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La guerre et la paix

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IV

Soulevé par la foule, Pierre regardait vaguement autour de lui.

«Comte Pierre Kirilovitch, comment êtes-vous là?» demanda une voix.

—À la veille d'un pareil jour, reprit-il avec solennité et décision, à la veille d'un jour où Dieu seul sait ce qui nous attend, je suis heureux de trouver l'occasion de vous dire que je regrette les malentendus qui se sont élevés entre nous, et je désire que vous n'ayez plus de haine contre moi.... Accordez-moi, je vous prie, votre pardon.»

—Vous parliez du flanc gauche? demanda Kaïssarow.

—Vous le pourrez facilement, mais c'est le flanc gauche qui est le plus important.

—Qu'alliez-vous dire du flanc gauche? demanda Pierre.

—Pourriez-vous me dire où se trouve le régiment du prince Bolkonsky?

—Oui, oui,» répondit Koutouzow, dont l'œil se reporta en souriant sur Pierre.

—Oui, justement, le flanc gauche est maintenant formidable!».

—Oui, c'est vrai, dit Koutouzow...

—Nous passerons devant, je vous conduirai au prince.

—Mais j'aurais désiré voir le flanc droit; On le dit très fort, et ensuite je voudrais bien longer la Moskva et toute la position?

—Mais aussi que, si je réussissais, je rendrais service à ma patrie, pour laquelle je suis prêt à donner ma vie! Si Votre Altesse a besoin d'un homme qui ne ménage pas sa peau, je la prie de penser à moi, je pourrais peut-être lui être utile.

—Entre nous soit dit, répondit Boris en baissant la voix d'un air de confidence, le flanc gauche est dans une détestable position; le comte Bennigsen avait un tout autre plan: il tenait à fortifier ce mamelon là-bas, mais Son Altesse ne l'a pas voulu, car...»

—Cet animal-là se faufile partout, lui répondit-on; il a été dégradé, il faut bien qu'il revienne sur l'eau.... Il a présenté différents projets, et il s'est glissé jusqu'aux avant-postes ennemis.... Il n'y a pas à dire, il est courageux.» Pierre se découvrit avec respect devant Koutouzow, que Dologhow avait accaparé.

—Bien certainement,» répondit Pierre.

«Vous le voyez, comte, les miliciens ont mis des chemises blanches pour se préparer à la mort!... N'est-ce pas de l'héroïsme?»

«Païssi Serguéïévitch, dit Boris d'un air dégagé, je tâche d'expliquer au comte notre position, et j'admire Son Altesse d'avoir si bien deviné les intentions de l'ennemi.

«Oui, c'est un peuple incomparable!—dit Koutouzow, et, fermant les yeux, il hocha la tête:—Incomparable!—murmura-t-il une seconde fois:—Vous voulez donc sentir la poudre, dit-il à Pierre, une odeur agréable, je ne dis pas!... J'ai l'honneur de compter parmi les adorateurs de madame votre femme; comment va-t-elle?... Mon bivouac est à vos ordres!»

«Je suis charmé de vous rencontrer ici, comte, dit-il tout haut, sans paraître embarrassé le moins du monde par la présence d'étrangers.

«J'avais pensé, disait ce dernier, que si je prévenais Votre Altesse, elle me chasserait, ou me dirait que la chose lui était connue?

«Et celui-là, comment est-il ici? demanda Pierre.

«Croyez-moi, dit Boris à Pierre, qui lui exprimait son désir de prendre part à la bataille, je vous ferai les honneurs du camp, et le mieux, à mon avis, serait de rester auprès du général Bennigsen, dont je suis officier d'ordonnance et que je préviendrai. Si vous voulez avoir une idée de la position, venez avec nous, nous allons au flanc gauche, et, quand nous en reviendrons, faites-moi le plaisir d'accepter mon hospitalité pour la nuit: nous pourrons même organiser une petite partie. Vous connaissez sans doute Dmitri Serguéïévitch? il campe là,—ajouta-t-il en indiquant la troisième maison de Gorky.

«Comment donc sont ces vers de Marine, les vers sur Ghérakow!... Dis-les un peu?»

«Cela vous intéressera, ajouta-t-il.

