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La guerre et la paix

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XVII

Enfin, à deux heures de l'après-midi, les quatre voitures, attelées et chargées, se tenaient alignées devant le perron, tandis que les charrettes chargées de blessés quittaient la cour une à une. La calèche dans laquelle se trouvait le prince André attira l'attention de Sonia, qui était occupée, avec la femme de chambre de la comtesse, à lui arranger un bon coin dans sa large et haute voiture.

«À qui cette calèche? demanda Sonia en passant sa tête par la portière.

—À moi, rien... pourquoi?... Ne m'interrogez pas, répondit-il, sentant que le regard joyeux de Natacha le pénétrait de son charme.

—Vous avez été là-bas pendant la bataille, dit la comtesse en interrompant sa fille.

—Rien, tout est prêt.

—Rien, rien!

—Restez-vous à Moscou, ou le quittez-vous?»

—Qui donc? Qui cela?

—Quelque chose de mauvais pour moi? Qu'est-ce donc?» demanda Natacha, toujours impressionnable comme une sensitive.

—Quelle idée! Tu te trompes!

—Quel prince? Comment s'appelle-t-il?

—Oui, j'y étais, dit Pierre, et demain il y en aura encore une.

—Ne le savez-vous donc pas, mademoiselle? dit la femme de chambre. Elle est au prince blessé qui a passé la nuit chez nous, et qui va maintenant nous suivre.

—Mais qu'avez-vous? reprit Natacha: vous n'êtes pas comme habitude.

—Mais c'est notre ancien fiancé, le prince Bolkonsky, répondit en soupirant la femme de chambre; on le dit à l'agonie...»

—Mais c'est Besoukhow!...» Et elle se pencha à la portière pour chercher à reconnaître un homme de forte stature, vêtu d'un caftan de cocher; rien qu'à le voir, on devinait que ce devait être un déguisement: il était suivi d'un petit vieillard à figure jaune et imberbe, enveloppé dans un manteau à collet de frise.

—Je vous donne ma tête à couper que c'est lui.... Halte, halte!» cria-t-elle au cocher.

—Et tu dis qu'il est mourant?»

—Eh bien, allons!...» Et la comtesse baissa la tête pour cacher son émotion.

—Comme je regrette de ne pas être homme, je serais restée avec vous, dit Natacha, car ce que vous faites est bien.... Maman, si vous permettez, je resterai!

À l'entrée, dans la cour, ceux qui partaient, les pantalons passés dans les tiges de leurs bottes, les habits serrés à la taille par des courroies et des ceintures, armés des poignards et des sabres distribués par Pétia, prenaient congé de ceux qui restaient. Comme toujours, au moment du départ il arriva que bien des objets furent oubliés ou mal emballés: aussi les deux heiduques restèrent-ils longtemps aux deux portières de la voiture, prêts à aider la comtesse à y monter, tandis que les femmes de chambre apportaient encore en courant des oreillers et des paquets de toute dimension.

«À la garde de Dieu, dit Yéfime en remettant son bonnet, en avant!»

«À Moscou? reprit-il, oui c'est bien cela, à Moscou!... Adieu!

«Que vous arrive-t-il donc? lui demanda la comtesse avec intérêt.

«Qu'est-ce donc? qu'est-il arrivé?

«Pierre Kirilovitch, venez donc, lui cria-t-elle. Vous me reconnaissez?... C'est vraiment étonnant!... Que faites-vous là sous ce déguisement?» ajouta-t-elle en lui tendant la main.

«Oh! les gens, les gens!» disait le comte en hochant la tête.

«Natacha!» s'écria-t-elle.

«Natacha ne sait rien encore...: mais c'est qu'il va nous suivre, répéta Sonia.

«Maman, Sonia, voyez donc, c'est lui!

«Maman! dit Sonia: le prince André est ici, blessé et mourant!»

«Les voies du Seigneur sont insondables,» pensa-t-elle; elle sentait que la main toute-puissante de la Providence manifestait son action dans tout ce qui se passait en ce moment autour d'elle.

«Elles oublient toujours quelque chose, disait la comtesse. Tu sais pourtant bien, Douniacha, que je ne puis pas être assise comme cela!»

«Eh bien, maman, tout est-il prêt? demanda Natacha gaiement.... Mais qu'avez-vous?

«C'est bien certainement Besoukhow, poursuivit Natacha.

Yéfime, le cocher de la comtesse, le seul en qui elle eût confiance, perché sur son siège élevé, ne daignait même pas se retourner pour voir ce qui se passait. Dans sa vieille expérience, il savait fort bien qu'on ne lui dirait pas de sitôt encore: «En route, à la garde de Dieu!» et qu'après le lui avoir dit, on l'arrêterait deux fois au moins pour envoyer chercher des objets oubliés; alors seulement la comtesse passerait la tête par la portière, en le suppliant, au nom du ciel, de conduire avec prudence aux descentes. Il savait tout cela; aussi attendait-il avec un flegme imperturbable, et avec une patience beaucoup plus grande que celle de son attelage, car l'un des chevaux, celui de gauche, piaffait et mordillait son frein. Chacun s'assit enfin dans la large voiture, le marchepied fut relevé, la portière fermée, la cassette apportée après avoir été oubliée, et la comtesse adressa à son vieux cocher ses recommandations habituelles. Yéfime se découvrit lentement, se signa, et le postillon et tous les domestiques firent comme lui.

