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La guerre et la paix

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VII

La nouvelle de la terrible bataille de Borodino et de nos incalculables pertes en blessés et en morts arriva à Voronège vers la mi-septembre. La princesse Marie, n'ayant eu connaissance de l'état de son frère que par les journaux, se décida à aller à sa recherche; Nicolas, qui ne l'avait pas encore revue, l'apprit ensuite par d'autres personnes. Ces tristes événements n'éveillèrent dans son âme ni désespoir ni désir de vengeance, mais il en éprouva un certain embarras à prolonger son séjour à Voronège. Toutes les conversations sonnaient faux à son oreille; il ne savait comment juger ce qui s'était passé, et se disait qu'il ne s'en rendrait exactement compte que lorsqu'il se retrouverait dans l'atmosphère de son régiment. Il se hâtait donc de terminer ses achats de chevaux, et se mettait en colère plus souvent que d'habitude contre son valet de chambre et son maréchal des logis.

Quelques jours avant son départ eut lieu à la cathédrale une messe avec Te Deum, à l'occasion des victoires remportées par les troupes russes. Il s'y rendit comme les autres et se plaça à quelques pas du gouverneur; ayant pris une attitude officielle, il eut tout le loisir de penser à autre chose. La cérémonie achevée, la gouvernante l'appela d'un signe.

—Oh! ce serait affreux!» dit la princesse Marie en l'interrompant, et comme l'émotion l'empêchait d'achever sa phrase, elle inclina la tête d'un mouvement plein de grâce comme l'étaient tous ses gestes en présence de Rostow, lui jeta un regard de reconnaissance et rejoignit sa tante.

—De la part du gouverneur, répondit Lavrouchka d'une voix endormie. Il est arrivé un courrier: c'est une lettre pour vous.

—Bien, merci, va-t'en!»

«Sonia.»

«Je tenais à vous dire, princesse, reprit Rostow, que comme le prince André est commandant de régiment, s'il était mort, les journaux l'auraient annoncé.»

«Je connais beaucoup d'exemples, poursuivit-il, où la blessure causée par un éclat d'obus peut n'être que très légère, elle n'est pas immédiatement mortelle. Il faut espérer, et je suis sûr que...

«Imbécile! qui te permet de venir ainsi sans être appelé! dit Nicolas en changeant subitement de pose.

«As-tu vu la princesse?» lui demanda-t-elle en lui désignant une dame en deuil qui se tenait à l'écart.

Nicolas l'avait déjà aperçue et reconnue, non pas à son profil qui se dessinait sous son chapeau, mais au sentiment de pitié et de crainte qui s'était tout à coup emparé de lui en la voyant. Absorbée dans ses prières, la princesse Marie faisait ses derniers signes de croix avant de sortir de l'église; l'expression de sa figure le frappa de surprise: c'étaient bien les mêmes traits, sur lesquels on pouvait lire la lutte patiente de son âme, mais une flamme intérieure les éclairait d'une autre lumière, et elle était dans ce moment l'image la plus touchante de la douleur, de la prière et de la foi! Sans attendre l'avis de sa protectrice, sans se demander s'il était oui ou non convenable de lui adresser la parole à l'église, il se rapprocha d'elle pour lui dire qu'il prenait une part sincère au nouveau malheur qui venait de la frapper. À peine eut-elle entendu sa voix, qu'un rayonnement de douleur et de joie illumina soudain son visage.

Le nœud gordien qui enchaînait son avenir était tranché par la lettre inattendue de Sonia. Elle lui écrivait que la perte de la plus grande partie de la fortune des Rostow, par suite des terribles circonstances de ces derniers temps, et le vœu plusieurs fois exprimé par la comtesse, de voir Nicolas épouser la princesse Bolkonsky, son silence, sa froideur, tous ces motifs réunis l'avaient décidée à le délier de ses promesses à lui rendre sa parole. «Il m'est trop pénible, disait-elle, de penser que je pourrais devenir une cause de malheurs et de brouille au sein d'une famille qui m'a comblée de ses bienfaits. Mon amour n'ayant pour but que le bonheur de ceux que j'aime, je viens vous supplier, Nicolas, de reprendre votre liberté et de croire, malgré tout, que personne ne vous aimera jamais plus profondément que votre

La seconde lettre était de la comtesse, qui décrivait leurs derniers jours à Moscou, leur départ, l'incendie et leur ruine complète. Elle ajoutait que le prince André, grièvement blessé voyageait avec eux, mais que maintenant le docteur espérait le sauver. Sonia et Natacha étaient ses gardes-malades.

