dit Pétia. Voulez-vous manger? N'ayez pas peur, on ne vous fera pas de mal, entrez, entrez!

«Vous croyez donc, Vassili Fédorovitch, dit-il à Denissow, que, si je reste avec vous un jour, il ne m'arrivera rien de désagréable!... Car, voyez-vous, poursuivit-il en se répondant à lui-même, on m'a dit de savoir, et alors je saurai, si vous me permettez de... d'aller là où ce sera le plus... car enfin ce n'est pas pour les récompenses, mais j'ai envie...» Et, serrant les dents et rejetant la tête en arrière, il regarda autour de lui, et fit un geste de menace.

«Que je vous embrasse, lui dit-il, mon bon ami!... Comme c'est bien, comme c'est bien à vous!» Et, l'ayant embrassé, il précipita dans l'autre chambre, en criant de toutes ses forces:

«Prenez-en, messieurs, ne vous gênez pas!... N'auriez-vous pas besoin d'une cafetière? J'en ai acheté une parfaite chez le vivandier, un brave homme s'il en fut, très honnête surtout, c'est là le principal; je vous l'enverrai, bien sûr... À propos, avez-vous encore des pierres à fusil? J'en ai là une centaine, que j'ai achetées à très bon marché... les voulez-vous?» Il s'arrêta effrayé et rougit à la pensée d'être allé un peu loin; il tâcha de se rappeler s'il n'avait pas fait quelque autre sottise dans la journée, et, en repassant ses souvenirs, il revit la figure du petit tambour. «Nous sommes bien ici, mais lui, où l'a-t-on emmené? Lui a-t-on seulement donné à manger? Ne le maltraite-t-on pas?... J'ai bien envie de le demander.... Mais que diront-ils?... Que je suis un enfant qui en plaint un autre. Je leur montrerai demain si je suis un enfant!... Eh bien, c'est égal, je vais le leur demander!» se dit-il, et, regardant avec inquiétude la figure des officiers, dans la crainte d'y découvrir une intention moqueuse:

«Peut-on appeler ce petit prisonnier et lui donner à manger?

«Oh! gardez-le, je vous en prie, j'en ai plusieurs.... Ah! mon Dieu, mais j'ai tout à fait oublié, s'écria-t-il tout à coup, que j'ai du raisin sec excellent, sans pépins. Nous avons un nouveau vivandier, et il a des choses merveilleuses: je lui en ai acheté dix livres.... Vous savez, je suis habitué à manger des douceurs.... En voulez-vous?...» Et Pétia courut dans l'autre pièce chercher son cosaque, et rapporta avec lui un gros panier de raisin sec.

«Là-bas où ce sera le plus... le plus quoi? répéta Denissow en souriant.

«Entrez! répéta-t-il encore d'un ton affectueux.... Que pourrais-je bien faire pour lui?» se dit-il en ouvrant la porte et en le poussant dans la chambre.

«Bosse, Vincent Bosse!

«Ah! «Vessennï»?» répondit le cosaque, car le nom du petit tambour avait déjà été russifié, et cette transformation (ce mot russe veut dire printanier) s'adaptait en tous points à la jeune figure de l'enfant.... «Il se chauffe là-bas.... Eh! Vessennï, Vessennï! s'écrièrent plusieurs voix.

Pétia aurait voulu lui dire bien des choses, mais il ne l'osa pas, et, se bornant à lui prendre la main, il la lui serra doucement.

On entendit les pas du gamin s'approcher, et ses pieds nus patauger dans la boue.

Cependant, malgré cette charitable réflexion, il alla s'asseoir loin de lui, par crainte sans doute que sa dignité ne souffrît d'une attention trop marquée. Il fouilla néanmoins dans sa poche, compta du bout des doigts la monnaie qu'elle contenait, et se demanda s'il ne serait pas honteux de la donner au petit tambour.

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