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La guerre et la paix

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XVIII

Marie Dmitrievna avait surpris dans le corridor la pauvre Sonia tout en larmes, l'avait confessée, et était allée aussitôt trouver Natacha en tenant à la main la réponse qu'elle avait adressée à Anatole, et qu'elle venait d'intercepter:

«Vilaine créature!... créature sans vergogne! pas un mot, je ne veux rien entendre!...» Et, repoussant Natacha, qui suivait d'un oeil sec tous ses mouvements, elle prit la clef et l'enferma à double tour. Appelant ensuite le dvornik, elle lui ordonna de laisser entrer dans la cour les personnes qui se présenteraient dans la soirée, de fermer derrière elles les issues, et de les lui amener au salon.

—Peu importe! reprit Marie Dmitrievna. Que diront-ils, eux? Je connais ton père... il est capable de le provoquer! Et alors qu'arrivera-t-il?

—Laissez-moi, laissez-moi! Pourquoi avez-vous tout dérangé, pourquoi? Qui vous en avait priée?» Et Natacha, élevant la voix, se souleva en jetant un regard farouche à Marie Dmitrievna.

—Je n'ai plus de fiancé, je l'ai refusé! s'écria Natacha avec colère.

—Il vaut mieux que vous tous! Si vous ne m'aviez pas empêchée.... Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi tout cela? Allez-vous-en, allez-vous-en!» Et elle pleurait avec ce désespoir sans bornes auquel s'abandonnent ceux qui sentent qu'ils sont eux-mêmes la cause de leur malheur.

«Qu'as-tu, mon ange, tu es malade? lui dit-il.

«Nathalie, poursuivit Marie Dmitrievna, je te veux du bien; reste couchée, reste ainsi, si cela te plaît: je ne te toucherai pas, mais écoute...: je ne te redirai pas à quel point je te trouve coupable, tu le sais, mais que dirai-je à ton père, qui sera ici demain?»

«Marie Dmitrievna, de grâce, laissez-moi entrer chez elle!»

«Mais où donc en voulais-tu venir? répliqua celle-ci, qui ne se contenait plus.... T'enfermait-on à triple tour? Qui l'empêchait, lui, de te voir chez moi? Pourquoi t'enlever comme une bohémienne? Tu crois donc qu'on ne t'aurait pas rattrapée?... Quant à lui, c'est un vaurien, un scélérat!

«Laissez-moi, tout m'est égal, je mourrai!...» Et, se dégageant avec une violence sauvage, elle reprit sa première position.

«Il l'apprendra, bien sûr, ainsi que ton frère et ton fiancé!

«C'est laid, c'est mal, se conduire ainsi sous mon toit, mais j'aurai pitié de son père, et je ne dirai rien,» se disait-elle en s'approchant de Natacha, qui était couchée sur le canapé, comme elle l'avait laissée. Natacha ne se retourna pas: ses sanglots étouffés trahissaient seuls l'émotion qui secouait tout son être.

«C'est bien, c'est joli! dit Marie Dmitrievna, donner des rendez-vous à son amant dans ma maison!... Tu t'es couverte de honte comme la dernière des filles, et si je m'écoutais..., mais je veux ménager ton père, je ne lui en dirai pas un mot! Heureusement pour lui qu'il s'est enfui, mais je saurai le découvrir! ajouta-t-elle d'une voix dure... tu m'entends?...» Et, s'asseyant à côté de Natacha, elle passa sa large main sous la tête de la jeune fille, et la força à se retourner de son côté. Sonia et Marie Dmitrievna furent saisies à la vue de son visage: ses yeux étaient secs et brillants, ses lèvres serrées, ses joues creuses.

Sonia la suivit.

Natacha ne répondit que par un sanglot.

Marie Dmitrievna tint bon, et continua à la sermonner et à lui répéter combien il était urgent de cacher ce déplorable scandale à son père, et que personne n'en saurait rien si elle consentait à ne pas se trahir. Natacha ne disait mot, ses larmes cessèrent, et le frisson et le tremblement de la fièvre s'emparèrent d'elle. Marie Dmitrievna lui glissa un oreiller sous la tête, la couvrit de deux couvertures bien chaudes, et la quitta, persuadée qu'elle finirait par s'endormir. Mais le sommeil ne lui vint pas: ses yeux restèrent grands ouverts et fixes, son visage conserva une pâleur mate, elle ne versa plus une larme, et Sonia, qui s'approcha d'elle à plusieurs reprises pendant cette longue nuit, ne put en tirer un seul mot.

Marie Dmitrievna essaya de la calmer, mais Natacha, se redressant tout à coup et retombant sur le canapé, s'écria: «Sortez, sortez, vous me méprisez, vous me détestez!»

Mais Marie Dmitrievna ouvrit la porte sans lui répondre et entra d'un pas résolu.

Lorsque Gavrilo vint lui annoncer qu'ils s'étaient enfuis, elle se leva, les sourcils froncés, et se mit à arpenter la chambre, les mains croisées derrière le dos, et réfléchissant à ce qui lui restait à faire. Vers minuit, tirant la clef de sa poche, elle retourna auprès de Natacha; Sonia sanglotait à la même place:

Le comte revint le lendemain pour l'heure du déjeuner. Il était de très belle humeur: sa vente ayant été heureusement terminée, rien ne le retenait plus à Moscou, et il avait hâte d'aller retrouver la comtesse, qui lui manquait. Marie Dmitrievna lui annonça que, sa fille s'étant trouvée sérieusement malade la veille, elle avait fait venir un médecin, et que d'ailleurs elle allait maintenant beaucoup mieux. Natacha gardait la chambre: assise à la croisée, les lèvres serrées, les yeux secs et fiévreux, elle suivait des yeux, avec une curiosité inquiète, les voitures et les piétons, et se retournait vivement chaque fois quelqu'un entrait chez elle. Elle attendait évidemment des nouvelles d'Anatole, elle espérait le voir arriver ou en recevoir un mot!

Le bruit des pas de son père la fit tressaillir, mais, à sa vue, l'expression de sa figure, un moment émue, redevint froide et irritée: elle ne se leva même pas.

—Oui,» répondit-elle après quelques instants de silence. Ses questions furent pleines de sollicitude, et il lui demanda si son abattement n'avait pas pour cause quelque pénible différend survenu entre elle et son fiancé: elle le rassura, et le pria de ne pas s'en préoccuper. Marie Dmitrievna lui confirma ces assurances. Cependant le comte ne fut dupe, ni de la prétendue maladie de sa fille, ni du changement qui s'était opéré en elle, ni du trouble des visages de Marie Dmitrievna et de Sonia: il devina qu'un grave événement avait dû se passer en son absence, mais la crainte d'apprendre qu'il n'était pas à l'honneur de sa fille, et de compromettre son insouciante gaieté, l'empêcha de questionner; il se rassura, se persuada qu'il n'y avait là rien d'important, et se borna à regretter qu'une raison de santé retardât de quelques jours leur départ pour la campagne.

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