La guerre et la paix在线阅读

La guerre et la paix

Txt下载

移动设备扫码阅读

X

Mais, chose étrange! toutes ces mesures, qui n'étaient en rien inférieures aux dispositions qu'il avait prises ailleurs en pareille circonstance, n'atteignaient que la superficie, comme on voit les aiguilles d'un cadran, séparé de son mécanisme, tourner au hasard sans en entraîner les rouages dans leur mouvement.

M. Thiers dit, en parlant du plan si remarquable de Napoléon, que son génie n'avait jamais rien imaginé de plus profond, de plus habile et de plus admirable, et il prouve, dans sa polémique avec M. Fain, que la rédaction doit en être portée, non au 4, mais bien au 15 octobre. Ce plan «si remarquable» ne fut jamais et n'aurait jamais pu être exécuté, parce qu'il n'était pas applicable aux circonstances présentes. Les fortifications du Kremlin, pour la construction desquelles il fallait détruire la mosquée (ainsi que Napoléon appelait l'église de Saint-Basile), furent inutiles, et les mines creusées sous le Kremlin n'eurent d'autre effet que de l'aider à accomplir son désir de faire sauter cet édifice en quittant Moscou; de même que, pour consoler un enfant d'une chute, on s'en prend au plancher sur lequel il est tombé. La poursuite de l'armée russe, cause de tant de soucis pour Napoléon, présenta un phénomène extraordinaire: les généraux perdirent de vue l'armée russe, forte de 60 000 hommes. Ce ne fut, d'après M. Thiers, que le talent et peut-être le génie de Murat qui parvinrent à découvrir cette «tête d'épingle».

«Rien de nouveau, sinon que les soldats se permettent de voler et de piller. (9 octobre.)

«Le vol et le pillage continuent. Il y a une bande de voleurs dans notre district qu'il faudra faire arrêter par de fortes gardes. (11 octobre.)

«Le grand maréchal du palais se plaint vivement de ce que, malgré les défenses réitérées, les soldats continuent à faire leurs besoins dans toutes les cours, et même jusque sous les fenêtres de l'Empereur.»

«La partie de mon arrondissement continue à être en proie au pillage des soldats du 3ème corps, qui, non contents d'arracher aux malheureux, réfugiés dans des souterrains, le peu qui leur reste, ont même la férocité de les blesser à coups de sabre, comme j'en ai vu plusieurs exemples.

«L'Empereur est excessivement mécontent de ce que, malgré la sévérité de ses ordres, on ne voit revenir au Kremlin que des maraudeurs de la garde; il voit avec douleur que les soldats d'élite choisis pour garder sa personne, appelés à donner l'exemple de la soumission, poussent la désobéissance jusqu'à enfoncer les portes des caves, des magasins préparés pour l'armée; d'autres se sont abaissés au point de désobéir aux sentinelles et aux officiers de garde, les ont injuriés et même battus.

Voilà, en effet, ce que disaient les autorités militaires: «Le pillage continue en ville malgré la défense qui en a été faite; l'ordre n'est pas rétabli, pas un marchand ne trafique légalement; seules les vivandières vendent, et encore ce ne sont que des objets volés.

Sa bienfaisance fut également stérile: les faux et les vrais assignats, distribués si généreusement par Napoléon aux malheureux, inondaient Moscou et n'avaient aucun prix, l'argent même était échangé contre de l'or pour la moitié de sa valeur, car les Français ne recherchaient que ce dernier métal. La preuve la plus frappante du manque de vitalité de ces dispositions se trouve dans les efforts que fit Napoléon pour mettre fin au pillage et rétablir la discipline.