Quoique Koutouzow eût renvoyé de son état-major tous les gens inutiles, Boris avait su y conserver sa position en se faisant attacher au comte Bennigsen. Celui-ci, comme tous ceux sous les ordres desquels Boris avait servi, faisait de lui le plus grand cas.

Pierre se retourna. C'était Boris Droubetzkoï, qui s'approchait de lui en souriant, et en époussetant la poussière qu'il avait attrapée aux genoux en faisant ses génuflexions. Sa tenue, celle du militaire en campagne, était néanmoins élégante; il portait comme Koutouzow une longue capote, et comme lui un fouet en bandoulière. Pendant ce temps, le général en chef, qui avait atteint le village, s'était assis, dans l'ombre projetée par une isba, sur un banc apporté en toute hâte par un cosaque, et qu'un autre avait recouvert d'un petit tapis. Une suite nombreuse et brillante l'entoura; la procession poursuivit son chemin, accompagnée par la foule, tandis que Pierre, causant avec Boris, s'arrêtait à une trentaine de pas de Koutouzow.

Pierre regardait Dologhow en souriant, ne sachant que lui répondre. Celui-ci, les larmes aux yeux, l'entoura de ses bras et l'embrassa. Sur ces entrefaites, le comte Bennigsen, auquel Boris avait glissé quelques mots, proposa à Pierre de le suivre le long de la ligne des troupes.

Pierre fut bientôt entouré par plusieurs officiers de sa connaissance, arrivés à la suite de Kaïssarow; il avait peine à répondre à toutes les questions qu'on lui adressait sur Moscou, et à suivre les récits de toute sorte qu'on lui faisait. Les physionomies avaient une expression d'inquiétude et de surexcitation, mais il crut remarquer que cette surexcitation était causée par des questions d'intérêt purement personnel, et il se rappelait; involontairement cette autre expression, profonde et recueillie, qui l'avait si vivement frappé sur d'autres visages: ces gens-là, en s'associant de cœur à l'intérêt général, comprenaient qu'il s'agissait d'une question de vie ou de mort pour chacun! Koutouzow, apercevant Pierre dans le groupe, le fit appeler par son aide de camp; Pierre se dirigea aussitôt vers lui, mais au même moment un milicien, le devançant, s'approcha également du commandant en chef: c'était Dologhow.

Lorsque Pierre s'éloigna, Dologhow s'approcha de lui et lui tendit la main.

L'armée était partagée en deux partis très distincts: celui de Koutouzow et celui de Bennigsen chef de l'état-major; et Boris savait, avec beaucoup d'habileté, tout en témoignant un respect servile à Koutouzow, donner à entendre que ce vieillard était incapable de diriger les opérations, et que, de fait, c'était Bennigsen qui avait la haute main. On était maintenant à la veille de l'instant décisif qui devait accabler Koutouzow et faire passer le pouvoir entre les mains de Bennigsen, ou bien, si Koutouzow gagnait la bataille, on ne manquerait pas de faire comprendre que tout l'honneur en revenait à Bennigsen. Dans tous les cas, de nombreuses et importantes récompenses seraient distribuées après la journée du lendemain, et donneraient de l'avancement à une fournée d'inconnus. Cette prévision causait à Boris une agitation fébrile.

Kaïssarow les récita, et Koutouzow balançait la tête en mesure, en les écoutant.

En ce moment Boris, avec son habileté de courtisan, s'avança pour se placer à côté de Pierre, avec qui il eut l'air de continuer une conversation commencée.

Comme il arrive souvent aux vieilles gens, Koutouzow détourna la tête d'un air distrait; il semblait avoir oublié tout ce qu'il avait à dire, et tout ce qu'il avait à faire. Tout à coup, se souvenant d'un ordre à donner, il fit signe du doigt à André Kaïssarow, le frère de son aide de camp.

Boris n'avait évidemment prononcé ces paroles qu'avec l'intention d'être entendu; il avait deviné juste, car Koutouzow, s'adressant à lui, lui demanda ce qu'il disait de la milice. Il répéta sa réflexion:

Boris n'acheva pas, il venait d'apercevoir l'aide de camp de Koutouzow, Kaïssarow, qui se dirigeait de leur côté.

Une demi-heure plus tard, Koutouzow partit pour Tatarinovo, tandis que Bennigsen, accompagné de sa suite et de Pierre, allait faire son inspection.

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IV