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La guerre et la paix

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XI

Le 6 octobre, de grand matin, Pierre sortit de la baraque, et s'arrêta sur le seuil de la porte, en caressant un petit chien à jambes courtes et torses, qui couchait d'habitude aux pieds de Karataïew, s'aventurait souvent en ville, mais revenait infailliblement chaque soir. Personne ne l'avait réclamé, et il ne portait aucun nom sur son collier. Les Français l'appelaient «Azor», et Karataïew «le Gris». Le pauvre animal ne semblait nullement embarrassé de n'avoir ni maître ni race déterminée; il portait ferme et droite sa queue en panache, et ses jambes torses faisaient si bien leur service, qu'il lui arrivait souvent de dédaigner de se servir des quatre à la fois, et de s'en aller, une patte de derrière gracieusement relevée, en sautillant sur ses trois autres. Tout était pour lui sujet de joie; il se roulait sur le dos, se chauffait au soleil d'un air pensif et important, ou jouait avec un morceau de bois ou un brin de paille.

L'habillement de Pierre se composait d'une chemise sale, déchirée, dernier vestige de ses anciens vêtements, d'un pantalon de soldat noué aux chevilles pour tenir plus chaud, selon le conseil de Karataïew, et d'un caftan. Son extérieur n'était plus le même: il avait perdu de sa corpulence, mais sa forte charpente faisait toujours de lui l'image de la force physique: une barbe épaisse et une longue moustache couvraient le bas de son visage; ses cheveux longs, emmêlés, remplis de vermine, sortaient de dessous son bonnet; l'expression de ses yeux était plus ferme et plus calme qu'auparavant, et son laisser-aller habituel avait fait place à une énergie toute prête à l'action. Pierre regardait tour à tour la plaine sur laquelle on voyait des charrettes et des hommes à cheval, la rivière qui scintillait au bas, le petit chien qui le mordillait en jouant, et ses pieds nus et sales, auxquels il faisait prendre des poses plus ou moins gracieuses, tout en souriant d'un air béat et satisfait, au souvenir de tout ce qu'il avait souffert et appris pendant ces derniers jours.

—Merci, mon vieux, mais le reste?»

—Elle sera encore mieux lorsque tu l'auras portée, continua Platon en admirant son ouvrage.

—C'est bien, c'est bien, merci... mais vous devez avoir encore de la toile? demanda le Français.

«Vois-tu, saint Thomas, qu'il me disait l'autre jour: Kiril, c'est un homme qui a de l'instruction, qui parle français; c'est un seigneur russe qui a eu des malheurs, mais c'est un homme.... Et il s'y entend, le.... S'il demande quelque chose, qu'il me dit, il n'y a pas de refus. Quand on a fait ses études, voyez-vous, on aime l'instruction et les gens comme il faut. C'est pour vous que je dis cela, monsieur Kiril. Dans l'affaire de l'autre jour, sans vous, ça aurait mal fini...» Et, ayant bavardé quelque temps, il s'en alla.

«Soyez tranquille, monsieur Kiril, nous avons pour cela des hôpitaux volants de campagne, et c'est l'affaire des autorités de prévoir tout ce qui peut arriver.... Et puis, monsieur Kiril, vous n'avez qu'à dire un mot au capitaine, vous savez? Oh! c'est un... qui n'oublie jamais rien. Parlez-en au capitaine quand il viendra, il fera tout pour vous.»

«Quel soleil, hein? Monsieur Kiril (c'était ainsi que les Français appelaient Pierre), on dirait le printemps!...» et il s'appuya contre la porte, en lui réitérant son invitation habituelle et toujours refusée de fumer une pipe avec lui.... «Si encore on avait un temps comme celui-là quand on est en marche!» dit-il.

«Qu'a-t-il besoin du restant? Il pourrait nous servir; mais enfin puisqu'il y tient...» Et Karataïew tira à contre-cœur de dessus sa poitrine un petit paquet de chiffons proprement noué, le lui donna sans dire mot et tourna sur ses talons.

«Platoche, dites donc, Platoche, gardez ça pour vous,» et, le lui rendant, il s'enfuit.

