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La guerre et la paix

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IX

À peine avait-il posé sa tête sur le coussin, qu'il sentit le sommeil le gagner, et tout à coup, avec une netteté de perception qui touchait presque à la réalité, il crut entendre le grondement du canon, la chute des projectiles, les gémissements des blessés, sentir le sang et la poudre, et il éprouva une sensation de terreur irréfléchie. Il ouvrit les yeux et releva la tête. Tout était calme autour de lui. Seul un domestique militaire causait devant la porte cochère avec le dvornik; au-dessus de sa tête, dans l'angle des poutres équarries du hangar, des pigeons effarouchés par ses mouvements agitèrent leurs ailes; à travers une fente on entrevoyait le ciel pur et étoilé, et l'odeur pénétrante du foin, du goudron et du fumier faisait vaguement rêver à la paix et aux rustiques travaux: «Je remercie Dieu que ce soit fini! Quelle terrible chose que la peur, et quelle honte pour moi de m'y être laissé aller!... Et «Eux», eux qui ont été fermes et calmes jusqu'au dernier moment! «Eux», c'étaient les soldats, ceux de la batterie, ceux qui lui avaient donné à manger, ceux qui priaient devant l'image! Pour lui, dans sa pensée, ils se détachaient de tout le reste des hommes: «Être soldat, simple soldat, se disait Pierre, entrer dans cette vie commune, y prendre part de tout son être, se pénétrer de ce qui les pénètre!... Mais comment se débarrasser de ce fardeau diabolique et inutile qui pèse sur mes épaules? J'aurais pu le faire autrefois, fuir la maison de mon père, et même, après le duel avec Dologhow, j'aurais pu être fait soldat!» Et dans son imagination il revit le banquet du club, la provocation de Dologhow, son entretien à Torjok avec le Bienfaiteur, et Anatole, et Nevitsky, et Denissow, et tous ceux qui avaient joué un rôle dans sa vie défilèrent confusément devant lui. Lorsqu'il se réveilla, la lueur bleuâtre de l'aube glissait sous l'appentis, et une légère gelée blanche pailletait les poteaux: «Ah! c'est déjà le jour!» se dit Pierre, qui se rendormit dans l'espérance de comprendre les paroles du Bienfaiteur, qu'il avait entendues en rêve. L'impression qu'elles lui avaient laissée était si vive, que longtemps après il s'en souvint. Il demeura d'autant plus persuadé qu'elles avaient été réellement prononcées, qu'il ne se sentait pas capable de donner cette forme à sa pensée: «La guerre, lui avait dit cette voix mystérieuse, est pour la liberté humaine l'acte de soumission le plus pénible aux lois divines.... La simplicité du cœur consiste dans la soumission à la volonté de Dieu, et «Eux» sont simples! «Eux» ne parlent pas, mais agissent.... La parole est d'argent, le silence est d'or.... Tant que l'homme redoute la mort, l'homme est un esclave.... Celui qui ne la craint pas domine tout.... Si la souffrance n'existait pas, l'homme ne connaîtrait pas de limites à sa volonté et ne se connaîtrait pas lui-même...» Il murmurait encore des paroles sans suite lorsque son domestique le réveilla en lui demandant s'il fallait atteler. Le soleil frappait en plein le visage de Pierre; il jeta un coup d'œil dans la cour, pleine de boue et de fumier, au milieu de laquelle il y avait un puits: autour de ce puits, des soldats donnaient à boire à leurs chevaux efflanqués, attelés à des charrettes qui sortaient de la cour d'auberge l'une après l'autre. Pierre se retourna avec dégoût, ferma les yeux et se laissa retomber sur les coussins de cuir de sa voiture. «Non, pensa-t-il, je ne veux pas voir toutes ces vilaines choses, je veux comprendre ce qui m'a été révélé pendant mon sommeil. Une seconde de plus et je l'aurais compris. Que faire à présent?» se dit-il en sentant avec terreur que tout ce qui lui avait paru si clair et si précis en rêve s'était évanoui. Il se leva après avoir appris de son domestique et du dvornik que les Français se rapprochaient de Mojaïsk et que les habitants s'en éloignaient. Il donna l'ordre d'atteler et partit à pied en avant. Les troupes se retiraient également en laissant derrière elles dix mille blessés. On en voyait partout, dans les rues, dans les cours et aux fenêtres des maisons. On n'entendait partout que des cris et des jurons. Pierre, ayant rencontré un général blessé qu'il connaissait, lui offrît une place dans sa calèche, et ils continuèrent ensemble leur route vers Moscou. Chemin faisant, il apprit la mort de son beau-frère et celle du prince André.

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