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La guerre et la paix

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VIII

Pour la seconde fois depuis le commencement de la bataille, Pierre abandonna la batterie et courut avec les soldats à Kniazkow. En traversant le ravin, il atteignit l'ambulance: n'y voyant que du sang et n'y entendant que des cris et des gémissements, il s'enfuit au plus vite; il ne désirait qu'une chose: oublier au plus tôt les terribles impressions de la journée, rentrer dans les conditions ordinaires de la vie et retrouver sa chambre et son lit; il sentait que là seulement il serait capable de se rendre compte de tout ce qu'il avait vu et ressenti. Mais comment faire? Sans doute les balles et les bombes ne sifflaient plus sur le chemin qu'il suivait, mais les mêmes scènes de souffrances se reproduisaient à chaque pas; il rencontrait les mêmes figures, épuisées ou étrangement indifférentes; il entendait encore dans l'éloignement le bruit sinistre de la fusillade.

Après avoir fait trois verstes sur la route poudreuse de Mojaïsk, il s'assit suffoqué. La nuit descendait, le grondement des canons avait cessé. Pierre, la tête appuyée sur sa main, resta longtemps couché à voir passer les ombres qui le frôlaient dans les ténèbres. Il lui semblait à chaque instant qu'un boulet arrivait sur lui, et il se soulevait en tressaillant, il ne sut jamais au juste combien de temps il était resté ainsi. Au milieu de la nuit, trois soldats le tirèrent de cette léthargie en allumant à côté de lui un feu sur lequel ils placèrent leur marmite; ils émiettèrent leur biscuit dans la marmite en y ajoutant de la graisse, et un agréable fumet de graillon, mêlé à la fumée, se répandit autour du brasier. Pierre soupira, mais les soldats n'y firent aucune attention et continuèrent à causer.

—Tu es donc un monsieur?

—Tiens! lui dit l'un des soldats, tandis que son compagnon hochait la tête.... Eh bien, alors, mange si tu veux!» ajouta-t-il en tendant à Pierre la cuiller de bois dont il venait de se servir.

—Pierre Kirilovitch.

—Oui.

—Moi, moi? répondit Pierre. Je suis un officier de la milice mais mon détachement n'est pas ici, je l'ai perdu sur le champ de bataille.

—Je vais à Mojaïsk.

—Eh bien, Pierre Kirilovitch, nous te conduirons si tu veux...»

—Comment t'appelle-t-on?

—Ah oui!» dit Pierre en s'arrêtant.

—Adieu! reprirent les autres en chœur.

«Qui es-tu, toi? dit tout à coup l'un d'eux en s'adressant à lui; il voulait sans doute lui faire entendre qu'ils lui donneraient à manger s'il était digne de leur intérêt.

«Où vas-tu, dis donc? lui demanda-t-il.

«Excellence, s'écria-t-il, nous ne savions plus ce que vous étiez devenu. Vous êtes à pied? Où allez-vous donc? Venez par ici.

«Eh bien, quoi? demanda l'un d'eux, vous avez donc retrouvé les vôtres? Eh bien, adieu, Pierre Kirilovitch.

Pierre se rapprocha du feu et se mit à manger: jamais nourriture ne lui avait paru meilleure. Pendant qu'il avalait de grandes cuillerées de ce ragoût, le soldat avait les yeux fixés sur sa figure éclairée par le feu.

Les soldats firent comme lui.

Les coqs chantaient déjà lorsqu'ils atteignirent Mojaïsk et en gravirent péniblement la raide montée. Pierre, dans sa distraction, avait oublié que son auberge se trouvait au bas de la montagne, et il ne s'en serait plus souvenu s'il n'avait rencontré son domestique qui allait à sa recherche. Reconnaissant son maître à son chapeau blanc qui se détachait sur l'obscurité:

Et les soldats se mirent en route avec Pierre.

—Adieu! leur répondit Pierre en s'éloignant.... Ne faudrait-il pas leur donner quelque chose?» se demanda-t-il en mettant la main à son gousset. «Non, c'est inutile,» lui répondit une voix intérieure. Les chambres de l'auberge étant toutes occupées, Pierre alla coucher dans sa calèche de voyage.

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