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La guerre et la paix

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VI

Le lendemain, les troupes furent réunies dès le soir sur les différents points et se mirent en marche pendant la nuit. Les ténèbres étaient profondes, et de sombres nuages, d'un noir violacé, couvraient le ciel, mais il ne pleuvait pas. La terre était humide, et les soldats avançaient sans proférer une parole; l'artillerie seule laissait deviner sa présence par le bruit métallique de ses fourgons. Il était défendu de parler, de fumer, de faire du feu; les chevaux eux-mêmes semblaient se retenir de hennir. Le mystère de l'entreprise en augmentait l'attrait, et les hommes marchaient gaiement. Quelques colonnes s'arrêtèrent, placèrent leurs fusils en faisceaux et s'étendirent sur la terre froide, croyant bien être arrivées à leur destination. D'autres, et c'était la majorité, marchèrent toute la nuit, et arrivèrent naturellement là où elles ne devaient pas se trouver.

Le comte Orlow-Denissow, avec son faible détachement de cosaques, fut le seul à gagner son poste à temps. Il s'établit dans un taillis sur la lisière d'une forêt, côtoyée par un sentier, qui menait du village de Stromilow à celui de Dmitrovsk.

—Vraiment, qu'en pensez-vous? faut-il en rester là, oui ou non?

—On peut faire revenir Grékow, dit un officier de sa suite, qui, comme lui, commençait à douter du succès de l'entreprise.

—Faites-le revenir.

—C'est ça! dit le comte, qu'on le rappelle!... Mais il sera tard, il va faire jour.»

«Mais rappelle-toi bien, dit le comte à ce dernier, que si tu as menti, je te ferai pendre comme un chien!... Si tu as dit la vérité, tu auras cent pièces d'or.»

«Je ne reçois de leçons de personne, et je sais mourir avec mes soldats aussi bien qu'un autre!»

Un aide de camp s'enfonça dans le bois à la recherche de Grékow. Lorsque ce dernier revint, le comte, involontairement agité par ce changement de résolution, et par l'infructueuse attente des colonnes d'infanterie, ainsi que par le voisinage de l'ennemi, se décida à l'attaque. «À cheval!» dit-il tout bas.

Le sous-officier ne répondit rien, se mit lestement en selle et suivit le général Grékow d'un air résolu. Ils disparurent dans le bois. Le comte, frissonnant sous l'impression du froid, avant-coureur du jour naissant, et inquiet de la responsabilité qu'il venait d'assumer, fit quelques pas hors de la forêt pour examiner le camp ennemi, que l'on entrevoyait à peine, à la distance d'une verste, dans la vague et confuse lumière de l'aube et des feux de bivouac qui s'éteignaient. Nos colonnes devaient déboucher sur le versant incliné, à la droite du comte Orlow-Denissow. Il avait beau étudier tout le terrain, il ne voyait rien paraître: il lui sembla seulement remarquer dans le camp français l'agitation du réveil: «Oh! il est trop tard,» se dit-il; il était désabusé, comme cela arrive parfois lorsque nous ne subissons plus l'influence de l'homme auquel nous nous sommes confiés; évidemment ce sous-officier était un traître qui l'avait trompé, l'attaque projetée avorterait, malgré les deux régiments que Grékow allait entraîner Dieu sait où: «Est-il possible de penser qu'on va surprendre le général en chef au milieu de forces aussi considérables? Le coquin aura menti!

Le cri d'alerte poussé par le premier Français qui aperçut les cosaques mit le camp en émoi. Tous se jetèrent, à moitié endormis et à peine vêtus, sur les canons, sur les fusils, sur les chevaux, et coururent de tous côtés, en perdant la tête. Si nos cosaques les avaient poursuivis sans se préoccuper de ce qui se passait autour d'eux, ils auraient infailliblement fait Murat prisonnier, comme les chefs le désiraient, mais il fut impossible de les empêcher de piller et de faire des prisonniers. Personne n'écoutait le commandement. 1 500 prisonniers, 38 bouches à feu, des drapeaux, des chevaux, des harnachements de toutes sortes, furent pris à l'ennemi; et la mise en sûreté des prisonniers et des canons, et le partage du butin, avec l'accompagnement habituel de querelles et de cris, firent perdre un temps précieux. Les Français, revenus de leur première panique et voyant qu'on ne les poursuivait pas, se formèrent et attaquèrent à leur tour Orlow-Denissow; comme il attendait des renforts qui ne lui arrivaient pas, il ne put leur répondre vigoureusement.

