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La guerre et la paix

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XII

Nicolas Rostow reçut, un peu avant l'ouverture de la campagne, une lettre de ses parents; ils l'informaient, en quelques mots, de la maladie de Natacha et de la rupture de son mariage, «qu'elle-même avait rompu,» disaient-ils; ils l'engageaient de nouveau à quitter le service et à revenir auprès d'eux. Il leur exprima dans sa réponse tous les regrets que lui causaient la maladie et le mariage manqué de sa soeur, les assura qu'il ferait son possible pour réaliser leur souhait, mais se garda bien de demander un congé.

«Amie adorée de mon âme, écrivit-il en particulier à Sonia, l'honneur seul m'empêche de retourner auprès des miens, car aujourd'hui, à la veille de la guerre, je me croirais déshonoré non seulement aux yeux de mes camarades, mais aux miens propres, si je préférais mon bonheur à mon devoir et à mon dévouement pour la patrie. Ce sera, crois-le bien, notre dernière séparation! La campagne à peine finie, si je suis en vie et toujours aimé, je quitterai tout, et je volerai vers toi, pour te serrer à tout jamais sur mon coeur ardent et passionné!»

«Rostow, où es-tu? criait Iline.

«On ne peut plus y tenir, s'écria Iline, qui devinait la mauvaise humeur de Rostow: je suis mouillé jusqu'aux os.... Voilà la pluie qui diminue, je vais m'abriter ailleurs.» Iline et Zdrginsky sortirent.

«Je viens de l'état-major! dit-il. Connaissez-vous, comte, l'exploit de Raïevsky?...» Et il lui conta les détails du combat de Saltanovka.

«Hourra! Rostow, allons vite, j'ai trouvé! Il y a un cabaret à deux cents pas d'ici, et les nôtres y sont déjà établis. Nous nous sècherons, et Marie Henrikovna y est aussi.»

Reçu avec joie par ses camarades à l'expiration de son congé, on l'envoya acheter des chevaux pour la remonte, et en amena d'excellents de la Petite-Russie; on en fut enchanté, et ils lui valurent force compliments de la part de ses chefs. Nommé capitaine pendant cette courte absence, il fut appelé, lorsque le régiment se prépara à entrer en campagne, à commander son ancien escadron.

Quant aux hussards de Pavlograd, ils firent cette retraite par la plus belle des saisons, avec des vivres en abondance, et toute la facilité et l'agrément d'une partie de plaisir. Se désespérer, se décourager, et surtout intriguer, était le fait du quartier général, mais à l'armée on ne s'inquiétait pas de savoir où on allait et pourquoi on marchait. Les regrets causés par la retraite ne s'adressaient qu'au logement où l'on avait gaiement vécu, et à la jolie Polonaise qu'on abandonnait. S'il arrivait par hasard à un officier de penser que l'avenir ne promettait rien de bon, il s'empressait aussitôt, comme il convient à un vrai militaire, d'écarter cette crainte, de reprendre sa gaieté, et de reporter toute son attention sur ses occupations immédiates, afin d'oublier la situation générale. On campa d'abord aux environs de Vilna: on s'y amusa en compagnie des propriétaires polonais avec qui on avait noué connaissance, et en se préparant constamment à des revues passées par l'Empereur ou par d'autres chefs militaires. On reçut l'ordre de se replier jusqu'à Sventziany, et de détruire les vivres qu'on ne pouvait emporter. Les hussards n'avaient point oublié cet endroit, qui, pendant leur dernier séjour, avait été baptisé par l'armée du nom de «Camp des ivrognes». La conduite des troupes, qui, en réquisitionnant l'approvisionnement nécessaire, prenaient où elles pouvaient des chevaux, des voitures, des tapis, et tout ce qui leur tombait sous la main, y avait soulevé de nombreuses plaintes. Rostow se souvenait fort bien de Sventziany pour y avoir mis à pied le maréchal des logis le jour même de leur arrivée, et n'avoir pu venir à bout des hommes de son escadron, soûls comme des grives parce qu'ils avaient, à son insu, emporté avec eux cinq tonnes de vieille bière! De Sventziany, la retraite se continua jusqu'à la Drissa, et de la Drissa encore plus loin, en se rapprochant des frontières russes.

Marie Henrikovna était une jeune et jolie Allemande que le docteur du régiment avait épousée en Pologne et qu'il menait partout avec lui. Était-ce parce qu'il n'avait pas les moyens de l'installer ailleurs, ou parce qu'il ne voulait pas s'en séparer pendant les premiers mois de leur mariage? On l'ignorait. Le fait est que la jalousie du docteur était devenue, parmi les officiers de hussards, un thème de plaisanteries inépuisable. Rostow s'enveloppa de son manteau, appela Lavrouchka, lui donna de transporter ses effets, et suivit Iline; ils glissaient, à qui mieux mieux, dans la boue, et s'éclaboussaient dans les flaques d'eau; la pluie diminuait, l'orage s'éloignait, et la lueur blafarde des éclairs à l'horizon ne perçait plus les ténèbres qu'à de longs intervalles.

Les troupes quittèrent Vilna, par suite d'une foule de raisons politiques, de raisons d'État, et d'autres motifs, et chaque pas qu'elles faisaient en arrière donnait lieu, au sein de l'état-major, à de nouvelles complications d'intérêts, de combinaisons et de passions de toute sorte.

