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La guerre et la paix

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IV

L'Empereur envoya ensuite chercher Balachow, lui lut sa lettre, le chargea d'aller la remettre en personne à l'Empereur des Français, et, lui répétant de nouveau les paroles qu'il lui avait dites au bal, lui ordonna de les rapporter telles quelles à Napoléon. Il ne les avait pas mises dans sa lettre, comprenant, avec son tact habituel, qu'il n'était pas convenable de les prononcer au moment où il faisait une dernière tentative pour le maintien de la paix; mais il réitéra l'ordre à Balachow de les redire textuellement à Napoléon lui-même. Partant aussitôt avec un trompette et deux cosaques, Balachow arriva, au point du jour, au village de Rykonty, occupé par des avant-postes de cavalerie française, en deçà du Niémen.

Un sous-officier de hussards, en uniforme amarante et coiffé d'un colback, lui cria de s'arrêter; Balachow se borna à ralentir le pas; le sous-officier s'avança vers lui en marmottant un juron d'un air irrité, et, tirant son sabre, lui demanda grossièrement s'il était sourd! Balachow se nomma: le Français, envoyant alors un de ses hommes chercher l'officier qui commandait le poste, reprit sa causerie avec ses camarades, sans plus faire attention à l'envoyé russe, qui éprouva un sentiment étrange en subissant, personnellement et dans son pays, cette manifestation irrespectueuse de la force brutale, si nouvelle pour lui, habitué aux honneurs et en rapports constants avec le pouvoir suprême, pour lui qui venait de causer pendant rois longues heures avec l'Empereur!

À peine eurent-ils dépassé le cabaret situé sur la hauteur, qu'ils virent venir à eux plusieurs militaires, en avant desquels s'avançait, monté sur un cheval noir, dont le harnachement étincelait au soleil, un homme de haute taille; un manteau rouge jeté sur les épaules, les jambes tendues en avant à la manière française, il était coiffé d'un énorme chapeau par dessous les bords duquel s'échappaient des boucles de cheveux noirs: l'air faisait onduler le plumet multicolore de sa coiffure, et les galons d'or de son uniforme scintillaient aux rayons ardents du soleil de juin.

«Sire, l'Empereur mon maître ne désire pas la guerre, et comme Votre Majesté le voit...» poursuivit Balachow en lui donnant exprès à chaque mot, avec une affectation marquée, une qualification royale qu'il sentait lui être particulièrement agréable dans sa nouveauté, à en juger par la joie comique qui se peignait sur son visage. «Royauté oblige,» aussi Murat crut-il de son devoir de deviser avec Monsieur de Balachow, ambassadeur de l'Empereur Alexandre sur les affaires de l'État. Descendant de cheval et lui prenant le bras, il se mit à causer et à marcher avec lui de long en large, en s'efforçant de donner de l'importance à ses paroles. Il lui dit entre autres choses que l'Empereur Napoléon, offensé par la demande qu'on lui avait adressée de retirer ses troupes de la Prusse, l'était surtout de la publicité donnée à cette exigence, qui froissait la dignité de la France. Balachow lui répondit que cette exigence n'avait rien de blessant parce que..., mais Murat ne lui donna pas le temps d'achever:

«L'instigateur n'est donc point, selon vous, l'Empereur Alexandre?» demanda-t-il subitement et avec un sourire gauche.

«Je vous ai fait roi pour régner à ma manière et non pas à la vôtre,» lui avait dit ce dernier à Danzig, et, pareil à un bel étalon qui folâtre même sous le harnais, il galopait sur les routes de la Pologne, paré des couleurs les plus voyantes et des plus riches bijoux, sans s'inquiéter, dans sa bruyante bonne humeur, de savoir où il allait.

«Je ne vous retiens plus, général, je vous souhaite tout le succès possible!» dit-il en rejoignant sa suite, qui l'attendait respectueusement à quelques pas en arrière... et le manteau rouge brodé d'or, les plumes flottant au vent, et les pierres fines jetant mille feux au soleil, disparurent dans le lointain!

«Eh! mon cher général, je souhaite de tout mon coeur que les Empereurs s'arrangent entre eux, et que cette guerre, commencée malgré moi, se termine le plus tôt possible,» poursuivit Murat, à la façon des serviteurs qui désirent rester amis malgré la querelle de leurs maîtres.

