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La guerre et la paix

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V

Nicolas, assis dans un large fauteuil, s'amusait à prendre différentes poses pour mieux faire valoir la jolie forme de ses pieds, chaussés pour la circonstance d'une paire de bottes irréprochables; il ne cessait de sourire et de faire des compliments ampoulés à la jolie blonde, en lui confiant tout bas son projet d'enlever une des dames de la ville.

«Laquelle?

—À l'instant, ma tante, mais qui est-elle?

—Viens, viens ici, mon ami, asseyons-nous...» Et tout à coup il se sentit irrésistiblement poussé à prendre pour confidente cette femme, qui était presque une étrangère pour lui, et à lui confier ses plus secrètes pensées, celles qu'il n'aurait pas même dites à sa mère, à sa sœur ou à son ami le plus intime.

—Tu crois donc que je vais t'empoigner là, tout de suite, et te marier séance tenante? Il y a manière et manière.

—Sa nièce est la princesse Bolkonsky; elle est ici avec sa tante. Oh! comme te voilà rouge, qu'est-ce donc?

—Quelle idée! Nous sommes amis,» reprit Nicolas, qui, dans sa naïve simplicité, ne pouvait supposer qu'un aussi agréable passe-temps pût porter ombrage à quelqu'un.... «J'ai pourtant répondu une fière bêtise à la femme du gouverneur, se dit-il à souper. La voilà qui va tripoter mon mariage; et Sonia?»

—Oh! une femme ravissante, divine! Ses yeux, ajouta Nicolas en regardant sa voisine, ses yeux sont bleus, ses lèvres de corail, ses épaules d'une blancheur... sa taille celle de Diane!»

—Oh! je le comprends, dit la bonne dame, mais ici ce serait autre chose.

—Mon cher, mon cher, comment peut-on parler ainsi? Sonia n'a rien, et tu m'as dit toi-même que vos affaires étaient dérangées; quant à ta maman, cela la tuera, et Sophie elle-même, si elle a du cœur, ne voudra pas assurément d'une telle existence: une mère au désespoir, une fortune en déroute.... Non, non, mon cher, Sophie et toi vous devez le comprendre.»

—Mais pas du tout, ma tante, je vous assure.

—Mais il y en a beaucoup que j'ai sauvées, reprit Nicolas.

—Mais elle n'est pas laide du tout, s'écria Nicolas d'un ton offensé; quant à moi, ma tante, j'agis en soldat, je ne m'impose à personne, et je ne refuse rien, poursuivit-il sans se donner le temps de réfléchir à sa réponse.

—La princesse Marie! Catherine Pétrovna propose Lili; moi, je penche pour la princesse.... Veux-tu? Je suis sûre que ta maman m'en remerciera; c'est une fille charmante et pas du tout si laide qu'on veut bien le dire.

—Je vous avouerai franchement que la princesse Bolkonsky me plaît beaucoup; elle me convient, et depuis que je l'ai vue dans une si triste situation, je me suis souvent dit que c'était le sort.... Et puis, vous savez sans doute que maman a toujours désiré ce mariage: mais je ne sais comment cela s'est fait, nous ne nous étions jamais rencontrés jusque-là. Ensuite, lorsque ma sœur Natacha devint la fiancée de son frère, il ne me fut plus possible de demander sa main, et voilà que je la rencontre aujourd'hui au moment où ce mariage se rompt et que tant d'autres circonstances.... Enfin, voilà ce qui en est: je n'en ai jamais parlé à personne, je ne le dis qu'à vous.»

—C'est Mme Malvintzew. Elle a entendu parler de toi par sa nièce que tu as sauvée... devines-tu?

—Bien, bien, monsieur le mystérieux!» Et elle le présenta à une vieille dame, très grande, très forte, coiffée d'une toque bleue, qui venait de finir sa partie avec les gros bonnets la ville.

—Avec qui, ma tante?

—Alors souviens-toi que ce n'est pas une plaisanterie, et dans ce cas, mon cher, je te ferai observer que tu es trop assidu auprès de l'autre, de la blonde! Le mari fait vraiment peine à voir!

«Vous connaissez Sonia, ma cousine? Je l'aime, je lui ai promis de l'épouser, et je l'épouserai.... Vous voyez donc qu'il ne peut plus être question de l'autre..., ajouta-t-il en hésitant et en rougissant.

«Voici ce que c'est, ma tante. Maman tient à me marier depuis longtemps à quelqu'un de riche, mais un mariage d'argent m'est souverainement antipathique.

«Sais-tu, mon cher, lui dit-elle en donnant un air de gravité à son bienveillant petit visage, j'ai trouvé un parti pour toi; veux-tu que je te marie?

«Pourtant, ma tante, c'est impossible, poursuivit-il avec un soupir. La princesse Marie voudra-t-elle de moi, et puis elle est en deuil, on ne peut guère y penser?

«Je dois vous dire, ma tante, que...

«Enchantée, mon cher! dit-elle en lui tendant la main. Venez me voir.»

«Anna Ignatievna demande à te voir, Nicolas,—et elle prononça ce nom de manière à lui faire comprendre que cette dame était un personnage important.—Allons, viens!

«Ah! Nikita Ivanitch!» dit Rostow en se levant poliment... et, comme pour l'inviter à prendre part à ses plaisanteries, il lui exposa son intention d'enlever une blonde.

Sur le point de retourner à la danse, il fut arrêté par la petite main potelée de Mme la gouvernante, qui avait quelques mots à lui dire; elle l'emmena dans un salon d'où les invités se retirèrent par discrétion.

Nicolas se taisait, mais cette conclusion ne lui était pas désagréable:

Mme la gouvernante redoubla d'attention...

Lorsque plus tard il se souvint de cette explosion de franchise inexplicable, que rien ne motivait et qui eut pour lui de très graves conséquences, il l'attribua à un effet du hasard.

Le mari s'approcha à ce moment et demanda à sa femme d'un air sombre le sujet de leur conversation.

Cette confidence fut froidement reçue par le mari: la femme rayonnait. Mme la gouvernante, qui était une excellente personne, s'approcha d'eux d'un air moitié souriant et moitié sévère.

C'était Mme Malvintzew, la tante de la princesse Marie, du côté de sa mère, veuve riche et sans enfants, fixée pour toujours à Voronège. Elle était debout et payait sa dette de jeu, lorsque Rostow la salua. Le regardant de toute sa hauteur, et fronçant le sourcil, elle continua à malmener le général qui lui avait gagné son argent.

Aussi, lorsqu'il lui fit ses adieux et qu'elle lui rappela en souriant leur conversation, il la prit à part:

Après avoir échangé quelques mots avec lui au sujet de princesse Marie, et de son défunt père, qu'elle n'avait jamais porté dans son cœur, elle lui demanda des nouvelles du prince André, pour lequel elle n'avait pas non plus une grande sympathie; elle le congédia enfin, en lui réitérant son invitation, Nicolas lui promit de s'y rendre et rougit de nouveau en la quittant, car le nom de la princesse Marie lui faisait éprouver un sentiment incompréhensible de timidité et même de crainte.

—Oh! quelle marieuse vous faites, ma tante,» dit Nicolas en baisant sa petite main grassouillette.

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