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La guerre et la paix

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III

L'armée russe était dirigée sur place par Koutouzow et son état-major, et de Pétersbourg par l'Empereur lui-même. Avant qu'on eût reçu la nouvelle de l'abandon de Moscou, on avait envoyé à Koutouzow, pour lui faciliter sa besogne, un plan détaillé de toute la campagne; l'état-major l'accepta malgré le changement produit par les circonstances. Quant à Koutouzow il répondit que les dispositions prises à distance étaient difficiles à exécuter. Aussi continuait-on à lui expédier messages sur messagers avec de nouvelles instructions, pour trancher les difficultés au fur et à mesure qu'elles se produisaient, et faire ensuite leur rapport sur ses faits et gestes.

Des changements importants avaient lieu dans les commandements de l'armée. Il fallait remplacer Bagration, qui avait été tué, et Barclay, qui s'était éloigné, offensé d'être mis dans une position subalterne. On discutait très sérieusement s'il valait mieux mettre A. à la place de D. ou bien D. à la place d'A., et ainsi de suite, comme s'il ne s'agissait, dans le choix à faire, que d'une question de personnes.

«Si je ne vous connaissais pas, répondit Bennigsen, j'aurais cru que vous désiriez le contraire de ce que vous me demandez, car il suffit que je conseille une chose, pour que Son Altesse fasse tout l'opposé.»

«Prince Michel Ilarionovitch!

«Moscou est au pouvoir de l'ennemi depuis le 2 septembre. Vos derniers rapports datent du 20, et depuis lors, non seulement vous n'avez rien entrepris contre l'ennemi pour la délivrance de notre première capitale, mais vous vous êtes même replié. Serpoukhow est occupé par un détachement ennemi, et Toula, avec son importante manufacture d'armes, si nécessaire à l'armée, est menacée. J'ai vu, par les rapports de Wintzingerode, que l'ennemi fait marcher un corps de 10 000 hommes vers la route de Pétersbourg; un autre de plusieurs milliers à la direction de Dmitrow; un troisième s'est avancé sur la route de Vladimir; enfin un quatrième s'est concentré entre Rouza et Mojaïsk. Napoléon lui-même était encore à Moscou le 25 avec sa garde. Du moment que ses troupes sont ainsi divisées en détachements considérables, est-il possible que vous ayez en face de vous des forces ennemies assez nombreuses pour vous empêcher de prendre l'offensive? Il est au contraire à présumer que vous êtes, poursuivi par des fractions, ou, tout au moins, par des corps inférieurs en importance à l'armée confiée à votre commandement. Il semblerait que, profitant de ces conjonctures, vous auriez pu attaquer un ennemi plus faible que vous, le détruire, ou au moins le forcer à la retraite, nous conserver la majeure partie des gouvernements occupés aujourd'hui par lui, et préserver ainsi de tout danger la ville de Toula et les autres villes de l'intérieur de l'Empire. Si l'ennemi est en état de diriger un corps d'armée considérable vers Pétersbourg, en partie dégarni de troupes, vous en porterez la responsabilité, car, en agissant avec énergie et décision, vous deviez, avec les moyens dont vous disposez, nous préserver de ce nouveau malheur. N'oubliez point que vous devez rendre compte à la patrie indignée de la perte de Moscou. Vous savez, par expérience, que j'ai toujours été prêt à vous récompenser. Je le suis encore, mais Moi et la Russie nous sommes en droit d'attendre de votre côté un entier dévouement, une fermeté à toute épreuve et des succès que votre intelligence, vos talents militaires et la valeur des troupes que vous commandez nous autorisent à espérer.»

Par suite de l'inimitié qui existait entre Koutouzow et Bennigsen, de la présence des personnes de confiance envoyé par l'Empereur, des permutations indispensables à opérer, une partie bien plus compliquée se jouait à l'état-major de l'armée. On se contrecarrait à qui mieux mieux, et l'objet de toutes ces intrigues était l'entreprise militaire que les uns et les autres s'imaginaient diriger à leur guise, tandis qu'elle poursuivait son chemin en dehors de leur influence et de leur action, et n'était, en réalité, que la conséquence des rapports des masses entre elles. Du reste, cet enchevêtrement de combinaisons de toutes sortes dans les hautes régions du pouvoir faisait exactement pressentir ce qui allait arriver.

Lorsque cette lettre arriva à Koutouzow, celui-ci avait livré bataille, ne pouvant plus empêcher son armée de prendre l'offensive. Le 2 octobre, le cosaque Schapovalow, battant la plaine, tua un lièvre et en blessa un autre; en poursuivant ce dernier, il se laissa entraîner au loin dans la forêt, et tomba inopinément sur le flanc gauche de l'armée de Murat, qui ne se gardait pas. Il raconta la chose en riant à ses camarades, et le porte-drapeau qui l'entendit en fit part à son commandant. Le cosaque fut appelé, questionné, et ses chefs eurent l'idée de profiter de cette bonne aubaine pour enlever des chevaux, et l'un d'eux, connu des hauts fonctionnaires de l'armée, communiqua le fait à un général de l'état-major. La situation y était des plus tendues dans ces derniers temps. Yermolow était venu trouver Bennigsen quelques jours auparavant pour le supplier d'user de son influence sur le commandant en chef afin qu'il se décidât à l'attaque.

Le 2 octobre, dans une lettre qui ne fut reçue par Koutouzow qu'après la bataille de Taroutino, l'Empereur lui écrivait:

Le récit des cosaques, confirmé par d'autres éclaireurs, démontra que tout était prêt pour l'explosion. Les ressorts se détendirent, les rouages grincèrent et, le carillon joua. En dépit de son pouvoir présumé, de son intelligence, de son expérience, de sa connaissance des hommes, Koutouzow, prenant en considération le rapport envoyé par Bennigsen à l'Empereur, le désir exprimé par tous les généraux, celui qu'on imputait à Sa Majesté, la nouvelle apportée par les cosaques, n'eut pas la force de comprimer ce mouvement: il ordonna donc ce qu'il considérait comme inutile et même nuisible, il donna son assentiment au fait accompli.

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