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La guerre et la paix

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XII

Pierre, revenu de chez le prince André, à Gorky, ordonna à son domestique de tenir ses chevaux prêts pour le lendemain matin, de le réveiller à la pointe du jour; puis il s'endormit aussitôt dans le coin que Boris lui avait obligeamment offert. À son réveil, l'isba était déserte, les petits carreaux des fenêtres tremblaient, et son domestique le secouait pour le réveiller.

«Excellence, Excellence! répétait-il avec insistance.

—Écoutez la canonnade, dit le domestique, qui était un ancien soldat; tous sont partis depuis longtemps, même Son Altesse.»

—Quoi?... Qu'y a-t-il?... Est-ce commencé?

«Va, mon ami, va, que Dieu soit avec toi,» dit Koutouzow à un général qui était à ses côtés.

«Dépêchez-vous, comte, il est temps!» lui cria-t-il en passant.

«Au pont!» répondit-il à la question d'un des officiers.

Se faisant suivre de son cheval, Pierre longea la route jusqu'au mamelon du haut duquel il avait examiné le champ de bataille. Cette colline était couverte de militaires: on y entendait le murmure des conversations en français des officiers de l'état-major, et l'on y voyait, se détachant de l'ensemble, la tête grise de Koutouzow, coiffée d'une casquette blanche avec une bande rouge; sa grosse nuque s'enfonçait dans ses larges épaules. Il regardait au loin à l'aide d'une lunette d'approche. En gravissant la colline, Pierre fut frappé du spectacle qui s'offrit à ses yeux. C'était le panorama de la veille, mais occupé aujourd'hui par une masse imposante de troupes, envahi par la fumée de la fusillade, et éclairé par les rayons obliques du soleil, qui montait à la gauche de Pierre, projetant, dans l'air pur du matin, des chatoiements d'un rose doré, et étalant de côté et d'autre de longues et noires bandes d'ombre. Les grands bois qui fermaient l'horizon semblaient avoir été taillés dans une pierre étincelante, d'un jaune verdâtre, et derrière leurs cimes, qui se découpaient sur le ciel en une mince ligne foncée, se dessinait dans le lointain la grande route de Smolensk, couverte de troupes. À côté de la colline, les champs dorés et les coteaux ruisselaient de lumière, mais partout, devant, à gauche et à droite, on ne voyait que des soldats. C'était animé, majestueux et imprévu; mais ce qui attira surtout l'attention de Pierre, ce fut l'aspect du champ de bataille lui-même, la vue de Borodino et de la vallée de la Kolotcha, qui s'étendait des deux côtés de la rivière.

Pierre s'habilla à la hâte et sortit en courant. La matinée était belle, gaie, fraîche, la rosée brillait; le soleil, déchirant le rideau de nuages, lança par-dessus le toit, à travers les vapeurs qui l'entouraient, un faisceau de rayons qui vinrent tomber sur la poussière de la route, humide de rosée, sur les murs des maisons, sur les clôtures en planches et sur les chevaux de Pierre, sellés à la porte de l'isba. Le grondement de la canonnade devint plus distinct. Un aide de camp passa au galop.

Le général qui venait de recevoir cet ordre passa devant Pierre pour descendre la colline.

Au-dessus de la Kolotcha, à Borodino même, à l'endroit où la Voïna se jette dans la Kolotcha, à travers de vastes marais, s'élevait un de ces brouillards qui, en se fondant et en se vaporisant sous les rayons du soleil, donnent une couleur et un contour magiques au paysage qu'ils laissent entrevoir. Sur ce brouillard, sur la fumée qui s'y mêlait à flocons épais, sur l'eau, sur la rosée, sur les baïonnettes, sur Borodino même, se jouaient les rayons étincelants de la lumière du matin. À travers ce rideau transparent, on apercevait la blanche église, les toits des isbas du village, et de tous côtés des masses compactes de soldats, des caissons verts et des bouches à feu. Dans la vallée, sur les hauteurs, à mi-côte, dans les bois, dans les champs, partaient des coups de canon, tantôt isolés, tantôt par volées, suivis de tourbillons de fumée, qui s'arrondissaient, se rencontraient, et se confondaient dans l'espace. Chose étrange à dire, cette fumée et ces détonations étaient ce qui prêtait le plus de charme à ce spectacle. Pierre mourait d'envie de se trouver là où il voyait surgir ces panaches de fumée, là où s'agitaient ces baïonnettes brillantes, là où était le mouvement, et d'où partaient ces détonations incessantes. Il se retourna pour comparer son impression à celle que devaient éprouver dans ce moment Koutouzow et son entourage: il lui sembla voir rayonner sur tous les visages cette émotion latente qu'il avait déjà remarquée la veille, mais dont il n'avait compris la nature qu'après son entretien avec le prince André.

«Et moi aussi!» se dit Pierre en le suivant. Le général monta le cheval que tenait un cosaque, pendant que Pierre s'approchait de son domestique et lui demandait laquelle de ses deux montures était la plus tranquille. L'empoignant alors par la crinière, penché en avant et serrant de ses talons le ventre de son cheval, il sentit tout à coup qu'il perdait ses lunettes; mais, ne pouvant ni ne voulant lâcher la bride et la crinière, il partit sur les traces du général, au milieu des officiers qui le suivaient des yeux dans sa course aventureuse.

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