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La guerre et la paix

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VII

Hélène comprenait fort bien que l'affaire en elle-même, ne présentait aucune difficulté au point de vue religieux, et que les objections de ses guides leur étaient dictées uniquement par la crainte des autorités laïques.

Elle décida donc qu'il fallait y préparer peu à peu la société. Elle excita la jalousie de son vieux protecteur et joua avec lui la même comédie qu'avec le prince. Aussi stupéfait d'abord que ce dernier de la proposition d'épouser une femme dont le mari était vivant, il ne tarda pas, grâce à l'imperturbable assurance d'Hélène, à regarder bientôt la chose comme toute naturelle. Hélène n'aurait certes pas gagné sa cause si elle avait montré la moindre hésitation, le moindre scrupule, et gardé le moindre mystère; mais elle racontait, sans se gêner et avec un laisser-aller plein de bonhomie, à tous ses amis intimes (c'est-à-dire à tout Pétersbourg) qu'elle avait reçu du prince et de l'Excellence une proposition de mariage, qu'elle les aimait également, et qu'elle ne savait comment se résoudre à leur causer du chagrin. Le bruit de son divorce se répandit aussitôt; bien des gens se seraient élevés contre son projet, mais, comme elle avait pris soin de laisser connaître l'intéressant détail de son incertitude entre ses deux adorateurs, ces gens-là n'y trouvèrent plus rien à redire. Elle avait déplacé la question; on ne se demandait plus, si la chose était possible, mais bien lequel des deux prétendants lui offrait le plus d'avantages, et comment la cour envisagerait son choix. Il y avait bien par-ci par-là, des gens à préjugés qui, incapables de s'élever à la hauteur voulue, voyaient dans toute cette l'affaire une profanation du sacrement de mariage; mais ils étaient peu nombreux et ils ne parlaient qu'à mots couverts. Quant à savoir s'il était bien ou mal pour une femme de se remarier du vivant de son mari, on n'en soufflait mot, parce que, disait-on, la question avait été déjà tranchée par des esprits supérieurs, et l'on ne voulait passer ni pour un sot ni pour un homme sans savoir-vivre.

—Voilà un véritable ami! dit Hélène rayonnante. Mais c'est que j'aime l'un et l'autre; je ne voudrais pas leur faire de chagrin, je donnerais ma vie pour leur bonheur à tous deux!»

—Mais, mon amie...

—Mais, maman, comment ne comprenez-vous pas que le Saint-Père, qui a le droit de donner des dispenses...?»

—Il vous aime jusqu'à divorcer?» demanda Bilibine.

—Comtesse, à tout péché miséricorde,» dit, en se montrant sur le seuil de la porte, un jeune homme blond, aux traits accentués.

—Ah! maman, ne dites pas de bêtises, vous n'y entendez rien. Dans ma position j'ai des devoirs...

—Ah! il m'aime trop pour ne pas faire tout pour moi, lui dit Hélène, persuadée que Pierre l'aimait aussi.

«Écoutez, Bilibine,» lui répondit Hélène, qui avait l'habitude d'appeler les amis de cette catégorie par leur nom de famille... et elle lui toucha l'épaule de sa blanche main couverte de bagues chatoyantes: «Dites-moi comme à une sœur ce que je dois faire.... Lequel des deux?» Bilibine plissa son front et se mit à réfléchir.

«Vous ne me prenez pas par surprise, dit-il. Je ne fais qu'y penser. Si vous épousez le prince, vous perdez pour toujours la chance d'épouser l'autre, et vous mécontentez la cour, car vous savez qu'il existe de ce côté une certaine parenté. Si au contraire vous épousez le vieux comte, vous faites le bonheur de ses derniers jours, et puis, comme veuve d'un aussi grand personnage, le prince ne se mésalliera plus en vous épousant.

«Tu veux donc te remarier du vivant de ton mari? Crois-tu donc avoir inventé quelque chose de neuf? Pas du tout, ma très chère, tu as été devancée et c'est depuis longtemps l'usage dans...»

