La guerre et la paix在线阅读

La guerre et la paix

Txt下载

移动设备扫码阅读

X

Il rentra à Moscou le 30 août; il en avait à peine franchi la barrière, qu'il rencontra un aide de camp du comte Rostoptchine.

«Nous vous cherchons partout, lui dit ce dernier: le comte veut vous voir pour une affaire importante et vous prie de passer chez lui.»

—Voilà! c'est sa nouvelle affiche.»

—Tiens, c'est lui, dit Pierre en examinant la physionomie ferme et calme du marchand, qui n'avait rien de celle d'un traître.

—Que veut donc dire cette phrase à propos de son œil?

—Qu'est-ce donc? demanda Pierre.

—Qu'assure-t-on?

—Pas du tout, pas du tout, répliqua l'aide de camp effrayé: Klutcharew avait d'autres péchés sur la conscience, pour lesquels il a été renvoyé.... Mais, pour en revenir à l'affaire, le comte était indigné.... «Comment aurais-tu pu la composer? Tu l'as traduite, car voilà le journal de Hambourg, et, qui plus est, tu l'as mal traduite, car tu ne sais pas le français, imbécile!

—On assure que votre femme va à l'étranger.

—Oh! vous savez, on invente tant de choses, mais je ne répète que ce que j'ai entendu: on assure qu'elle...

—Nous en causions justement, fit observer l'un des deux fonctionnaires.

—Le comte a eu un orgelet, répondit un aide de camp, et il s'est tourmenté quand je lui ai dit qu'on venait demander de ses nouvelles.... Mais à propos, comte, ajouta l'aide de camp en souriant, on nous a raconté que vous aviez des chagrins domestiques et que la comtesse, votre femme...

—Je n'en sais rien, répondit Pierre avec indifférence: qu'avez-vous entendu dire?

—Et pourtant voilà ce qu'il vient d'écrire, répondait l'autre en montrant une feuille imprimée.

—Ce n'est pas lui qui a écrit la proclamation, c'est son fils: il est en prison et je crois qu'il va lui en cuire!... C'est une histoire fort embrouillée. Il y a deux mois à peu près que cette proclamation a paru. Le comte fit faire une enquête: c'est Gabriel Ivanovitch, ici présent, qui en a été chargé; cette proclamation avait passé de main en main.

—C'est possible, répondit Pierre en regardant d'un air distrait autour de lui.... Mais qui est-ce donc que je vois là-bas? ajouta-t-il en indiquant un vieillard de haute taille, dont les sourcils et la longue barbe blanche contrastaient avec la coloration de sa figure.

—C'est bien différent: cela, c'est pour le peuple.

—Ah! je comprends, dit Pierre: le comte voulait qu'on lui dénonçât Klutcharew.

—Ah! celui-ci?... C'est un traiteur nommé Vérestchaguine. Vous connaissez peut-être l'histoire de la proclamation?

«—Non, répond-il, je n'ai lu aucun journal, c'est moi qui l'ai composée.

«—De qui tiens-tu cette proclamation?

«—De qui la tenez-vous? demandait-il à l'un.

«—De personne, c'est moi qui l'ai écrite.»

«—D'un tel,» répondait-on; il courait alors chez la personne indiquée, et de fil en aiguille il remonta jusqu'à Vérestchaguine, un jeune marchand naïf, auquel nous demandâmes de qui il la tenait. Nous le savions très bien, car il ne pouvait l'avoir reçue que du directeur des postes, et il était facile de voir qu'ils s'entendaient.

«—C'est moi qui l'ai composée.» Alors vous comprenez la colère du comte, ajouta l'aide de camp; mais aussi vous conviendrez qu'il y avait de quoi être irrité devant ce mensonge et cette obstination.

«Son Altesse, dans l'intention d'opérer une plus prompte jonction avec les troupes qui marchent à sa rencontre, a traversé Mojaïsk et s'est établie dans une forte position où l'ennemi ne l'attaquera pas de sitôt. On lui a envoyé d'ici quarante-huit canons et des munitions, et Son Altesse affirme qu'elle défendra Moscou jusqu'à la dernière goutte de son sang, et qu'elle est prête même à se battre dans les rues. Ne faites pas attention, mes bons amis, à la fermeture des tribunaux: il fallait les mettre à l'abri. Mais n'importe! Le scélérat trouvera à qui parler. Quand ce moment arrivera, je demanderai des jeunes braves de la ville et de la campagne. Je pousserai alors un grand cri d'appel, mais en attendant je me tais. La hache sera une bonne chose, l'épieu ne sera pas mal, mais le mieux sera la fourche: le Français n'est pas plus lourd qu'une gerbe de seigle. Demain, après midi, l'image d'Iverskaïa ira visiter les blessés de l'hôpital Catherine. Là nous les aspergerons d'eau bénite, ils en guériront plus tôt. Moi-même je me porte bien: j'avais un œil malade, maintenant j'y vois des deux yeux.»

«On ne peut répondre de rien dans la situation présente, disait l'un.

«On le menace, on le supplie, il ne varie pas dans son dire.

«Les militaires m'ont assuré, dit Pierre, qu'on ne pouvait pas se battre en ville et que la position...

«Le comte le fait appeler:

«Il répond:

Pierre, sans entrer dans son hôtel, prit un isvostchik et se rendit chez le gouverneur général, qui lui-même venait seulement d'arriver de la campagne. Le salon d'attente était plein de monde. Vassiltchikow et Platow l'avaient déjà vu, et lui avaient déclaré qu'il était impossible de défendre Moscou et que la ville serait livrée à l'ennemi. Bien que l'on cachât cette nouvelle aux habitants, les fonctionnaires civils et les chefs des différentes administrations vinrent demander au comte ce qu'ils devaient faire, afin de mettre à couvert leur responsabilité. Au moment où Pierre entra dans le salon, un courrier de l'armée sortait du cabinet de Rostoptchine. Le courrier répondit par un geste désespéré aux questions qui l'assaillirent de toutes parts et passa outre sans s'arrêter. Pierre porta ses yeux fatigués sur les différents groupes de fonctionnaires civils et militaires, jeunes et vieux, qui attendaient leur tour. Tous étaient inquiets et agités. Il s'approcha de deux de ses connaissances qui causaient ensemble. Après quelques paroles échangées, la conversation interrompue se renoua.

Pierre la prit pour la lire.

«—Si c'est ainsi, tu es un traître, je te ferai juger, et l'on te pendra!» C'en est resté là. Le comte a fait appeler le vieux, et le père répond comme le fils. Le jugement a été prononcé, on l'a condamné, je crois, aux travaux forcés, et le vieux vient aujourd'hui demander sa grâce. C'est un vilain garnement, un enfant gâté, un joli cœur, un séducteur, il aura suivi des cours quelque part et il se croit supérieur à tout le monde. Son père tient un restaurant près du pont de pierre; on y voit une grande image qui représente Dieu le père tenant d'une main le sceptre et de l'autre le globe. Eh bien; figurez-vous qu'il l'a emportée de là chez lui et qu'un misérable peintre...»

0.23%
X