La situation de l'armée n'était-elle pas comparable dans ce moment à celle de l'animal blessé qui sent que sa perte est prochaine et qui est affolé par la terreur? Les habiles manœuvres de Napoléon et ses projets grandioses, depuis le moment de son entrée à Moscou jusqu'à celui de la destruction de ses troupes, ne sont-ils pas, en effet, comme les bonds et les convulsions qui précèdent la mort de l'animal blessé? Effrayé par le bruit, il se jette en avant, reçoit le coup du chasseur, et revient sur ses pas, hâtant ainsi lui-même sa fin. Napoléon, sous la pression de son armée, fit de même. Le bruit de la bataille de Taroutino l'effraya, il se jeta en avant, atteignit le chasseur, et revint, lui aussi, sur ses pas, pour reprendre le chemin le plus désavantageux, le plus dangereux, les voies anciennes et connues.

Dans son activité diplomatique, les arguments employés par Napoléon pour démontrer sa générosité et sa justice en causant avec Toutolmine et Iakovlew furent également superflus: Alexandre ne reçut pas ses ambassadeurs, et ne répondit pas à leur mission. En ce qui concerne ses mesures juridiques, malgré le supplice des faux incendiaires, la moitié de Moscou brûla. Ses mesures administratives ne furent pas plus heureuses: l'institution de la municipalité n'arrêta pas le pillage, et ne profita qu'aux individus qui en firent partie; ceux-là, sous prétexte de rétablir l'ordre, pillaient pour leur compte, ou ne s'occupaient que de préserver leur propre avoir. Dans la sphère religieuse, la visite à la mosquée, qui, en Égypte, avait si bien réussi, ne porta à Moscou aucun fruit. Deux ou trois prêtres essayèrent d'exécuter la volonté impériale, mais l'un fut souffleté par un soldat français pendant l'office, et un fonctionnaire fit le rapport suivant sur l'autre: «Le prêtre que j'avais découvert et invité à recommencer à dire la messe a nettoyé et fermé l'église. Cette nuit on est venu de nouveau enfoncer les portes, casser les cadenas, déchirer les livres et commettre d'autres désordres.» Quant au commerce, la proclamation «aux paisibles artisans et aux paysans» resta sans réponse, par la raison qu'il n'y avait pas de «paisibles artisans» et que les «paysans» faisaient la chasse aux émissaires qui s'égaraient jusque chez eux avec cette proclamation, et les tuaient sans merci. Les spectacles organisés pour l'amusement du peuple et des troupes ne réussirent pas davantage; théâtres ouverts au Kremlin et dans la maison Pozniakow furent aussitôt fermés, car les acteurs et les actrices furent dépouillés de tout ce qu'ils avaient.

Cette armée, comme un troupeau débandé qui foule à ses pieds le fourrage destiné à le sauver de la famine, fondait peu à peu et périssait sous l'influence du séjour. Elle ne sortit de sa torpeur que lorsqu'elle fut saisie d'une terreur panique, causée par la prise des convois sur la route de Smolensk et par la nouvelle de la bataille de Taroutino; Napoléon la reçut au moment où il passait une revue; ainsi que le dit M. Thiers, elle éveilla en lui le désir de châtier les Russes: aussi s'empressa-t-il d'ordonner le départ, désiré par toute l'armée. En s'enfuyant de Moscou, les soldats traînèrent avec eux tout ce qu'ils purent prendre. Napoléon lui-même emportait son trésor particulier. Les énormes convois qui entravaient la marche de l'armée l'effrayaient, mais, dans sa grande expérience de la guerre, il ne fit pas brûler les fourgons, comme il l'avait exigé d'un de ses maréchaux en approchant Moscou. Ces calèches, ces voitures, pleines de soldats et de butin, trouvèrent grâce à ses yeux, parce que, disait-il, ces équipages pouvaient être employés plus tard pour les vivres, les malades et les blessés.

Napoléon, qui se présente à nous comme l'instigateur du mouvement, ainsi qu'aux yeux des sauvages la figure sculptée sur la proue d'un bâtiment semble en être le guide, était, à cette époque de sa vie, semblable à un enfant qui, se cramponnant aux courroies de l'intérieur de la voiture, s'imagine que c'est lui qui la conduit.

0.26%
X