«Eh bien, général, tout est à la guerre, à ce qu'il paraît!» comme s'il regrettait la nécessité de ce fait, qu'il ne se permettait pas de juger.

«De Balmacheve?» dit le roi en surmontant, avec sa résolution habituelle, la difficulté qu'avait éprouvée le colonel de hussards. «Charmé de faire votre connaissance, général,» ajouta-t-il d'un geste plein de grâce; mais, dès que la voix de Sa Majesté devint plus haute et plus vive, elle perdit subitement toute sa dignité royale, et passa sans transition au ton qui lui était naturel, celui d'une bienveillante bonhomie. Posant la main sur le garrot du cheval de Balachow:

Traversant ensuite le village, au milieu de piquets de hussards, de soldats et d'officiers qui leur faisaient le salut militaire et regardaient avec curiosité l'uniforme russe, ils sortirent par l'extrémité opposée; à deux verstes de là campait le général de division qui devait se charger de conduire l'envoyé d'Alexandre jusqu'à sa destination.

Malgré son intime conviction qu'il était bien toujours le roi de Naples, et que ses sujets pleuraient son absence, il reprit gaiement, au premier signal de son auguste beau-frère, la besogne qui lui avait été familière:

Le soleil était levé et éclairait gaiement les champs et les prairies.

Le soleil perçait les nuages, l'air était frais et imprégné de rosée. Le troupeau du village s'en allait aux champs, où les alouettes s'élevaient dans l'espace, en gazouillant, l'une après autre comme des bulles d'air qui montent à la surface de l'eau. Balachow, en attendant l'officier, suivait leur vol d'un égard distrait, pendant que les cosaques et les hussards changeaient en silence des clins d'oeil furtifs.

Le colonel étouffait avec peine des bâillements, mais il fut poli envers Balachow, car il se rendait compte de son importance. Il lui fit franchir les avant-postes, et l'assura que, vu la proximité du quartier général de l'Empereur, son désir de lui être immédiatement présenté ne souffrirait aucune difficulté.

Le colonel français, qui venait évidemment de se lever, parut enfin, suivi de deux de ses hussards, et monté sur un beau cheval gris bien soigné et bien nourri: les cavaliers et leurs chevaux avaient une tournure élégante et respiraient le bien-être.

Il s'informa ensuite de la santé du grand-duc, parla du temps qu'ils avaient si joyeusement passé ensemble à Naples, puis, se ressouvenant de sa haute dignité, il se redressa avec solennité, se posa comme il l'avait fait le jour de son couronnement, et faisant un geste de la main:

En apercevant le général russe, il rejeta majestueusement sa tête bouclée en arrière d'une façon toute royale, et regarda le colonel français en le questionnant du regard. Celui-ci expliqua respectueusement à Sa Majesté ce que voulait Balachow, dont il ne parvenait pas à prononcer correctement le nom.

Ce n'était encore que la première période de la guerre, la période de la tenue d'ordonnance, la période de l'ordre comme en temps de paix, à laquelle se mêlaient pourtant une allure plus guerrière que de coutume, et cet entrain et cette gaieté qui sont l'accompagnement habituel des débuts d'une campagne!

C'était en effet Murat, qu'on appelait ainsi, bien qu'il fût impossible de comprendre pourquoi dans ce moment il était «le roi de Naples». Lui-même du reste se prenait tellement au sérieux, que lorsque, la veille de son départ de Naples, en se promenant dans les rues avec sa femme, il entendit quelques Italiens crier: «Viva il Re!» il dit avec tristesse: «Les malheureux! ils ne savent pas que je les quitte demain!»

Balachow ne se trouvait plus qu'à quelques pas de distance de ce cavalier à l'aspect théâtral, tout chamarré d'or et couvert de bracelets et de bijoux de toutes sortes, lorsque le colonel Julner lui murmura à l'oreille: «Le roi de Naples!»

Balachow lui expliqua les raisons qui le forçaient à considérer Napoléon comme le fauteur de la guerre.

Balachow, croyant trouver Napoléon à peu de distance de là, continua son chemin, mais, arrivé au premier village, il fut arrêté cette fois par les sentinelles du corps d'infanterie de Davout, et l'aide de camp du chef de corps le conduisit jusqu'à l'habitation du maréchal.

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