La guerre et la paix在线阅读

La guerre et la paix

Txt下载

移动设备扫码阅读

XXII

Pierre retourna chez les Rostow dans la soirée pour remplir sa mission. Natacha était au lit, le comte au club; il remit les lettres à Sonia, et passa chez Marie Dmitrievna, qui était très désireuse de savoir comment le prince André avait supporté sa déception. Sonia entra un instant après:

«Natacha tient à voir le comte, dit-elle.

—Où? se dit Pierre à lui-même, mais où peut-on aller à présent? Certainement pas au club, pour y voir cette foule d'indifférents? ...» Tout lui semblait maintenant si misérable, comparé au sentiment d'affection et d'amour qui l'avait envahi, à ce long et doux regard qu'elle avait attaché sur lui à travers ses larmes!

—Oui, je lui dirai tout, répondit Pierre avec une profonde émotion, mais j'aurais désiré savoir une chose....

—Oh! ne l'appelez pas ainsi! Je ne sais pas... je ne sais plus rien!»

—Non, tout n'est pas perdu, continua Pierre en s'animant: si j'étais un autre que moi, si j'étais le plus beau, le plus intelligent, le meilleur des hommes, si j'étais libre, je vous aurais demandé, à genoux, à l'instant même, votre main et votre amour!»

—Non, je n'ai plus rien, tout est perdu pour moi! s'écria-t-elle.

—Ne me parlez pas ainsi, je ne le mérite pas!» s'écria Natacha, en se levant pour s'en aller; mais Pierre la retint: il avait encore quelque chose à lui dire, et lorsqu'il le lui eut dit, il s'étonna de sa hardiesse:

—Mais comment le mener chez elle, où tout est en désordre? demanda Marie Dmitrievna.

—Laquelle?

—J'aurais voulu savoir si vous avez aimé ce... (il rougit, ne sachant comment qualifier Anatole...) si vous avez aimé ce vilain homme?

—Elle s'est levée, et attend le comte au salon,» répliqua Sonia.

—C'est à vous que je redirai de ne pas parler ainsi, poursuivit-il, car vous avez encore toute une vie devant vous!

«À la maison!» cria Pierre, en rejetant derrière lui, malgré les dix degrés de froid, sa grosse fourrure d'ours, et en découvrant sa large poitrine qui se soulevait de bonheur.

«Quand sa mère arrivera-t-elle? Je suis à bout de forces. Quant à toi, ménage-la, ne lui dis pas tout; elle fait tellement pitié, qu'on n'a pas le coeur de l'accabler.»

«Pierre Kirilovitch, lui dit-elle précipitamment, le prince Bolkonsky était votre ami... est votre ami, ajouta-t-elle en se reprenant, car il lui semblait, au milieu de ce chaos, que rien de ce qui avait été n'existait plus. Il m'a dit de m'adresser à vous si...»

«Où faut-il vous mener? demanda le cocher.

«Oui, je le lui dirai,» murmura Pierre, ne sachant que lui répondre.

«Oh! je sais que tout est fini, et que cela ne peut plus se renouer, mais je suis tourmentée du mal que je lui ai fait. Dites-lui qu'il me pardonne, qu'il me pardonne!... ajouta-t-elle en tremblant convulsivement, et en se laissant tomber sur un fauteuil.

«N'en parlons plus, mon enfant,» lui dit-il en se remettant peu à peu. Natacha fut frappée de la douceur et de la sincérité de sa voix. «N'en parlons plus, mon enfant, répéta-t-il; je lui dirai tout, mais au moins accordez-moi une chose: considérez-moi comme votre ami; si jamais il vous faut un conseil, un appui, ou simplement si vous avez besoin d'épancher votre coeur dans un autre... pas à présent, mais lorsque vous verrez clair au dedans de vous-même, souvenez-vous de moi!...» Et, lui prenant la main, il la baisa. «Je serais heureux de pouvoir vous être utile....

«Il est ici, dites-lui que je le prie de... me pardonner!» Sa voix se brisa, elle était vaincue par l'émotion, mais elle ne pleurait pas.

Une pitié, telle qu'il n'en avait jamais ressenti une pareille, un sentiment de profonde et ineffable tendresse, envahit si violemment l'âme de Pierre, que les larmes jaillirent de ses yeux: il les sentait couler sous les verres de ses lunettes, et espérait qu'elle ne les remarquerait pas:

Retenant ses pleurs avec peine, il sortit également en toute hâte et, après avoir passé sa pelisse tant bien que mal, il se jeta dans son traîneau.

Pierre la regardait en silence; jusqu'à ce moment il l'avait, à part lui, accablée de reproches sanglants, il avait même essayé de la mépriser dans le fond de son coeur; mais à présent, à mesure qu'il sentait grandir la compassion qu'elle lui inspirait, ses reproches s'envolaient un à un.

Natacha, qui n'avait pas encore pu pleurer, fondit en larmes à ces paroles, et quitta l'appartement en le remerciant d'un regard reconnaissant et attendri.

Natacha, effrayée de l'intention qu'il pouvait prêter à ses paroles, reprit vivement:

Natacha, amaigrie, pâle, mais n'ayant nullement l'air humilié, comme Pierre s'y attendait, le reçut debout au milieu du salon. Elle hésita en le voyant entrer, ne sachant si elle devait avancer ou rester en place.

Marie Dmitrievna haussa les épaules:

Il pressa le pas, pensant que, comme toujours, elle allait lui tendre la main, mais elle s'arrêta tout à coup en suffoquant, et laissa retomber ses bras le long de son corps: c'était, sans qu'elle y songeât, sa pose habituelle, lorsque autrefois elle se préparait à chanter au milieu de la salle; mais aujourd'hui, comme l'expression de sa figure était changée!

Le temps était admirablement clair: au-dessus des rues sales et obscures, au-dessus des toits qui s'enchevêtraient les uns dans les autres, s'étendait la voûte foncée du ciel toute constellée d'étoiles. En contemplant ces hautes et mystérieuses sphères, si bien en harmonie avec l'état de son âme, il oubliait l'outrageante abjection de la terre. Au moment où il débouchait sur l'Arbatskaïa, un large espace du sombre horizon s'ouvrit devant ses yeux. Tout au milieu rayonnait une pure lumière, dont la brillante chevelure, entourée d'astres scintillants, se déployait majestueusement sur l'extrême limite de notre globe: c'était la fameuse comète de 1811, celle-là même qui, au dire de chacun, annonçait des calamités sans nombre et la fin du monde. Mais elle n'éveilla aucune terreur superstitieuse dans le coeur de Pierre, et ses yeux humides de pleurs l'admiraient au contraire avec extase. Ne semblait-elle pas être venue s'enfoncer dans ce coin de la terre comme une flèche dont la parabole aurait franchi avec une rapidité vertigineuse l'incommensurable espace, et qui maintenant, relevant au-dessus d'elle son long et lumineux panache, se jouait au loin dans l'infini! Il lui sembla que sa céleste lueur dissipait les ténèbres de son âme, et lui laissait entrevoir les clartés divines d'une nouvelle existence!

0.23%
XXII