Le 13/25 juillet, le régiment de Pavlograd eut une sérieuse rencontre avec l'ennemi. La veille au soir, il avait été assailli par une épouvantable bourrasque accompagnée de grêle et de pluie, prélude des tempêtes et des bourrasques qui se renouvelèrent si souvent en l'année 1812.

La campagne s'ouvrit, les appointements furent doublés; le régiment, envoyé en Pologne, vit arriver de nouveaux officiers, de nouveaux soldats, de nouveaux chevaux, et il y régna cette joyeuse animation qui se manifeste toujours au début de toute guerre. Rostow, qui savait apprécier les avantages de sa position, s'adonna tout entier aux plaisirs et aux devoirs de son service, bien qu'il sût parfaitement qu'un jour viendrait où il le quitterait.

L'officier aux grosses moustaches, nommé Zdrginsky, leur en fit un récit emphatique. À l'entendre, la digue de Saltanovka ne rappelait rien moins que le défilé des Thermopyles, et la conduite du général Raïevsky, s'avançant avec ses deux fils sur la digue, sous un feu terrible, pour commander l'attaque, était comparable à celle des héros de l'antiquité. Rostow l'écouta sans lui prêter grande attention; il fumait sa pipe, faisait des contorsions chaque fois que l'eau lui glissait le long de la nuque, et regardait Iline du coin de l'oeil; entre lui et cet officier de seize ans, il y avait aujourd'hui les mêmes rapports que ceux qui avaient existé sept ans auparavant entre lui et Denissow. Iline avait pour Rostow une adoration toute féminine: c'était son Dieu et son modèle! Zdrginsky ne parvint pas à communiquer son enthousiasme à Nicolas, qui garda un morne silence, et l'on pouvait deviner à l'expression de son visage que ce récit lui était souverainement désagréable. Ne savait-il pas, par sa propre expérience, après Austerlitz et la guerre de 1807, qu'on mentait toujours en citant des faits militaires, et que lui-même mentait aussi en racontant ses prouesses? Ne savait-il pas également qu'à la guerre rien ne se passe comme on se le figure, et comme on le raconte après coup? Le récit ne lui plaisait donc en aucune façon, le narrateur encore moins; car en parlant il avait la fâcheuse habitude de se pencher sur la figure de son voisin, jusqu'à la toucher presque de ses lèvres, et d'occuper en outre beaucoup trop de place dans l'étroite hutte! «D'abord, se disait Rostow, les yeux fixés sur lui, la confusion et la presse devaient être telles sur cette digue, que si vraiment Raïevsky s'y est élancé avec ses deux fils, il n'a pu produire d'effet que sur les dix ou douze hommes tout au plus qui le serraient de près.... Quant aux autres, ils n'auront certainement pas remarqué avec qui il était, et s'ils s'en sont aperçus, ils s'en seront d'autant moins émus, qu'ils avaient dans ce moment à songer à leur propre peau, et que, par suite, le sacrifice de sa tendresse paternelle leur importait fort peu... et d'ailleurs, le sort de la patrie ne dépendait pas de cette digue...! La prendre ou la laisser à l'ennemi revenait au même, et, quoi qu'en puisse dire Zdrginsky, ce n'étaient pas les Thermopyles! Pourquoi alors ce sacrifice? Pourquoi mettre en avant ses propres enfants? Je n'aurais certainement pas exposé ainsi Pétia, ni même Iline, qui est un étranger pour moi, mais un brave garçon.... J'aurais au contraire tâché de les placer loin du danger.» Il se garda bien cependant de faire part à ses deux camarades de ses réflexions: l'expérience lui avait appris que c'était inutile, car, comme toute cette histoire devait contribuer à glorifier nos armées, il fallait feindre d'y ajouter une foi entière, et c'est ce qu'il fit sans hésiter.

Il disait vrai. La guerre seule empêchait son retour et son mariage. L'automne d'Otradnoë avec ses chasses, l'hiver avec ses plaisirs de carnaval, et son amour pour Sonia lui avaient fait entrevoir une série de joies paisibles et de jours tranquilles qu'il avait ignorés jusque-là, et dont la douce perspective l'attirait plus que jamais: «Une femme parfaite, des enfants, une excellente meute de chiens courants, dix à douze laisses de lévriers rapides, le bien à administrer, les voisins à recevoir, et une part active dans les fonctions dévolues à la noblesse: voilà une bonne existence, se disait-il!» Mais il n'y avait pas à y songer: la guerre lui commandait de rester au régiment, et son caractère était ainsi fait, qu'il se soumit à cette nécessité sans en éprouver le moindre ennui, et pleinement satisfait de la vie qu'il menait et qu'il avait su se rendre agréable.

Deux escadrons bivouaquaient dans un camp de seigle, dont les épis, foulés et piétinés par le bétail et les chevaux, ne contenaient plus un atome de grain. La pluie tombait à verse; Rostow et Iline, un jeune officier qu'il avait pris sous sa protection, s'abritaient dans une hutte de branchages élevée à la hâte. Un autre officier, dont les joues disparaissaient littéralement sous une énorme paire de moustaches, entra chez eux, surpris par l'orage.

Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées, que le premier revint en pataugeant dans la boue:

—Par ici, répondait Rostow.... Vois donc, quels éclairs!»

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