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La guerre et la paix

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XXXI

Le vieux valet de chambre alla prévenir le comte que Moscou brûlait; celui-ci passa sa robe de chambre, et alla s'assurer du fait, en compagnie de Sonia et de Mme Schoss, qui ne s'étaient pas encore déshabillées. Natacha et sa mère restèrent seules dans la chambre. Pétia les avait quittées le matin même pour s'en aller avec son régiment du côté de Troïtsk. La comtesse se mit à pleurer à la nouvelle de l'incendie de Moscou, tandis que Natacha, les yeux fixes, assise sur le banc, dans le coin des bagages, n'avait fait aucune attention aux paroles de son père; volontairement elle prêtait l'oreille aux plaintes du malheureux aide de camp blessé, qui lui parvenaient distinctement, quoiqu'elle en fût éloignée de trois ou quatre maisons.

«Ah! l'horrible spectacle! s'écria Sonia en rentrant épouvantée.... Je crois que tout Moscou brûle... la lueur est énorme... regarde, Natacha, on la voit d'ici.»

—Qu'est-ce qui brûle? demanda Natacha.... Ah oui! Moscou!» Et, afin de se débarrasser de Sonia sans cependant l'offenser, elle avança la tête vers la fenêtre, et reprit aussitôt sa première position.

—Oui, tout de suite,» répondit Natacha en se déshabillant à la hâte et en arrachant, pour aller plus vite, les cordons de ses jupons.

—Non, reprit-elle, couchez-vous, je reste où je suis...» Et elle enfouit sa tête dans l'oreiller.

—Me coucher? Ah oui! je vais me coucher tout à l'heure,» répondit-elle.

—J'ai tout vu, au contraire, je t'assure,» dit-elle d'une voix suppliante, qui semblait demander qu'on la laissât en repos.

«Vois donc, Natacha, comme ça brûle.

«Viens, couche-toi, mon enfant, répéta-t-elle en lui touchant légèrement l'épaule.

«Tu as froid, lui dit-elle en l'embrassant. Tu trembles, tu devrais te coucher.

«Sonia, tu dors? Maman?» murmura-t-elle.

«Non, maman, je me coucherai là, par terre,» répondit Natacha avec un mouvement d'impatience, et, s'approchant de la fenêtre, elle l'ouvrit.

«Natacha, mon enfant, déshabille-toi, viens te coucher sur mon lit.»

«Natacha, couche-toi au milieu.

«Maman, je crois qu'elle dort,» dit tout bas Sonia.

«Mais tu n'as rien vu!

Natacha se tourna du côté de Sonia sans avoir l'air de la comprendre, et fixa de nouveau ses yeux dans l'angle du poêle. Elle était tombée dans cette espèce de léthargie depuis le matin, depuis le moment où Sonia, à l'étonnement et au grand ennui de la comtesse, avait cru nécessaire de lui annoncer la présence du prince André parmi les blessés, ainsi que la gravité de son état. La comtesse s'était emportée contre Sonia comme elle ne l'avait jamais fait de sa vie. Celle-ci, tout en larmes, avait imploré son pardon et redoublait de soins auprès de sa cousine comme pour effacer sa faute.

Lorsque Natacha avait appris que le prince André était grièvement blessé et qu'il voyageait avec eux, elle avait fait questions sur questions pour savoir comment et quand c'était arrivé, et si elle pouvait le voir. On lui répondit que c'était impossible, que sa blessure était grave, mais que sa vie n'était pas en danger. Convaincue alors que, malgré toutes ses instances, on ne lui répondrait rien de plus, elle s'était tue et était restée immobile dans le fond de la voiture, comme elle l'était en ce moment sur le banc, dans le coin de la chambre. À voir ses yeux grands ouverts et fixes, la comtesse devinait comme elle en avait fait souvent l'expérience, que sa fille roulait dans sa tête quelque projet; la décision inconnue qu'elle allait prendre l'inquiétait au plus haut degré.

Les plaintes du blessé se faisaient toujours entendre; elle passa la tête hors de la fenêtre, dans l'air humide de la nuit, et sa mère s'aperçut que sa poitrine était secouée par des sanglots convulsifs. Natacha savait que celui qui souffrait ainsi n'était pas le prince André, elle savait aussi que ce dernier était couché dans l'isba contiguë à la leur, mais ces plaintes incessantes lui arrachaient des larmes involontaires. La comtesse échangea un regard avec Sonia.

Le comte se retira derrière la cloison et se coucha. La comtesse s'approcha de sa fille, lui tâta la tête avec le revers de la main, comme elle avait l'habitude de le faire quand elle était malade, et posa ses lèvres sur son front, pour voir si elle avait de la fièvre.

