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La guerre et la paix

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XIII

Le samedi 12 septembre, tout était sens dessus dessous dans la maison Rostow; les portes étaient ouvertes, les meubles emballés ou déplacés, les glaces, les tableaux enlevés, les chambres pleines de foin, de papiers, et de caisses que les gens et les paysans du comte emportaient, à pas lourds et traînants. Dans la cour se pressaient plusieurs chariots, dont quelques-uns étaient déjà tout chargés et cordés, tandis que les autres attendaient à vide, et que les voix des nombreux domestiques et des paysans retentissaient dans tous les coins de la cour et de l'hôtel. Le comte était sorti. La comtesse, à laquelle le bruit et l'agitation venaient de donner la migraine, étendue sur un fauteuil dans un des salons, se mettait des compresses de vinaigre sur la tête. Pétia était allé chez un camarade, avec lequel il comptait passer de la milice dans un régiment de marche. Sonia assistait dans la grande salle à l'emballage de la porcelaine et des cristaux, et Natacha, assise par terre dans sa chambre démeublée, au milieu d'un tas de robes, d'écharpes et de rubans, jetés de côté et d'autre, tenait à la main une vieille robe de bal démodée, dont elle ne pouvait détacher les yeux: c'était celle qu'elle avait mise à son premier bal à. Pétersbourg.

Elle s'en voulait d'être oisive dans la maison au milieu de l'agitation de tous, et plusieurs fois dans le courant de la matinée elle avait essayé de se mettre à la besogne, mais cette besogne l'ennuyait, et jamais elle n'avait su ni pu s'appliquer à un travail quelconque, lorsqu'elle ne pouvait s'y employer de cœur et d'âme. Après quelques essais infructueux, elle abandonna à Sonia les cristaux et la porcelaine, pour mettre en ordre ses propres effets. Elle s'en amusa d'abord, en distribuant robes et rubans aux femmes de chambre, mais lorsqu'il s'agit de tout emballer, elle fut bientôt fatiguée.

—Papa, vous ne m'en voudrez pas, n'est-ce pas, d'avoir permis aux blessés...?

—On le peut, on le peut!» dit Natacha tout bas.

—Oh! est-ce bien la peine? demanda Natacha: ce n'est que pour un jour; nous pourrions bien aller à l'auberge et leur donner nos chambres!

—Nous avons traîné trop longtemps, s'écria-t-il avec humeur. Le club est fermé, la police s'en va!

—Maman, mon ange! dit Natacha en se mettant à genoux devant sa mère, et en collant sa figure sur la sienne. Pardon, je vous ai réveillée, je ne le ferai plus jamais! Mavra Kouzminichna m'a envoyée vous demander.... Il y a ici des blessés, des officiers, le permettrez-vous? On ne sait où les mener, et je sais que vous permettrez... dit-elle tout d'une haleine.

—Mais pas du tout, répondit le comte avec distraction. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit: vous voudrez bien avoir la bonté, toutes tant que vous êtes, de ne plus vous occuper de billevesées, mais d'emballage, car il faut partir demain et partir au plus vite...» Et le comte répétait cette injonction à tous ceux qu'il rencontrait.

—Mais le permettront-ils? demanda le blessé d'une voix faible. Il faut le demander au chef,» ajouta-t-il en montrant un gros major à quelques pas de là.

—Lequel désirez-vous avoir, mademoiselle,» demanda le major en souriant, et en portant la main à la visière de sa casquette.

—Eh bien, je la demanderai!»

—Comment, quels officiers? Qui a-t-on amené? Je ne comprends rien,» murmura la comtesse.

—Comment pourrais-je dormir? s'écria la comtesse, qui venait pourtant de sommeiller.

—Ah! mademoiselle, voilà encore une de vos idées; si même on les logeait dans les communs, ne faudrait-il pas en demander l'autorisation?

«Vous n'avez donc pas de parents à Moscou? demandait la vieille. Vous seriez pourtant bien mieux dans un appartement, chez nous par exemple.... Voilà nos maîtres qui partent.

«Tu vas m'arranger cela bien gentiment, n'est-ce pas Douniacha?» dit-elle; alors, s'asseyant sur le plancher, les yeux fixés de nouveau sur sa robe de bal, elle s'absorba dans une rêverie qui la ramena bien loin dans le passé.

«Oh! je savais bien que vous le permettriez, aussi vais-je le leur dire tout de suite!... et, se relevant, elle embrassa sa mère et s'enfuit; mais dans le salon voisin elle se heurta contre son père, qui venait de rentrer, porteur de mauvaises nouvelles.

«Maman, vous dormez?

«Mais certainement, pourquoi pas?» Natacha inclina légèrement la tête et retourna auprès de la ménagère, qui causait encore avec son blessé.

«Il faut pourtant prévenir votre père, dit la vieille ménagère.

«Ces blessés peuvent-ils s'arrêter chez nous? lui demanda-t-elle.

Natacha se mit à rire, la comtesse sourit.

Natacha répéta avec calme sa question. Sa figure et sa tenue étaient si sérieuses, que, malgré le mouchoir jeté négligemment sur ses cheveux, le major cessa de sourire et lui répondit affirmativement.

Natacha jeta un coup d'œil effrayé sur le blessé et se dirigea aussitôt du côté du major.

Natacha courut à la maison et entra sur la pointe du pied dans le grand salon, où l'on sentait une odeur de vinaigre et d'éther.

La charrette de l'officier fut aussitôt tournée du côté de la cour, et une dizaine d'autres charrettes entrèrent de même dans les maisons voisines. Cet incident, en dehors de la monotonie de la vie habituelle, ne laissa pas que de plaire à Natacha, et elle fit entrer le plus de blessés possible dans la cour de leur maison.

L'ex-ménagère, la vieille Mavra Kouzminichna, se sépara du groupe qui stationnait sous la porte, et, s'approchant d'une télègue couverte de nattes de tille, se mit à causer avec un jeune et pâle officier qui s'y trouvait couché. Natacha se rapprocha d'elle timidement pour écouter ce qu'ils se disaient.

Elle en fut tirée par le babil des femmes de chambre dans la pièce voisine et par le bruit des gens qui montaient par l'escalier de service. Elle se leva et regarda par la fenêtre. Un long convoi de blessés était arrêté devant la maison. Les femmes, les laquais, la ménagère, la bonne, les cuisiniers, les marmitons, les cochers, les postillons, tous se pressaient sous la porte cochère pour les examiner. Natacha, jetant sur ses cheveux son mouchoir de poche dont elle retenait des deux mains les bouts sous son menton, descendit dans la rue.

À dîner, Pétia raconta ce qu'il avait appris: le peuple avait pris dans la matinée des armes au Kremlin, et, malgré les affiches de Rostoptchine annonçant qu'il pousserait le cri d'alarme deux jours à l'avance, on savait que l'ordre avait été donné de se porter le lendemain en masse aux Trois-Montagnes, et qu'il y aurait là une effroyable bataille! La comtesse contemplait avec épouvante la figure animée de son fils, pressentant que, si elle le suppliait de ne pas y aller, il lui répondrait d'une façon assez absurde et assez violente pour gâter toute l'affaire; aussi, dans l'espérance qu'elle pourrait partir et emmener Pétia comme leur défenseur, elle garda le silence; mais après le dîner elle pria son mari, les larmes aux yeux, de partir la nuit même, si c'était possible. Avec la ruse toute féminine que donne l'affection, la comtesse, qui jusque-là avait montré le plus grand calme, lui assura qu'elle mourrait de frayeur s'ils ne partaient pas au plus vite.

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