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La guerre et la paix

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XIV

«Eh bien, est-elle jolie? Oh! la mienne, mon cher, la rose, est ravissante!... on l'appelle Douniacha,» s'écria Iline en apercevant son ami; mais l'expression de sa figure le fit taire immédiatement. Il devina que son chef et son héros n'était pas d'humeur à plaisanter, car il en reçut un coup d'oeil irrité, et le vit s'éloigner rapidement dans la direction du village.

«Je leur en ferai voir, à ces brigands!» murmurait Rostow.

—À bas les bonnets, traîtres! cria Rostow d'une voix foudroyante.

—Vous osez me répondre, tas de brigands! s'écria Rostow en saisissant au collet le grand Karp.

—Tu es un imbécile, voilà tout, un imbécile!» répétait le second d'un air gouailleur.

—Quelles mesures, vieil imbécile? dit le hussard, en le menaçant de ses poings fermés. Qu'as-tu fait, toi? Les paysans se révoltent, et tu te bornes à les regarder, tu ne sais même pas te faire obéir! Tu es un traître.... Je vous connais tous, et tous je vous ferai écorcher vifs!»

—Où est le staroste?» répétait Rostow.

—Où est le staroste? répéta-t-il.

—Oui, Jakow Alpatitch, la sottise est de notre côté,» lui répondit-on, et la foule se sépara tranquillement.

—On ne m'a pas encore enlevé mes fonctions, répliqua Drone.

—Oh! les livres, les livres, ce qu'il y en a! disait un autre, pliant sous le poids des armoires de la bibliothèque.... Ne me pousse pas!... Dieu que c'est lourd, mes enfants, quels livres, quels gros et beaux livres!...

—Nous savons qu'il a été ordonné, criait un autre, de ne pas quitter son village, et de ne rien emporter, pas même un grain de blé, et la voilà, elle, qui veut partir!

—Nous ne nous révoltons pas, nous obéissons aux ordres reçus, reprit Karp, qui se sentait encore soutenu par quelques-uns....

—Nous n'avons rien fait de mal, nous avons agi sottement, voilà tout!

—Nous avons suivi les conseils des anciens.

—Ma foi, ceux qui les ont écrits n'ont pas flâné!» reprit le jeune garçon en indiquant des dictionnaires couchés en travers.

—Le staroste? il demande le staroste!... Drone Zakharovitch, on t'appelle! dirent vivement et tout bas plusieurs voix, et les têtes se découvrirent une à une.

—Le staroste? Que lui voulez-vous?» demanda Karp. Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase, que son bonnet vola en l'air et que sa tête vacilla sous le coup qui l'avait frappé.

—Je vous l'avais bien dit, c'était contre les ordres, murmurèrent plusieurs paysans à la fois, en s'adressant mutuellement des reproches.

—Je vous en avais prévenu, dit Alpatitch, qui se sentait rentrer en pleine possession de son droit: c'est mal, très mal à vous, mes enfants!

—Il ne nous reste plus qu'à mourir!... Oui, à mourir!

—Holà, mes amis, garrottez-le?»

—C'était à ton dadais de fils d'être soldat, mais ça t'a fait de la peine, et c'est mon Vania, à moi, qui a été rasé, dit à son tour un petit vieillard avec violence....

—C'est ça, c'est ça, tu n'es pas encore renvoyé, mais tu t'es repu!»

—C'est inutile,» répondit Alpatitch, et, se tournant vers les paysans, il en appela deux par leur nom et leur commanda de détacher leurs ceintures pour lier les bras du prisonnier; les paysans obéirent en silence.

«Vous me remplissez de confusion, lui répondit-il en rougissant aux effusions de sa reconnaissance. Le premier ispravnik aurait agi de même.... Si nous n'avions eu que des paysans à combattre, l'ennemi ne se serait pas avancé aussi loin dans le pays,» ajouta-t-il d'un ton embarrassé, et, passant à un autre sujet: «Je suis heureux d'avoir eu l'occasion de faire votre connaissance. Adieu, princesse. Permettez-moi de vous souhaiter tout le bonheur possible et puissions-nous nous revoir dans des circonstances plus favorables!»

«Quelles sont les mesures que vous avez daigné prendre? lui demanda-t-il humblement.

«Quant à vous, poursuivit Rostow, écoutez-moi tous...: vous allez retourner chez vous à l'instant, et que je n'entende plus un mot!

«Pendant combien d'années n'as-tu pas dévoré la commune à belles dents? s'écria Karp.... Tu t'en moques pas mal.... Tu as enfoui quelque part un vase plein d'argent, tu le déterreras, tu t'en iras.... Que peut donc te faire, à toi, le pillage de nos maisons?

«Je leur en donnerai de la force armée! Ils verront, ils verront!» répétait Nicolas, sans penser à ce qu'il disait. En proie à une irritation violente et irréfléchie, il marchait résolument vers la foule groupée autour de la grange. Bien que Rostow n'eût pas de plan prémédité, Alpatitch pressentait que cet acte extravagant amènerait un bon résultat; sa démarche ferme et hardie, son visage contracté par la colère, firent également comprendre aux paysans que le moment de rendre compte de leur conduite était venu. Pendant l'entretien de Rostow avec la princesse Marie, un certain désarroi s'était déjà manifesté parmi eux; plusieurs, que la peur commençait à gagner, assuraient que les nouveaux venus étaient bien réellement des Russes et qu'ils se fâcheraient de ce qu'on osait retenir la demoiselle. Drone, qui était de cet avis, n'hésita pas à l'exprimer à haute voix, mais Karp et ses adhérents le prirent aussitôt à partie.

