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La guerre et la paix

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III

C'était un jour d'automne, doux et pluvieux; le ciel et l'horizon se confondaient en une seule et même teinte d'un gris terne. Tantôt il bruinait, tantôt il tombait quelques grosses gouttes.

Monté sur un cheval de race, maigre et efflanqué, enveloppé d'une bourka, coiffé d'une papakha, ruisselant d'eau, Denissow, à l'exemple de son cheval qui baissait la tête en dressant les oreilles, inclinait la sienne pour se garantir de la pluie qui tombait obliquement, et regardait devant lui avec inquiétude. Une forte préoccupation se lisait sur sa figure amaigrie, couverte d'une barbe noire courte et épaisse. Il était suivi d'un sous-officier cosaque, également en bourka et en bonnet fourré, monté sur un bon petit cheval du Don, et d'un second cosaque, nommé Lovaïski, habillé comme les deux autres, droit comme un piquet, blond, avec de petits yeux clairs et une expression de fermeté calme empreinte sur le visage et dans tout son maintien. Bien qu'on n'eût pu dire ce qu'il y avait de particulier dans sa physionomie, on voyait tout d'abord que, tandis que Denissow était mal à l'aise sur sa selle, celui-ci, au contraire, semblait rivé sur la sienne comme s'il ne faisait qu'un avec sa monture. En avant d'eux marchait leur guide, un paysan, mouillé jusqu'à la moelle des os, vêtu d'un caftan gris, coiffé d'un bonnet pointu en laine blanche, et, un peu en arrière, sur un cheval kirghiz maigre et nerveux, à la queue et à la crinière bien fournies, à la bouche ensanglantée, un jeune officier en capote française de couleur gros-bleu; à côté de lui, un hussard, également à cheval, avait pris en croupe le petit tambour en uniforme déchiré et en bonnet de police bleu, qui se cramponnait au soldat de ses mains rougies par le froid, il regardait autour de lui d'un air étonné, en battant de ses pieds nus les flancs du cheval. Trois ou quatre hussards suivaient, à la file l'un de l'autre, le long de l'étroit sentier de la forêt; puis venaient les cosaques, qui en bourka, qui en capote française, qui la tête couverte d'une housse de cavalerie. Sous la pluie qui tombait à torrents, on ne distinguait plus la couleur des chevaux; les bais et les bruns semblaient également noirs, leurs cous s'étaient étrangement amincis sous leurs crinières mouillées, et une épaisse buée s'échappait de leur croupe et leur encolure. Les cavaliers, leurs selles, leurs brides, tout ruisselait d'eau, et avait pris l'apparence triste et flétrie de la terre et des feuilles mortes dont elle était couverte. Les hommes se tenaient immobiles, les bras serrés contre le corps, pour empêcher, autant que possible, un nouveau courant de s'infiltrer sous leurs vêtements; au milieu d'eux, deux fourgons, attelés de chevaux français portant des selles cosaques, tressautaient sur les branches sèches et les racines, et clapotaient dans l'eau des ornières. Le cheval de Denissow se porta de côté pour éviter une mare, et Denissow se heurta le genou contre un arbre.

—Rostow! s'écria Denissow.... Comment, Pétia, ne m'as-tu pas dit tout de suite que c'était toi?...» Et il lui tendit la main en souriant.

—Michel Théoclititch, dit-il en s'adressant à l'essaoul, c'est encore l'Allemand, auquel ce jeune homme est attaché, qui me demande de nous joindre à lui;... aussi, si nous ne parvenons pas à enlever le transport aujourd'hui, il nous le soufflera demain...»

—Mais que t'a dit le général? De retourner à l'instant, sans doute?» Pétia rougit:

—Des ordres?... répéta Denissow d'un air pensif, voyons, peux-tu rester ici jusqu'à demain?

—Ah! je vous en prie, gardez-moi, s'écria soudain Pétia.

