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La guerre et la paix

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XI

Une heure plus tard, Douniacha vint dire à sa maîtresse que Drone était revenu annoncer que les paysans, rassemblés par lui sur l'ordre de la princesse, attendaient sa venue.

«Mais je ne les ai jamais appelés! dit la princesse Marie interdite: j'ai simplement commandé à Drone de leur distribuer le blé.

—Vous ne m'avez pas comprise, sans doute, reprit la princesse Marie avec un triste sourire. Pourquoi ce refus de partir, lorsque je vous promets de vous loger et de vous nourrir?... Si vous restez, l'ennemi vous ruinera!»

—Pourquoi cela?» reprit la princesse Marie. Elle ne reçut pas de réponse, et remarqua alors que tous les yeux s'abaissaient devant son regard: «Pourquoi le refusez-vous?» Même silence. Elle sentit qu'elle se troublait; enfin, avisant un vieillard appuyé sur un bâton, elle s'adressa directement à lui: «Pourquoi ne réponds-tu pas? lui dit-elle. Y a-t-il encore autre chose que je puisse faire pour vous?» Mais le vieillard détourna brusquement la tête, et, l'inclinant aussi bas que possible, murmura:

—Pars, pars seule, s'écrièrent à la fois plusieurs voix, et les visages reprirent la même expression: ce n'était plus assurément ni de la curiosité ni de la reconnaissance, mais bien une résolution irritée et opiniâtre.

—Non, non, j'irai moi-même m'expliquer avec eux...» Et la princesse Marie descendit les degrés du perron, malgré les supplications de Douniacha et de la vieille bonne, qui la suivirent de loin avec l'architecte: «Ils s'imaginent sans doute que je leur offre du blé en échange de leur consentement à rester ici, et que, moi, je vais partir et les livrer aux Français? se disait-elle, chemin faisant. Je leur annoncerai au contraire qu'ils trouveront des maisons là-bas, dans le bien de Moscou, ainsi que des provisions... car André, j'en suis sûre, aurait fait plus encore à ma place!»

—Mais alors, princesse, notre mère, renvoyez-les sans leur parler. Ils vous trompent, voilà tout, dit Douniacha; lorsque Jakow Alpatitch reviendra, nous partirons tout tranquillement, mais ne vous montrez pas, au nom du ciel!...

—J'en suis sûre. Suivez mon conseil. Demandez à la vieille bonne, elle vous le dira aussi: ils ne veulent pas quitter Bogoutcharovo, c'est leur idée!

—Ils me trompent, dis-tu?

—C'est toi qui te trompes, tu as mal compris.... Fais entrer Drone.»

«Pourquoi accepterions-nous, nous n'avons que faire du blé? Tu veux que nous abandonnions tout, et nous, nous ne le voulons pas!...

«Nous sommes très reconnaissants de vos bontés, dit enfin une voix... seulement nous ne toucherons pas au blé du seigneur.

«Nous n'y consentons pas.... Qu'il nous ruine!... Nous ne voulons pas de ton blé, nous le refusons!»

«Mais, Drone, je n'ai jamais donné cet ordre: je t'ai prié de faire une distribution de blé, rien de plus.»

«Le même malheur nous frappe tous, partageons donc tout entre nous. Ce qui est à moi est à vous,» dit-elle en terminant; et elle regardait ceux qui l'entouraient. Leurs yeux étaient toujours fixés sur elle, et leurs physionomies ne lui offraient qu'une seule et même expression dont elle ne pouvait se rendre compte. Était-ce de la curiosité, du dévouement, de la reconnaissance, ou de l'effroi? Impossible de le discerner.

«Je suis bien aise que vous soyez venus, leur dit-elle, sans lever les yeux, pendant que son coeur battait avec violence. Dronouchka m'a appris que la guerre vous avait ruinés, c'est notre sort à tous; soyez sûrs que je ferai tout ce qui dépendra de moi pour vous soulager. Il faut que je parte, car l'ennemi approche... et puis... enfin, mes amis, je vous donne tout!... prenez notre blé.... Qu'il n'y ait pas de misère parmi vous! Si on vous dit que je vous le donne pour que vous restiez ici, c'est faux, je vous supplie au contraire de partir, d'emporter tout ce que vous avez et d'aller chez nous, dans notre bien près de Moscou: là-bas vous ne manquerez de rien, je vous le promets... vous serez logés et nourris!»

«J'agis au nom de mon défunt père, reprit-elle, il a été un bon maître, vous le savez, et au nom de mon frère et de son fils.»

«Ils s'en iront si vous le voulez, dit-il avec hésitation.

«Elle a voulu nous tromper!... A-t-elle été rusée, hein?... Pourquoi veut-elle que nous abandonnions le village? Pour que nous ne soyons pas plus libres qu'auparavant?... Qu'elle garde son blé, nous n'en avons pas besoin!» criait-on de tous côtés, pendant que Drone, qui l'avait suivie, recevait ses instructions.

Les murmures et les exclamations de la foule couvrirent ses paroles.

La princesse Marie s'arrêta, on entendait quelques soupirs dans la foule:

La princesse Marie essayait, mais en vain, de parler; surprise et effrayée de leur inconcevable entêtement, elle baissa la tête à son tour, sortit à pas lents du groupe, et se dirigea vers la maison.

La foule rassemblée s'agita à sa vue, et se découvrit avec respect. Le crépuscule était tombé: la princesse Marie marchait les yeux baissés, s'embarrassant à chaque pas dans les plis de sa robe de deuil; elle s'arrêta enfin devant ce groupe disparate de figures jeunes et vieilles; leur grand nombre l'intimidait, et l'empêchait de les reconnaître.... Elle ne savait plus que dire: enfin, coupant court à son hésitation, elle trouva dans la conscience de son devoir l'énergie nécessaire:

Elle s'arrêta de nouveau; personne ne prit la parole.

Drone soupira sans répondre.

Drone confirma les paroles de Douniacha: les paysans avaient été rassemblés sur l'ordre de la princesse.

Décidée plus que jamais à partir, elle lui réitéra l'ordre de lui fournir des chevaux, et se retira ensuite dans son appartement, où elle s'absorba dans ses douloureuses pensées.

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