«Il faudrait que les nôtres, qui sont au bas de la montée, vinssent nous aider, dit-il.

«Hé! vous autres, qui est ici le staroste? demanda Rostow, en marchant droit sur eux.

«Cela te va bien, disait l'un d'eux à Karp, je vais te regarder à mon aise!... A-t-on jamais vu parler ainsi aux maîtres, à quoi songeais-tu?

«C'est toi? Garrotte-le, lui aussi, Lavrouchka!» s'écria Rostow avec autorité, comme si cet ordre ne pouvait rencontrer de résistance. Et en effet deux autres hommes du groupe s'approchèrent, et Drone dénoua lui-même sa ceinture pour se faire attacher les mains.

«Attention à ceci!» disait l'un des paysans, un jeune garçon, de haute taille et d'une physionomie avenante, à son camarade qui venait de recevoir une cassette des mains de la femme de chambre.... «Elle vaut cher... ne va pas la jeter tout bêtement ou la ficeler sans soin, elle s'éraillera.... Il faut que tout se fasse honnêtement et bien.... Voilà, comme cela!... recouverte de foin et de nattes, ce sera parfait.

Rostow, ne voulant pas s'imposer à la princesse Marie, ne retourna pas chez elle, mais attendit son départ au village. Lorsque les voitures se mirent en route, il monta à cheval et l'accompagna à douze verstes de distance jusqu'à Jankovo, qui était occupé par nos troupes. Arrivé au relais, il prit respectueusement congé d'elle, et lui baisa la main.

Là-dessus, comme s'il eût craint d'épuiser la colère amassée dans son coeur, il continua brusquement sa route. Alpatitch, refoulant le sentiment d'une offense imméritée, se mit à le suivre, tant bien que mal; il lui communiquait en marchant ses réflexions sur les paysans révoltés, il cherchait à lui faire comprendre que, grâce à leur opiniâtre endurcissement, il serait dangereux et impolitique d'entrer en lutte ouverte avec eux sans le secours de la force armée, et que dès lors il serait préférable de la requérir.

Le visage de la princesse Marie rayonnait d'une émotion attendrie; elle sentait qu'il méritait ses remerciements les plus vifs, car sans lui que serait-elle devenue? N'aurait-elle pas été infailliblement la victime des paysans révoltés, ou ne serait-elle pas tombée entre les mains des Français? Pour la sauver, ne s'était-il pas exposé aux plus grands dangers, et son âme, pleine de noblesse et de bonté, n'avait-elle pas su compatir à sa position et à sa douleur? Ses yeux, si bons, si honnêtes, s'étaient remplis de larmes, lorsqu'elle lui avait parlé, et ce souvenir restait gravé dans son coeur. En lui disant adieu, elle éprouva à son tour une émotion étrange, et elle se demanda si elle ne l'aimait pas déjà. Sans doute elle avait honte de s'avouer à elle-même qu'elle s'était subitement éprise d'un homme qui peut-être ne l'aimerait jamais; mais elle se consolait à la pensée que personne ne le saurait, et qu'il n'y avait aucun crime à aimer en secret, toute sa vie, celui qui serait son premier et son dernier amour. «Il a fallu qu'il arrivât à Bogoutcharovo pour me rendre service, il a fallu que sa soeur refusât mon frère,» se disait-elle, en entrevoyant le doigt de Dieu dans cet enchaînement de circonstances, et en caressant tout bas l'espoir que ce bonheur, à peine entrevu, pourrait un jour devenir une réalité!

Lavrouchka s'élança sur lui et s'empara de ses mains.

Drone, le visage pâle et les sourcils froncés, se décida enfin à paraître.

Deux heures plus tard, les chariots pour le bagage étaient attelés, et les paysans transportaient et emballaient les effets de leurs maîtres, sous la surveillance de Drone, qui avait été relâché sur la demande de la princesse.

Chacun regagna son logis pendant qu'on emmenait les prisonniers dans la cour de l'habitation de la princesse Marie; les deux ivrognes les suivirent:

Aussitôt que Karp vit venir Rostow, accompagné de Lavrouchka, d'Iline et d'Alpatitch, il alla à sa rencontre, les doigts passés dans sa ceinture, et le sourire aux lèvres. Drone, au contraire, s'était dissimulé dans les derniers rangs, et la foule se resserra.

Alpatitch, allongeant le pas, le rejoignit enfin à grand'peine:

Elle aussi avait fait une douce impression sur Rostow, et lorsque ses camarades, qui avaient eu vent de ses aventures, se permirent de le taquiner en le complimentant sur ce qu'en allant chercher du foin il avait eu le talent de découvrir une des plus riches héritières de Russie, il se fâcha sérieusement; mais au fond du coeur il s'avouait qu'il ne pouvait désirer ni faire rien de mieux que d'épouser la sympathique princesse Marie. Ce mariage ne ferait-il pas le bonheur de ses parents et le sien,—il le sentait instinctivement,—celui de la douce créature qui le considérait comme son sauveur!... Et, d'un autre côté, ne trouverait-il pas dans sa magnifique fortune le moyen de rétablir celle de son père?... Mais alors que deviendraient Sonia, et le serment qu'il lui avait fait? C'était précisément ce souvenir qui l'irritait, lorsqu'on le plaisantait sur son excursion à Bogoutcharovo.

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