«Votre Haute Noblesse aurait-elle des ordres à me donner? dit-il en portant la main à la visière de sa casquette et en reprenant le rôle d'aide de camp du général, auquel il s'était préparé.... Ou bien dois-je rester ici auprès de Votre Haute Noblesse?

«Voici quelqu'un!» dit-il.

«Je suis enchanté de te voir, lui dit Denissow en reprenant son air soucieux.

«Il ne m'a rien dit... alors puis-je rester?

«Eh, que diable!» s'écria Denissow en colère... et, donnant sa monture deux ou trois coups de fouet, il s'éclaboussa, lui et ses compagnons. Mouillé, affamé, et surtout impatienté de n'avoir pas de nouvelles de Dologhow, et de ne pas voir revenir celui qu'il avait envoyé en avant: «Il ne se représentera jamais une occasion pareille, se disait-il. Attaquer seul, serait trop risquer, et si je remets la partie à un autre jour, un des détachements m'enlèvera le convoi sous le nez...» Et il ne cessait de regarder au loin, dans l'espoir d'apercevoir enfin le messager de Dologhow.

«De la part du général, dit-il, excusez l'humidité du papier. On n'a fait que nous répéter que c'était si dangereux, ajouta-t-il en se tournant vers l'essaoul, pendant que Denissow, les sourcils froncés, décachetait l'enveloppe.... Aussi avons-nous pris nos précautions avec l'ami Komarow, continua-t-il en indiquant son cosaque; nous avions chacun deux pistolets.... Mais qu'est-ce donc? et il désigna le petit tambour... un prisonnier? Avez vous déjà eu une affaire? Peut-on lui parler?

Tout le long de la route, Pétia Rostow s'était tracé la ligne de conduite que, d'après lui, il devait suivre à l'égard de Denissow, ainsi qu'il convenait à un homme fait, à un officier, sans faire la moindre allusion à leurs relations passées; mais, à cet accueil affectueux, sa figure s'illumina, il rougit de joie et, oubliant la tenue officielle qu'il s'était promis de garder, il lui raconta comment il avait passé devant les Français, combien il était fier de la mission qu'on venait de lui confier, et comment il avait déjà vu le feu à Viazma, où un hussard s'était distingué.

Pendant qu'il causait avec le cosaque, Pétia, tout penaud du ton distrait de Denissow, et supposant que ses pantalons relevés pouvaient bien en être cause; fit tous ses efforts pour les redescendre sans que personne s'en aperçût et pour se donner un air guerrier.

Les cavaliers qu'ils avaient aperçus descendirent la montasse, se dérobèrent un moment derrière un repli de terrain et ne tardèrent pas à reparaître. L'officier, les cheveux au vent, les vêtements transpercés, les pantalons remontés jusqu'à mi-jambe par la course qu'il venait de faire, talonnait son cheval fatigué. Un cosaque le suivait au trot, debout sur ses étriers. Cet officier était un tout jeune garçon, aux joues colorées et aux yeux vifs et brillants; arrivé près de Denissow, il lui remit un pli tout mouillé.

L'essaoul regarda dans la direction indiquée: «Ils sont deux, dit-il, un officier et un cosaque, et il n'est pas à supposer, poursuivit l'essaoul, qui aimait à employer des mots peu usités entre eux, que ce soit le lieutenant-colonel?»

Débouchant tout à coup dans une clairière d'où l'on avait une large échappée de vue sur la droite, Denissow s'arrêta:

—C'est bien, répliqua Denissow, et, se tournant vers ses hommes, il leur ordonna de se diriger par le bois vers la maison du garde, qui était l'étape indiquée, et envoya l'officier monté sur le cheval kirghiz, qui remplissait près de lui les fonctions d'aide de camp, demander à Dologhow s'il viendrait dans la soirée: pendant ce temps, suivi de Pétia et de l'essaoul, il irait jusqu'à la lisière du bois examiner de loin la position des Français, qu'il comptait attaquer le lendemain. «Eh bien, vieux barbu, fit-il en s'adressant au guide, mène-nous vers Schamschew.»

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