Le comte, qui s'était endormi un peu avant le jour, fut réveillé pour questionner un déserteur du camp français. C'était un sous-officier polonais du corps de Poniatowsky; il déclara avoir déserté parce qu'il était victime d'un passe-droit, qu'il aurait dû être nommé officier depuis longtemps, qu'il était le plus brave d'eux tous, et qu'il comptait bien s'en venger. Il assurait que Murat avait passé la nuit à une verste des Russes, et que, si on consentait à lui donner une escorte de cent hommes, il s'engageait à le faire prisonnier. Le comte Orlow tint conseil avec ses camarades, et, la proposition leur paraissant trop séduisante pour la refuser, ils se montrèrent disposés à tenter l'entreprise. Enfin, après beaucoup de discussions et de combinaisons, le général-major Grékow se décida à suivre, avec deux régiments de cosaques, le sous-officier polonais.

Chacun se mit à son poste, se signa, et l'on partit. Un hourra retentit dans la forêt, et les sotnias de cosaques, s'éparpillant comme les grains qui s'échappent d'un sac de blé, s'élancèrent crânement, la lance en avant, franchirent le ruisseau et se dirigèrent vers le camp ennemi.

Cependant les colonnes d'infanterie étaient en retard; commandées par Bennigsen et dirigées par Toll, elles s'étaient mises en marche à l'heure précise, et avaient atteint un point qui n'était pas celui qui leur avait été désigné. Les hommes, gais au début, ne tardèrent pas à laisser des traînards derrière eux, et le sentiment de l'erreur commise provoqua d'autant plus de murmures, qu'on les ramena en arrière. Les aides de camp, envoyés pour réparer la bévue, étaient malmenés par les généraux, qui, de leur côté, criaient, se disputaient, et enfin, de guerre lasse, se mettaient en marche sans but arrêté. «Nous arriverons toujours quelque part!» se dirent-ils. En effet ils arrivèrent, mais pas à l'endroit où ils devaient aller. Quelques-uns sans doute se trouvèrent à leur poste, mais l'heure était déjà passée, ils ne pouvaient servir à rien, sinon à essuyer le feu de l'ennemi. Toll, qui, à cette bataille, avait joué le rôle de Weirother à Austerlitz, galopait sur toute la ligne, et constatait que tout avait été fait au rebours des ordres donnés. Ainsi il rencontra dans la forêt, lorsqu'il faisait déjà grand jour, le corps de Bagovouth, qui aurait dû depuis longtemps appuyer les cosaques d'Orlow-Denissow. Désespéré, dépité de son insuccès et l'attribuant à la faute d'un individu, Toll aborda le chef de corps en l'accablant des plus violents reproches et en le menaçant même de le faire fusiller. Bagovouth, vieux et calme militaire, d'un courage à toute épreuve, exaspéré par les ordres contradictoires qu'il recevait de tous les côtés à la fois, par les temps d'arrêt sans cause, et le désordre qui régnait autour de lui, fut pris à son tour, à l'étonnement de tous et en opposition avec son caractère habituel, d'un accès de rage et lui répondit vertement:

Le brave Bagovouth, ne se connaissant plus de colère, sans se donner la peine de juger du plus ou moins d'opportunité de sa diversion, marcha, avec sa seule division, droit au feu. Le danger, les bombes, les balles étaient ce qui convenait le mieux pour le moment à son irritation; aussi fut-il frappé par un des premiers projectiles, tandis que les suivants abattaient un grand nombre de ses braves soldats. C'est ainsi que sa division resta quelque temps exposée, sans utilité aucune, au feu de l'ennemi.

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