Il y avait deux lettres, une de sa mère et une de Sonia; ce fut celle-ci qu'il décacheta tout d'abord. À la lecture des premières lignes il pâlit, et ses yeux s'agrandirent de joie et de terreur: «Non, c'est impossible!» dit-il tout haut. Son agitation était si grande, qu'il ne put rester en place, et il lut la lettre en marchant à grands pas. Il la lut une fois, deux fois, enfin, haussant les épaules et faisant un geste de surprise, s'arrêta au milieu de la chambre, la bouche béante et les yeux fixes. Sa prière à Dieu avait donc été exaucée! Il en était aussi stupéfait que si, en réalité, c'eût été la chose la plus extraordinaire du monde, et il croyait même voir dans la réalisation prompte de ses désirs la preuve qu'elle était l'œuvre, non pas de Dieu, mais d'un simple hasard.

Elle le regarda sans le comprendre et en se laissant aller au charme de la sympathie qu'il lui témoignait.

Ce soir-là Nicolas resta chez lui, afin de terminer au plus vite ses comptes avec les maquignons. Quand il les eut mis en règle, ce qui ne fut pas long, il arpenta longtemps sa chambre, en passant, contre son habitude, toute son existence en revue. Son entrevue du matin avec la princesse Marie lui avait causé une impression plus profonde qu'il ne l'aurait désiré pour son repos. Ses traits fins, pâles et mélancoliques, son regard lumineux, ses gestes doux et gracieux, et surtout cette douleur tendre et profonde qui s'exhalait de toute sa personne, le troublaient et commandaient sa sympathie. Autant Rostow aimait peu à trouver chez un homme la preuve d'une supériorité morale (c'était pourquoi il n'avait jamais eu de penchant pour le prince André, qu'il traitait volontiers de philosophe et de rêveur), autant chez la princesse Marie cette douleur, dans laquelle il entrevoyait la profondeur de ce monde spirituel où était comme un étranger, l'attirait d'une façon irrésistible. Quelle merveilleuse femme! Ce doit être un ange véritable! Pourquoi ne suis-je pas libre? Pourquoi me suis-je tant pressé avec Sonia?» Et involontairement il établissait une comparaison entre l'absence chez l'une et l'abondance chez l'autre de ces dons de l'âme qu'il ne possédait pas, et dont, pour cette raison même, il faisait tant de cas. Il se complaisait à se représenter comment il eût agi s'il avait été libre, comment il lui aurait demandé sa main et comment elle serait devenue sa femme; mais à cette pensée il avait froid, et ne voyait plus devant ses yeux que des images confuses. Associer la princesse Marie à de riants tableaux lui semblait impossible. Il l'aimait sans la comprendre, tandis que dans le souvenir de Sonia tout était clair et simple, parce que pour lui il n'y avait en elle rien de mystérieux. «Comme elle priait! se disait-il. C'est bien là la foi qui transporte les montagnes, et je suis sûr que sa prière sera exaucée. Pourquoi ne puis-je prier ainsi et demander ce dont j'ai besoin? De quoi ai-je besoin? D'être libre et de rompre avec Sonia! La femme du gouverneur avait raison: mon mariage avec elle n'amènera que des malheurs, le désespoir de maman, les affaires.... Ah! quel embarras! quel embarras! Et puis, je ne l'aime pas, non, je ne l'aime pas comme il faudrait l'aimer! Ah! mon Dieu, qui m'aidera à sortir de cette affreuse impasse?» s'écria-t-il en déposant sa pipe dans un coin; et, les mains jointes, tout entier au souvenir de la princesse Marie, il se plaça devant l'image, les yeux pleins de larmes, et pria comme il n'avait pas prié depuis longtemps. Soudain la porte s'ouvrit et Lavrouchka entra: il lui apportait quelques lettres.

Nicolas alla le lendemain porter cette lettre à la princesse Marie, qui, pas plus que lui, ne fit de commentaires sur les soins que Natacha donnait au blessé. Cette lettre établit entre eux comme un lien de parenté. Il assista même au départ de la princesse pour Yaroslaw et retourna ensuite à son régiment.

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