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La guerre et la paix

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III

L'Empereur Alexandre, établi à Vilna depuis plus d'un mois, y employait tout son temps à des revues et des manoeuvres. Rien n'était prêt pour la guerre, bien qu'elle fût prévue depuis longtemps, et c'était pour s'y préparer que l'Empereur avait quitté Pétersbourg. Il n'existait aucun plan général, et l'indécision quant au choix à faire entre tous ceux que l'on proposait ne fit qu'augmenter, à la suite des quatre semaines le séjour de Sa Majesté au quartier général. Chacune des trois armées avait son commandant en chef, mais il n'y avait pas de généralissime, et l'Empereur ne voulait pas en assumer les fonctions. Plus il restait à Vilna, plus les préparatifs traînaient en longueur, et il semblait que les efforts de l'entourage impérial n'eussent d'autre but que de faire oublier à Sa Majesté la guerre prochaine, et de rendre son séjour aussi agréable que possible.

Après une kyrielle de bals et de fêtes donnés par les magnats polonais, par les hauts personnages qui avaient des charges de cour, et par l'Empereur lui-même, il vint à la pensée d'un des aides de camp généraux polonais d'offrir à Sa Majesté un banquet et un bal au nom de tous ses collègues. Cette proposition, accueillie avec joie, obtint le consentement impérial; l'argent fut réuni par souscriptions, et la dame qui inspirait le plus de sympathie à l'Empereur consentit à remplir les devoirs de maîtresse de maison. Le 25 juin fut fixé pour le bal, le dîner, les courses sur l'eau et le feu d'artifice organisés à Zakrety, propriété du comte Bennigsen, qui était située aux environs de Vilna, et qu'il avait mise à la disposition des ordonnateurs de la fête.

«Que personne n'en sache rien!» ajouta-t-il en fronçant les sourcils. Boris, devinant que cette parole lui était adressée, baissa les yeux, et inclina de nouveau la tête. L'Empereur rentra dans la salle de bal et y resta encore une demi-heure environ.

«Monsieur mon Frère, j'ai appris hier que, malgré la loyauté avec laquelle j'ai maintenu mes engagements envers Votre Majesté, ses troupes ont franchi les frontières de la Russie, et je reçois à l'instant de Pétersbourg une note par laquelle le comte Lauriston, pour motiver cette agression, annonce que Votre Majesté s'est considérée comme en état de guerre avec moi dès le moment où le prince Kourakine demande ses passeports. Les motifs sur lesquels le duc de Bassano fondait son refus de les lui délivrer n'auraient jamais pu me faire supposer que cette démarche servirait de prétexte à l'agression. En effet, cet ambassadeur n'y a jamais été autorisé, comme il l'a déclaré lui-même, et aussitôt que j'en ai été informé, je lui ai fait connaître combien je le désapprouvais, en lui donnant l'ordre de rester à son poste. Si Votre Majesté n'est pas intentionnée de verser le sang de nos peuples pour un mésentendu (sic) de ce genre et qu'elle consente à retirer ses troupes du territoire russe, je regarderai ce qui s'est passé comme non avenu, et un accommodement entre nous sera possible. Dans le cas contraire, Votre Majesté, je me verrai forcé de repousser une attaque que rien n'a provoquée de ma part. Il dépend encore de Votre Majesté d'éviter à l'humanité les calamités d'une nouvelle guerre.

«Je suis, etc... etc.

«Entrer en Russie, sans avoir déclaré la guerre! Je ne ferai la paix que lorsqu'il ne restera plus un seul ennemi sur le sol de mon Empire!» Boris crut s'apercevoir que l'Empereur éprouvait une certaine satisfaction à s'exprimer ainsi, et à donner cette forme à sa pensée, mais qu'en même temps il était mécontent d'avoir été entendu par lui.

On dansait encore à minuit; Hélène, ne trouvant pas de cavalier digne d'elle, demanda à Boris de danser avec elle la mazourka, et ils formèrent le troisième couple. Boris regardait avec une calme indifférence les éblouissantes épaules d'Hélène, sortant d'un corsage de gaze d'une couleur sombre, lamé d'or, et causait de leurs anciennes connaissances, sans toutefois quitter des yeux une seconde l'Empereur, qui, debout près d'une porte, arrêtait au passage les uns et les autres, en leur adressant ces bienveillantes paroles que lui seul savait dire.