«Non, dites-lui que je ne veux pas le voir, que je suis furieuse contre lui, parce qu'il m'a manqué de parole...

«Mais dites-moi un peu comment votre mari envisage la question. Consentira-t-il?

«Je t'assure, lui répétait sa mère, qu'il est formellement défendu d'épouser une femme divorcée.

«Hélène, j'ai un mot à vous dire:... J'ai eu vent de certains projets relatifs à... vous savez? Eh bien, ma chère enfant, vous savez que mon cœur de père se réjouit de vous savoir... vous avez tant souffert... mais, chère enfant, ne consultez que votre cœur. C'est tout ce que je vous dis...» Et, pour cacher son émotion de commande, il la serrait sur sa poitrine.

Marie Dmitrievna Afrassimow fut la seule qui se permît d'exprimer hautement une opinion contraire. Elle était venue cet été-là, à Pétersbourg voir un de ses fils; rencontrant Hélène à un bal, elle l'arrêta au passage, et, au milieu d'un silence général, lui dit de sa voix forte et dure:

Le prince Basile, qui depuis quelque temps perdait la mémoire et se répétait à tout propos, disait à sa fille, chaque fois qu'il la rencontrait:

La vieille princesse se leva, lui fit une révérence respectueuse, dont le nouveau venu ne daigna pas même s'apercevoir, et, jetant un coup d'œil à sa fille, quitta majestueusement la chambre. «Elle a raison, se disait la vieille princesse, dont les scrupules s'étaient envolés à la vue de l'Altesse: elle a raison! Comment ne nous en doutions-nous pas, nous autres, lorsque nous étions jeunes! C'était pourtant bien simple!» ajouta-t-elle en montant en voiture.

La mère d'Hélène était aussi du nombre des personnes qui se permettaient de douter de la légalité de l'union projetée. Dévorée par l'envie que lui inspirait sa fille, elle ne pouvait surtout se faire à la pensée du bonheur qui allait lui échoir; elle se renseigna auprès d'un prêtre russe sur la possibilité d'un divorce. Le prêtre lui assura, à sa grande satisfaction, que la chose était inadmissible, et lui cita à l'appui un texte de l'Évangile qui ôtait tout espoir à une femme de se remarier du vivant de son mari. Armée de ces arguments, inattaquables à ses yeux, la princesse courut chez sa fille de grand matin, pour être plus sûre de la trouver seule. Hélène l'écouta tranquillement et sourit avec une douce ironie.

Hélène éclata de rire.

Et, sur ces mots, Marie Dmitrievna, relevant par habitude ses larges manches, la regarda sévèrement et lui tourna le dos. Malgré la crainte qu'inspirait Marie Dmitrievna, on la traitait volontiers de folle: aussi ne resta-t-il de sa mercuriale que l'injure de la fin, qu'on se redisait à l'oreille, cherchant dans ce mot seul tout le sel de son sermon.

En ce moment, sa dame de compagnie vint lui annoncer que Son Altesse l'attendait au salon.

Bilibine n'avait pas perdu sa réputation d'homme d'esprit; c'était un de ces amis désintéressés comme les femmes à la mode en ont souvent, et qui ne changent jamais de rôle; il lui exposa un jour, en petit comité, sa manière de voir sur cet important sujet.

Bilibine haussa les épaules; évidemment à cette douleur-là il ne trouvait pas de remède. «Quelle maîtresse femme! se dit-il. Voilà ce qui s'appelle poser carrément la question. Elle voudrait épouser tous les trois à la fois!»

Au commencement du mois d'août, l'affaire d'Hélène fut décidée, et elle écrivit à son mari—«qui l'aimait tant»—une lettre où elle lui annonçait son intention d'épouser N., et sa conversion à la vraie religion. Elle lui demandait en outre de remplir les formalités nécessaires au divorce, formalités que le porteur de la missive était chargé de lui expliquer: «Sur ce, mon ami, je prie Dieu de vous avoir en sa sainte et puissante garde. Votre amie, Hélène.» Cette lettre arriva chez Pierre le jour même où il était à Borodino.

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