«Elle est venue à point, celle-là! dit Platon en arrangeant la chemise, pendant que le Français passait ses bras dans les manches, tout en examinant attentivement la couture. Vois-tu, mon ami, ce n'est pas un atelier ici, nous n'avons pas ce qu'il nous faut pour coudre, et tu sais que, même pour tuer un pou, il faut un outil.

«C'est prêt, c'est prêt! dit Karataïew, en apportant l'objet demandé, proprement plié. Vu le beau temps, ou peut-être pour travailler plus à son aise, Karataïew était en caleçon avec une chemise noire comme la suie et toute déchirée. Ses cheveux relevés en arrière, et retenus, à la mode des ouvriers, par un étroit ruban de tille, donnaient à sa bonne et grosse figure un air encore plus avenant que d'habitude.

«Avant de s'engager, il est bon de s'entendre.... Je l'ai promise pour vendredi et la voilà!»

Un caporal français, l'uniforme déboutonné, un bonnet de police sur la tête, une mauvaise pipe entre les dents, s'approcha en faisant à Pierre un signe amical du coin de l'œil:

Pierre, qui voyait que Platon ne tenait pas à comprendre le Français, ne se mêlait pas de leur conversation. Karataïew remerciait pour son salaire, et le Français insistait pour avoir ce qui restait de la toile; Pierre se décida enfin à traduire à Platon la demande du soldat:

Pierre l'interrompit pour lui demander ce qu'il savait de nouveau; le vieux troupier lui raconta que les troupes quittaient la ville et qu'on attendait dans la journée l'ordre du jour concernant les prisonniers. Pierre lui rappela qu'un des soldats prisonniers, nommé Sokolow, était dangereusement malade et qu'il faudrait prendre quelques mesures à son égard.

Les Français avaient reçu la semaine précédente du cuir et de la toile, et ils les avaient donnés aux prisonniers russes pour leur en faire des bottes et des chemises.

Le temps était devenu doux et clair. C'était l'été de la Saint-Martin, avec ses petites gelées blanches, dont la fraîcheur matinale, en se mêlant aux rayons du soleil, mettait dans l'air un stimulant réparateur. L'éclat magique et cristallin qu n'appartient qu'à ces belles journées d'automne se répandait sur tout le paysage. Au loin se dessinait la montagne des Moineaux avec son village et son église au clocher vert; les toits des maisons, le sable, les pierres, les arbres dépouillés de leur feuillage, se découpaient, en lignes fines et précises, sur l'horizon transparent. À deux pas de la baraque se trouvaient les décombres d'une maison à moitié brûlée, occupée par les Français, et dont le jardin était garni de quelques maigres buissons de lilas. Cette maison, dévastée et délabrée, qui, sous un ciel gris, aurait présenté l'image de la désolation, avait aujourd'hui, sous le bain de lumière qui l'inondait, toutes les apparences du calme et de la paix.

Le capitaine en question causait souvent avec Pierre et lui témoignait beaucoup de sympathie.

Le Français regarda les chiffons, comme s'il délibérait avec lui-même, interrogea Pierre des yeux, et tout à coup dit en rougissant:

Le Français jeta un coup d'œil inquiet autour de lui, puis triomphant de son indécision, il ôta son uniforme, et enfila bien vite la chemise, car pour le moment il n'en avait pas d'autre qu'un long et sale gilet de soie à fleurs qui couvrait, tant bien que mal, son corps maigre et chétif. Il craignait évidemment qu'on ne se moquât de lui; mais personne ne fit la moindre remarque.

L'allusion du caporal avait trait à une querelle qui avait eu lieu dernièrement entre les prisonniers et les Français. Pierre avait eu la bonne chance d'apaiser ses compagnons. Quelques-uns d'entre eux, l'ayant vu parler avec le caporal, le prièrent de lui demander les nouvelles, et au moment où il leur en faisait part, un soldat français, maigre, jaune et tout déguenillé, s'approcha de leur baraque: portant la main à son bonnet de police en signe de salut, il demanda à Pierre si le soldat Platoche, auquel il avait donné sa chemise à coudre, était dans cette baraque.

«Et l'on dit que ce ne sont pas des chrétiens, il y a là pourtant une âme! Les vieux ont bien raison de dire que la main moite est donnante, et que la main sèche ne l'est pas... il est nu, lui, et pourtant il m'en a fait cadeau.... C'est égal, mon ami, ça nous profitera...» Et il rentra en souriant dans la baraque.

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