La guerre et la paix在线阅读

La guerre et la paix

Txt下载

移动设备扫码阅读

II

«C'est tout, n'est-ce pas?» ajouta-t-il après avoir signé le dernier papier; alors, se levant avec effort, en redressant son gros cou tout plissé, il se dirigea vers la porte de la maison.

La femme du prêtre, rouge d'émotion, saisit à la hâte le plat sur lequel étaient le pain et le sel, et, faisant une profonde révérence, s'approcha de Koutouzow, qui cligna des yeux, lui caressa le menton et la remercia.

—Sans doute il le faudra, si tous le désirent, mais, je te le répète, rien ne vaut ces deux soldats qui s'appellent le temps et la patience; ceux-là arriveront à tout, mais les conseillers n'entendent pas de cette oreille, voilà le mal! Les uns veulent une chose, les autres une autre! Que faire?... que faire, je te le demande?... répéta-t-il, comme s'il attendait une réponse, et ses yeux brillaient et s'éclairaient d'une expression profonde et intelligente.... Je te dirai, si tu veux, ce qu'il y a à faire et ce que je fais. Dans le doute, mon cher, abstiens-toi, poursuivit-il en scandant ces paroles. Eh bien, adieu, mon ami, rappelle-toi que je partage ta douleur, et cela de tout coeur; je ne suis pour toi ni le prince ni le commandant en chef, je te suis un père! Si tu as besoin de quelque chose, viens à moi. Adieu, mon ami!» Et il l'embrassa.

—Je remercie Votre Altesse, répondit le prince André, mais je ne vaux plus rien pour le service dans les états-majors.»

—Il faudra pourtant accepter une bataille? dit le prince André.

À ces paroles une fugitive rougeur, causée par la joie, illumina la figure du prince; Koutouzow l'attira à lui, l'embrassa, et André put voir que ses yeux étaient de nouveau humides. Il savait que le vieillard avait la larme facile, et que la mort de son père le portait naturellement à lui témoigner une sympathie et un intérêt tout particuliers; cependant l'allusion le flatta, et lui fit un plaisir extrême.

«À quoi nous ont-ils amenés!» dit soudain Koutouzow d'une voix émue, en songeant à la situation de son pays; «mais le moment viendra...» reprit-il avec colère, et, ne voulant pas continuer ce sujet qui l'émouvait, il ajouta: «Je t'ai fait venir pour te garder auprès de moi.

«Te trouves-tu bien ici?» lui demanda-t-il en entrant dans la chambre qui lui était préparée, et en précédant la maîtresse du logis toute souriante.

«Suis ton chemin, à la garde de Dieu!... Je sais qu'il est celui de l'honneur!... Tu m'aurais été bien utile à Bucharest, reprit-il après un moment de silence: je n'avais personne à envoyer.... Oui, ils m'ont accablé de reproches là-bas, et pour la guerre et pour la paix... et pourtant tout a été fait à son heure, car tout vient à point à qui sait attendre. Là-bas aussi, les conseillers pullulaient tout comme ici.... Oh! les conseillers! Si on les avait écoutés, nous n'aurions pas conclu la paix avec la Turquie, et la guerre durerait encore! Kamensky serait perdu, s'il n'était mort... lui qui avec 30 000 hommes prenait d'assaut les forteresses!... Prendre une forteresse n'est rien, mais mener à bonne fin une campagne, voilà le difficile. Pour en arriver là, il ne suffit pas de livrer des assauts et d'attaquer. Ce qu'il faut avoir, c'est «patience et longueur de temps». Kamensky a envoyé des soldats pour prendre Roustchouk, et moi, en n'employant que le temps et la patience, j'ai pris plus de forteresses que lui, et j'ai fait manger aux Turcs de la viande de cheval.... Crois-moi, ajouta-t-il en secouant la tête et en se frappant la poitrine, les Français aussi en tâteront, crois-en ma parole!

«La jolie femme! dit-il. Merci, merci, ma belle!»

«Je le regrette, tu m'aurais été utile, mais tu as raison! Ce n'est pas ici que nous avons besoin d'hommes; si tous les conseillers, ou prétendus tels, servaient comme toi dans les régiments, ça vaudrait beaucoup mieux.... Je me souviens de ta conduite à Austerlitz.... Je te vois encore avec le drapeau à, la main!»

«Et d'ailleurs, poursuivit Bolkonsky, je tiens à mon régiment; je me suis attaché aux officiers, je crois que mes hommes ont de l'affection pour moi et j'aurais du chagrin à m'en séparer. Si je refuse l'honneur de rester auprès de votre personne, croyez bien que...»

«Assieds-toi, lui dit Koutouzow en glissant un couteau à papier entre les pages du livre et en le mettant de côté. C'est bien triste, bien triste, mais rappelle-toi, mon ami, que je suis pour toi un second père!»

Une expression bienveillante, spirituelle et légèrement railleuse passa en ce moment sur la grosse figure de Koutouzow, qui l'interrompit en disant:

Tirant de son gousset quelques pièces d'or qu'il déposa sur le plateau:

Le prince André n'avait pas encore franchi le seuil de la chambre, que Koutouzow, harassé de fatigue, poussa un soupir, se laissa choir dans son fauteuil, et reprit tranquillement la lecture des Chevaliers du Cygne.

Le prince André lui raconta ce qu'il savait des derniers moments de son père, et lui dépeignit l'état dans lequel il avait trouvé Lissy-Gory.

L'aide de camp engagea le prince André à déjeuner avec lui; une demi-heure plus tard, Koutouzow le fit demander. André le trouva étendu dans un fauteuil, l'uniforme déboutonné, lisant un roman français, les Chevaliers du Cygne, de Mme de Genlis.

Koutouzow, qui remarqua le sourire dont il accompagnait ces paroles, le regarda d'un air interrogateur.

Chose étrange et inexplicable, cet entretien eut sur le prince André une action calmante; il retourna à son régiment, rassuré sur la marche générale des affaires et confiant en celui qui les avait en main. L'absence de tout intérêt personnel chez ce vieillard, qui n'avait plus, en fait de passions, que l'expérience, résultat des passions, et chez qui l'intelligence, destinée à grouper les faits et à en tirer les conclusions, était remplacée par une contemplation philosophique des événements, le rassurait; et il emporta avec lui la conviction qu'il serait à la hauteur de sa mission: il n'inventera ni n'entreprendra rien, mais il écoutera et se rappellera tout, il saura s'en servir au bon moment, n'entravera rien d'utile, et ne permettra rien de nuisible. Il admet quelque chose de plus puissant que sa volonté, la marche inévitable des faits qui se déroulent devant lui; il les voit, il en saisit la valeur, et sait faire abstraction de sa personne, et de la part qu'il y prend. Il inspire de la confiance, parce que, malgré le roman de Mme de Genlis et ses dictons français, on sent battre en lui un coeur russe; sa voix a tremblé lorsqu'il a dit: «À quoi nous ont-ils amenés?» et lorsqu'il les a menacés «de leur faire manger du cheval»! C'était ce sentiment patriotique, ressenti par chacun à un degré plus ou moins grand, qui avait puissamment contribué à faire nommer Koutouzow général en chef, malgré la violente opposition de la camarilla; et une approbation unanime et nationale avait confirmé ce choix d'une façon éclatante.

0.24%
II