Sonia sauta à terre et courut trouver la comtesse, qui, habillée de sa robe de voyage, le chapeau sur la tête et le châle sur les épaules, marchait dans les chambres, en attendant que tous les siens fussent là pour s'asseoir les portes fermées, suivant l'usage, et dire une courte prière avant le départ.

Sonia fit un signe de tête, la comtesse la serra dans ses bras, et se mit à pleurer.

Sonia embrassa Natacha; celle-ci la questionna du regard.

Pierre se tut un moment:

Pierre lui prit la main tout en marchant, car la voiture ne s'était pas arrêtée, et la baisa gauchement.

Le postillon lança ses chevaux, le timonier de gauche appuya sur son collier, les ressorts gémirent et la lourde caisse du carrosse s'ébranla. Le laquais s'élança sur le siège de la voiture lorsqu'elle était déjà en marche, et les autres équipages, secoués comme elle en passant de la cour dans la rue, se mirent en mouvement à sa suite. Tous les voyageurs se signèrent en passant devant l'église d'en face, et les domestiques qui restaient à la maison les reconduisirent pendant quelques pas, en marchant des deux côtés des portières. Natacha avait rarement éprouvé un sentiment de joie aussi vif qu'en ce moment, où, assise à côté de sa mère, elle voyait lentement défiler devant ses yeux les maisons et les murailles de Moscou qu'on abandonnait à son sort. Passant de temps en temps la tête hors de la portière, elle regardait le long convoi de blessés qui les précédait, avec la calèche du prince André en tête. Elle ignorait ce que recouvrait cette capote baissée, mais, comme c'était la première de la longue file, elle la suivait toujours des yeux.

Le comte, Pétia, Mme Schoss, Mavra Kouzminichna, Vassilitch entrèrent au salon, fermèrent les portes et s'assirent en silence; au bout de quelques secondes, le comte se leva le premier, poussa un profond soupir et fit un grand signe de croix devant l'image. Tous suivirent son exemple, puis il embrassa Mavra Kouzminichna et Vassilitch, qui restaient pour garder la maison, et, pendant que ces derniers prenaient sa main au vol et le baisaient à l'épaule, il leur donnait de petites tapes d'amitié sur le dos, en les accompagnant de quelques phrases vagues et bienveillantes. La comtesse s'était retirée dans sa chambre, où Sonia la trouva à genoux devant les images, dont une partie avait été enlevée; elle avait tenu à emporter avec elle celles qui étaient les plus précieuses comme souvenirs de famille.

La comtesse ouvrit des yeux stupéfaits:

Et Douniacha, serrant les dents sans répondre, se précipitait, d'un air fâché, pour arranger de nouveau la place de la comtesse.

Chez elle comme chez Sonia, cette nouvelle n'éveilla au premier moment qu'une seule pensée: connaissant toutes deux Natacha, l'émotion qu'elle ressentirait à cette révélation leur faisait oublier la sympathie qu'elles avaient toujours éprouvée pour le prince.

Chemin faisant, des convois du même genre débouchèrent en si grand nombre des rues aboutissantes, que, dans la grande Sadovaïa, les voitures marchaient sur deux rangs. Devant la tour de Soukharew, Natacha, qui s'amusait à examiner les allants et les venants, s'écria tout à coup avec une joyeuse surprise:

Celui-ci ne put s'arrêter: les conducteurs des charrettes et des voitures qui venaient en sens contraire lui enjoignirent, en criant, de continuer sa route et de ne pas entraver la circulation. Cela n'empêcha pas les Rostow de distinguer quoique à distance, la grande taille de Pierre: si ce n'était pas lui, c'était du moins quelqu'un qui lui ressemblait singulièrement. Le personnage en question marchait le long du trottoir, la tête inclinée, le visage sérieux, en compagnie du vieillard imberbe, qui avait tout l'air d'un domestique. Ce dernier, remarquant les figures qui les examinaient ainsi, toucha légèrement et avec respect le coude de son maître en lui désignant la voiture. Pierre, absorbé dans ses rêveries; fut quelque temps avant de comprendre ce qu'on lui voulait; enfin, levant la tête, et regardant du côté que lui indiquait son vieux compagnon, il aperçut Natacha, et, sous l'impulsion irréfléchie du premier mouvement, il courut vers la voiture, mais au bout de dix pas il s'arrêta subitement. Natacha, toujours penchée en avant, lui souriait affectueusement.

—Ah! ne me questionnez pas, je ne sais rien, mais demain.... Plus un mot, adieu, adieu! répéta-t-il. Dans quels temps épouvantables...» Et, laissant passer la voiture, il regagna le trottoir, tandis que Natacha le suivit longtemps encore de son sourire amical et un peu moqueur.

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