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La guerre et la paix

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XIII

Dans la nuit du 6 au 7 octobre commença la retraite des Français: on démolissait les baraques et les cuisines, on chargeait des charrettes, et les troupes et les fourgons s'ébranlaient de tous côtés.

À 7 heures du matin, un convoi de Français, en tenue de campagne, le shako sur la tête, le fusil sur l'épaule, la giberne et le sac au dos, s'alignaient devant le corps de garde, en échangeant entre eux, sur toute la ligne, un feu croisé de propos animés, émaillés de jurons. À l'intérieur, tous étaient prêts, chaussés, habillés, n'attendant que l'ordre de sortir. Seul le pauvre Sokolow, pâle, exténué, n'était ni chaussé, ni habillé et poussait des gémissements incessants. Ses yeux cernés, sortant de leur orbite, interrogeaient en silence ses compagnons, qui ne faisaient aucune attention à lui. Ce n'était pas tant la souffrance (il était malade de la dysenterie) que la crainte d'être abandonné qui le tourmentait. Pierre, chaussé de bottes cousues par Karataïew, ceint d'une corde, s'assit devant lui sur ses talons.

—Voulez-vous bien...» s'écria le capitaine en colère.

—Oh! il y en a sûrement la moitié de brûlé...

—Oh! Seigneur! c'est ma mort.... Oh! Seigneur! s'écria tristement le soldat.

—Mais puisque c'est brûlé et que vous le savez, à quoi bon en parler?» grommela le major.

—Mais il agonise, répondit ce dernier.

—Je vous l'ai bien dit, ça s'étendait de l'autre côté de la rivière.

—Je vais leur en parler, veux-tu?» lui dit Pierre en se levant et en se dirigeant vers la porte.

—Ah! Seigneur Dieu! Seigneur Dieu! Qu'en a-t-on fait! s'écriaient de tous côtés les prisonniers en regardant les restes de l'incendie.

À ce moment, la porte s'ouvrit, et il vit entrer un caporal et des soldats en tenue de campagne. Le caporal, celui-là même qui, la veille, avait offert à Pierre de fumer sa pipe, venait faire l'appel.

«Écoute donc, Sokolow, ils ne s'en vont pas tout à fait! Ils ont ici un hôpital, tu seras peut-être encore mieux partagé que nous.

«Qu'avez-vous à vous quereller? demanda le major avec impatience. Que ce soit Saint-Nicolas ou Saint-Blaise, n'est-ce pas la même chose? Vous voyez bien que tout est brûlé.... Voyons, pourquoi me poussez-vous, ce n'est pourtant pas la place qui manque, dit-il à un de ses compagnons qui ne l'avait même pas touché.

«Oh! les misérables! oh! les sauvages! c'est un mort, c'est un mort, et on lui a barbouillé la figure...»

«Filez, filez!» disait-il sévèrement aux prisonniers qui passaient.

«Eh bien, qu'est-ce qu'il y a? dit le capitaine d'une voix rude, comme s'il ne le reconnaissait pas. Il pourra marcher, que diable! répondit-il à la demande de Pierre.

«Caporal, que fera-t-on du malade?» lui demanda Pierre qui avait peine à le reconnaître, tant il ressemblait peu, avec son shako sur la tête et sa jugulaire boutonnée, au caporal qu'il voyait tous les jours.

Quoique Pierre pressentît que sa démarche n'aurait aucun résultat, il s'approcha de lui.

Pierre se retourna, et aperçut confusément un corps adossé contre le mur d'enceinte de l'église. Il devina, aux paroles de ses compagnons, que c'était le cadavre d'un homme qu'on avait planté tout debout, et dont la figure avait été couverte de suie.

Lorsqu'elle s'ouvrit de nouveau et que les prisonniers se pressèrent à la sortie comme un troupeau de moutons, il glissa en avant et se dirigea vers ce même capitaine qui, au dire du caporal, était si bien disposé pour lui. Le capitaine était également en tenue de campagne, et sa figure avait la même expression de dureté.

Les officiers prisonniers furent séparés des soldats, et on leur ordonna d'ouvrir la marche. Il y avait trente officiers, y compris Pierre, et trois cents soldats. Les officiers, sortant des baraques voisines, étaient tous des étrangers, beaucoup mieux habillés que Pierre; aussi ils le regardaient d'un air méfiant. Devant lui marchait un gros major, en robe de chambre tartare, la taille ceinte d'un essuie-mains, la figure gonflée, jaune et renfrognée. Il tenait d'une main une blague à tabac, tandis que de l'autre il s'appuyait sur sa chibouque. Essoufflé et s'éventant avec son mouchoir, il grognait constamment et se fâchait après tout le monde, parce qu'il lui semblait qu'il avait été bousculé, qu'on se pressait sans raison et qu'on s'étonnait sans cause! Un autre officier, petit et fluet, interpellait chacun à tour de rôle, s'inquiétait de savoir où on les menait et de combien serait leur étape. Un fonctionnaire en bottes de feutre, en uniforme de l'intendance, se jetait à droite et à gauche, et communiquait ses impressions à ses voisins sur chaque quartier de la ville incendiée qu'ils traversaient. Un troisième, d'origine polonaise, discutait avec lui, et lui prouvait qu'il se trompait dans la désignation des quartiers.

Il fronça le sourcil à cette question, et, murmurant une grossièreté inintelligible, il poussa la porte avec violence, et la baraque se trouva plongée dans une demi-obscurité; les tambours battirent aux champs des deux côtés, et étouffèrent les plaintes du blessé. «La voilà, c'est bien elle!» se dit Pierre, et il eut involontairement froid dans le dos.... Il venait de retrouver dans la figure transformée du caporal, dans le son de sa voix, dans le bruit assourdissant du tambour, cette force brutale, impassible et mystérieuse qui poussait les hommes à s'entre-tuer, cette force dont il avait déjà eu conscience pendant le supplice de ses compagnons. Essayer de s'y soustraire, adresser des supplications à ceux qui en étaient les instruments, c'était superflu, il le savait; il fallait attendre et patienter: il resta donc en silence à la porte de la baraque.

Et les tambours battaient toujours, et Pierre sentit que toute parole serait inutile, car ces hommes ne s'appartenaient plus, ils étaient les esclaves de la force.

En traversant un des rares quartiers intacts, les prisonniers reculèrent tout à coup en passant devant une église, et poussèrent des exclamations d'horreur et de dégoût.

«Marchez, sacré nom... marchez donc... trente mille diables!» s'écrièrent les officiers de l'escorte; les soldats français poussèrent en avant, à grands coups de briquet, la foule des prisonniers qui s'était arrêtée devant le mort.

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