La comtesse, Sonia et Mme Schoss se déshabillèrent vivement. Bientôt la pâle clarté d'une veilleuse éclaira seule la chambre: au dehors, l'incendie du village, situé à deux verstes, illuminait l'horizon; des clameurs confuses partaient du cabaret voisin et de la rue, tandis que l'aide de camp continuait à gémir; Natacha écouta longtemps tous ces bruits, en s'abstenant toutefois de faire le moindre mouvement. Elle entendit sa mère prier et soupirer, le lit crier sous son poids, le ronflement sifflant de Mme Schoss, la respiration paisible de Sonia. À un certain moment, la comtesse appela sa fille, mais Natacha ne lui répondit pas.

La comtesse l'appela encore après quelques minutes de silence, mais cette fois Sonia ne répondit plus, et bientôt après Natacha put reconnaître à la respiration égale de sa mère, qu'elle s'était endormie. Elle ne bougea pas, quoique son petit pied nu, qui sortait de temps à autre de dessous le drap, frissonnât au contact froid du plancher. Le cri strident du grillon se fit entendre dans les fissures des poutres: il semblait de veiller, alors que tout le monde dormait. Un coq chanta dans le lointain; un autre lui répondit tout à côté, les cris cessèrent dans le cabaret, mais les plaintes du blessé ne cessèrent pas.

La comtesse et Sonia comprirent que rien en ce moment ne pouvait avoir d'intérêt pour elle.

Dès que Natacha avait su que le prince André les suivait, elle avait résolu d'avoir une entrevue avec lui; tout en la jugeant indispensable, elle pressentait qu'elle serait pénible. L'espérance de le voir l'avait soutenue toute la journée, mais, le moment venu, une terreur sans nom s'empara d'elle. Était-il défiguré ou tel qu'elle se figurait le blessé dont les gémissements la poursuivaient? Oui, ce devait être ainsi, car dans son imagination ces cris déchirants se confondaient avec l'image du prince André. Natacha se souleva.

Après avoir passé sa camisole, elle s'assit par terre sur le lit qui avait été préparé, et, jetant ses cheveux par-dessus son épaule, elle commença à les tresser. Tandis que de ses doigts fluets elle défaisait et refaisait rapidement sa natte, et que sa tête se balançait machinalement à chacun de ses mouvements, ses yeux, dilatés par la fièvre, regardaient fixement dans le vague. Sa toilette de nuit achevée, elle se laissa doucement tomber sur le drap qui recouvrait le foin.

(La comtesse seule en avait un: Mme Schoss et les jeunes filles couchaient sur du foin.)

Pas de réponse. Elle se leva alors tout doucement, se signa et, posant légèrement sur le plancher son pied cambré et flexible, elle glissa sur les planches malpropres, qui crièrent sous sa pression, et s'élança avec l'agilité d'un jeune chat jusqu'à la porte, où elle se cramponna au loquet. Il lui semblait que les cloisons de l'isba retentissaient de coups frappés en mesure, tandis que c'était son pauvre cœur qui battait à se rompre, de frayeur et d'amour. Elle ouvrit la porte, franchît le seuil, et toucha de la plante du pied le sol humide de l'entrée couverte qui séparait les deux maisons. La sensation du froid la ranima, elle effleura de son pied déchaussé un homme qui dormait, et ouvrit la porte de l'isba où couchait le prince André. Il y faisait sombre derrière le lit placé dans un angle, et sur lequel se dessinait une forme vague, brûlait sur un banc une chandelle, dont le suif, en coulant, avait formé à l'entour comme un chaperon. Lorsqu'elle entrevit devant elle cette forme indécise, dont les pieds relevés sous la couverture lui parurent être les épaules, elle crut voir quelque chose de si monstrueux, qu'elle s'arrêta épouvantée, mais elle avança, poussée par une force irrésistible. Marchant avec précaution, elle arriva au milieu de l'isba, qui était encombrée d'effets de toute sorte; dans le coin, au-dessous des images, un homme était étendu sur un banc, c'était Timokhine, également blessé à Borodino; le docteur et le valet de chambre étaient couchés par terre. Le valet de chambre se souleva en murmurant quelques mots. Timokhine, souffrant d'une blessure au pied, ne dormait pas et fixait ses yeux écarquillés sur l'étrange apparition de la jeune fille en camisole et en bonnet de nuit. Les quelques paroles indistinctes et effrayées qu'il prononça: «Qu'y a-t-il? Qui va là?» firent presser le pas à Natacha, et elle se trouva levant l'objet qui causait son épouvante. Quelque terrible que pût être l'aspect de ce corps, il fallait qu'elle le vît. En ce moment, une lumière plus vive jaillit de la chandelle fumeuse, et elle aperçut distinctement le prince André, les mains étendues sur la couverture, tel qu'elle l'avait toujours connu. Cependant son teint animé par la fièvre, ses yeux brillants fixés sur elle avec exaltation, son cou délicat comme celui d'un enfant, ressortant du col rabattu de la chemise, lui donnaient une apparence de jeunesse et de candeur qu'elle ne lui connaissait pas. Elle l'approcha vivement de lui, et d'un mouvement rapide, souple et gracieux elle se jeta à genoux. Il sourit et lui tendit la main.

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