Le jour même où Napoléon donna l'ordre de traverser le Niémen et où son avant-garde, repoussant les cosaques, passa la frontière russe, l'Empereur Alexandre se trouvait au bal donné en son honneur par ses aides de camp généraux!

Il écrivit ensuite de sa propre main à Napoléon la lettre suivante:

Il remarqua bientôt que Balachow, un des intimes du Tsar, s'arrêta familièrement à deux pas de lui pendant qu'il causait avec une dame polonaise; l'Empereur lui jeta un coup d'oeil interrogateur, et, comprenant qu'un grave motif devait seul l'avoir forcé à agir aussi librement, il salua la dame, se tourna vers Balachow, et sa figure exprima aussitôt une profonde surprise pendant qu'il l'écoutait! Le prenant par le bras, il l'entraîna vivement dans le jardin, sans faire attention à la curiosité de la foule, qui aussitôt recula respectueusement devant lui. Boris, portant ses yeux sur Araktchéïew, avait remarqué son trouble à l'apparition de Balachow; il le vit se placer en avant, comme s'il s'attendait à être interpellé par l'Empereur. À ce mouvement du ministre de la guerre, Boris comprit qu'il était jaloux de Balachow, et lui en voulait d'avoir la chance de transmettre à Sa Majesté une nouvelle de haute importance. Se voyant oublié, il les suivit, à vingt pas de distance, dans le jardin illuminé, en jetant autour de lui des regards furibonds.

Droubetzkoï, ayant ainsi été, grâce au hasard, le premier à connaître le passage du Niémen par les troupes françaises, profita de cette bonne fortune pour faire croire à quelques personnages importants qu'il en savait souvent plus long qu'eux, ce qui le grandit singulièrement dans leur opinion.

Cette nouvelle fut un coup de foudre! Reçue pendant un bal et après un mois d'attente, elle semblait encore plus incroyable! L'Empereur, sous la première impression d'indignation et de colère, avait trouvé la phrase, devenue plus tard célèbre, qu'il se plaisait à répéter et qui exprimait parfaitement ses sentiments. Rentré à deux heures de la nuit, il envoya chercher son secrétaire Schischkow, et lui dicta un ordre du jour aux troupes et un rescrit au maréchal prince Soltykow, dans lequel il déclarait sa ferme intention, dans les mêmes termes qu'il avait employés en parlant à Balachow, de ne pas faire la paix tant qu'il resterait un seul Français armé sur le sol de la Russie.

Cette brillante fête avait réuni sur le même point, au dire des experts, plus de belles personnes qu'on n'en avait jamais vues. La comtesse Besoukhow, venue tout exprès de Pétersbourg avec quelques autres dames, éclipsait, par sa luxuriante beauté russe, la beauté plus fine et plus distinguée des dames polonaises. L'Empereur la remarqua, et lui fit l'honneur de danser une fois avec elle.

Boris, tourmenté du désir d'apprendre un des premiers quelle était cette grave nouvelle, murmura tout à coup à l'oreille d'Hélène qu'il allait prier la comtesse Potocka de leur faire vis-à-vis; la comtesse était en ce moment sur le perron: au moment où il arrivait près d'elle, il s'arrêta court à la vue de l'Empereur, qui rentrait avec Balachow. Faisant semblant de ne pas avoir le temps de s'écarter, il se serra contre la porte, inclina la tête avec respect, et entendit Alexandre dire, avec l'émotion d'un homme qui aurait reçu une offense personnelle:

Boris Droubetzkoï avait laissé sa femme à Moscou, et se trouvait à Vilna «en garçon», comme il disait; quoiqu'il ne fût pas aide de camp général, il assistait à la fête, grâce à la somme assez ronde qu'il avait inscrite sur la liste de souscription; devenu très riche et fort avancé en dignités de toutes sortes, il ne cherchait plus de protections, et se tenait sur un pied de parfaite égalité avec ses contemporains plus élevés que lui en grade.

«Alexandre.»

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