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La guerre et la paix

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V

Bennigsen descendit la grand'route vers le pont que l'officier avait indiqué à Pierre comme étant le centre de notre position, et dont le foin, fauché des deux côtés de la rivière, embaumait les abords. Après le pont, ils traversèrent le village de Borodino; de là, prenant sur la gauche, ils dépassèrent une masse énorme de soldats et de fourgons d'artillerie, et se trouvèrent en vue d'un haut mamelon sur lequel les miliciens exécutaient des travaux de terrassement: c'était la redoute qui devait recevoir plus tard le nom de «Raïevsky» ou «la batterie du mamelon». Pierre n'y fit que peu d'attention: il ne pouvait se douter que cet endroit deviendrait le point le plus mémorable du champ de bataille de Borodino. Ils franchirent ensuite le ravin qui les séparait de Séménovsky: les soldats emportaient les dernières poutres des isbas et des granges. Puis, montant et descendant tour à tour, ils traversèrent un champ de seigle, foulé et roulé comme par la grêle, et suivirent la nouvelle route frayée par l'artillerie au milieu des sillons d'un champ labouré, pour atteindre les ouvrages avancés auxquels on travaillait encore. Bennigsen s'y arrêta et jeta les yeux sur la redoute de Schevardino, qui hier encore était à nous, et sur laquelle on voyait se dessiner quelques cavaliers, que les officiers prétendaient être Napoléon ou Murat, avec leur suite. Pierre cherchait, comme eux, à deviner lequel pouvait être Napoléon. Quelques instants plus tard, ce groupe descendit de la hauteur et disparut dans le lointain. Bennigsen, s'adressant à un des généraux présents, lui expliqua à haute voix quelle était la position de nos troupes. Pierre faisait son possible pour se rendre compte des combinaisons qui motivaient cette bataille, mais il sentit, à son grand chagrin, que son intelligence n'allait pas jusque-là et qu'il n'y comprenait rien. Bennigsen, remarquant son attention, lui dit tout à coup:

«Cela ne peut, il me semble, vous intéresser?

—Au contraire,» reprit Pierre.

Laissant les ouvrages avancés derrière eux, ils s'engagèrent sur la route, qui, en s'éloignant vers la gauche, traversait, en formant des courbes, un bois de bouleaux serrés mais peu élevés. Au milieu de la forêt, un lièvre, au pelage brun et aux pattes blanches, sauta tout à coup sur le chemin et se mit à courir longtemps devant eux, en excitant une hilarité générale, jusqu'au moment où, effrayé par le bruit des chevaux et des voix, il se jeta dans un fourré voisin. Deux verstes plus loin, ils débouchèrent dans une clairière: là se trouvaient des soldats du corps de Toutchkow, qui était chargé de défendre le flanc gauche. Arrivé à son extrême limite, Pierre vit Bennigsen parler avec chaleur, et supposa qu'il venait de prendre une disposition des plus importantes. En avant des troupes de Toutchkow, il y avait une éminence, qui n'était pas occupée par nos troupes, et Bennigsen critiqua hautement cette faute, en disant qu'il était absurde de laisser ainsi, sans le garnir, un point aussi élevé, et de se contenter de mettre des troupes dans le bas. Quelques généraux partagèrent son avis. L'un d'eux, entre autres, soutint, avec une énergie toute militaire, qu'on les exposait par là à une mort certaine. Bennigsen ordonna en son nom de faire placer des forces sur la hauteur. Cette disposition, qu'on venait de prendre au flanc gauche fit encore mieux sentir à Pierre son incapacité à comprendre les questions stratégiques; en écoutant Bennigsen et les généraux qui discutaient la question, il leur donnait raison, et s'étonnait d'autant plus de la faute grossière qui avait été commise. Bennigsen, ignorant que ces troupes avaient été placées là, non, comme il le croyait, pour défendre la position, mais pour y rester cachées et tomber à l'improviste sur l'ennemi à un moment donné, changea ces dispositions, sans en prévenir le commandant en chef.

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