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La guerre et la paix

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VI

Le comte Rostow, ayant laissé sa femme souffrante à la campagne, arriva à Moscou vers la fin de janvier, avec Natacha et Sonia. On attendait le prince André: il fallait donc s'occuper du trousseau, vendre des biens et profiter de la présence du vieux prince pour lui présenter sa future belle-fille. L'hôtel des Rostow n'étant ni préparé, ni chauffé pour les recevoir convenablement, le comte accepta l'offre cordiale de Marie Dmitrievna Afrossimow, et descendit d'autant plus volontiers chez elle, qu'il ne comptait pas faire un long séjour.

Un soir, à une heure assez avancée, les quatre voitures qui menaient la famille Rostow firent leur entrée dans la cour d'une liaison de la rue des Vieilles-Écuries. Cette maison appartenait à Marie Dmitrievna, qui l'occupait toute seule, depuis que sa fille était mariée, et que ses quatre fils servaient à l'armée.

—Un peu de tout, des chiffons à commander, la maison et le bien à vendre, celui qui est dans les environs, vous savez: aussi, vous demanderai-je la permission d'aller faire une petite pointe de ce côté.... Je vous confierai ces fillettes, et j'irai y passer un jour.

—Bien, bien, elles seront en sûreté chez moi, j'en réponds, aussi en sûreté que si on les confiait au conseil de tutelle; je les chaperonnerai, je les gronderai, je les gâterai,» dit Marie Dmitrievna, en effleurant de sa grande main la joue de Natacha, sa favorite et sa filleule.

«À présent, causons.... Je te félicite, tu as accroché un charmant fiancé, j'en suis ravie pour toi; quant à lui, je le connais depuis son enfance...» Natacha rougit de plaisir. «Je l'aime, lui et toute la famille... Écoute-moi bien! Le vieux prince, qui est d'un caractère fantasque, désapprouve ce mariage; mais le prince André n'est pas un enfant, et peut fort bien se passer de son consentement. Seulement, c'est toujours une chose fâcheuse que d'entrer dans une famille qui vous reçoit à contre-coeur.... La conciliation est préférable: mets-y du bon vouloir de ton côté, et comme tu n'es pas une sotte, tu sauras, j'en suis sûre, avec du tact et de la douceur, les bien disposer en ta faveur... et tout ira bien!»

«Marie, ta future belle-soeur est bonne, en dépit du dicton: «belles-soeurs ont laides querelles», car celle-là ne ferait pas de mal à une mouche. Elle m'a demandé à te voir, tu pourras donc y aller demain avec ton père... tâche de lui plaire: tu es la plus jeune, tu sais, la connaissance sera au moins faite pour son arrivée, à lui; son père et sa soeur auront le temps de s'attacher à toi. N'est-ce pas vrai? Ne sera-ce pas mieux ainsi?

«Je me réjouis de vous voir chez moi,... il en est temps ce me semble, car, ajouta-t-elle en regardant Natacha, le vieux est ici et l'on attend le fils. Il faut faire sa connaissance, il le faut; mais nous en causerons plus tard...» Et elle s'arrêta en jetant un coup d'oeil à Sonia, comme pour indiquer son intention de ne pas aborder ce sujet devant elle. «À propos... qui enverras-tu chercher demain? continua-t-elle en s'adressant au comte et en comptant sur ses doigts; Schinchine d'abord n'est-ce pas? ensuite Anna Mikhaïlovna... cette pleurnicheuse, son fils est ici, il se marie.... Qui donc encore? Besoukhow, qui est également ici avec sa femme... il l'a fuie, mais elle l'a relancé!... Il a dîné chez moi mercredi. Quant à celles-là, dit-elle en désignant les jeunes filles, je les mènerai demain saluer la «Iverskaïa» et de là chez la Aubert Chalmé, car elles n'ont rien à mettre, j'en suis sûre, et ce n'est pas moi qui pourrais leur servir de modèle!... La mode change tous les jours, c'est à faire frémir! L'autre jour j'ai pu m'en convaincre en voyant une demoiselle avec des manches de robe grosses comme des tonneaux.... Et toi, quelles affaires as-tu? ajouta-t-elle en reprenant son air sévère.

«Est-ce au comte, cela?... Alors, ici, ici!» criait-elle sans même leur souhaiter la bienvenue, tant elle était occupée à faire mettre où il fallait les malles qu'on apportait. «Quant à celles des demoiselles,... à gauche! Voyons, que faites-vous là bouche béante! ajoutait-elle en s'adressant aux femmes de chambre, allez, chauffez le samovar!... Eh! mais, te voilà engraissée et embellie, dit-elle en attirant à elle Natacha, qui était toute rouge de froid sous son capuchon.

«Dieu, quel glaçon! Déshabille-toi donc plus vite...» et, se tournant vers le comte, qui lui baisait la main: «Toi aussi, tu es gelé, ma parole! Vite du rhum avec le thé!... Soniouchka, «bonjour»... et elle souligna par cette locution française la façon légèrement cavalière, quoique affectueuse, dont elle traitait Sonia d'habitude.

Natacha se taisait, non par timidité, comme le supposait peut-être Marie Dmitrievna, mais parce qu'il lui était toujours pénible qu'un tiers se mêlât de ses affaires de coeur. Son amour pour le prince André était chose si à part, si en dehors de ce monde, que personne, d'après elle, ne pouvait le comprendre. Elle l'aimait et ne connaissait que lui, lui l'aimait aussi et il allait arriver.... Que lui importaient alors les autres?

Lorsque tous les arrivants se furent débarrassés de leurs vêtements fourrés, on se réunit autour de la table à thé, et Marie Dmitrievna embrassa chacun à tour de rôle:

Le lendemain, le programme de la veille fut exécuté de point en point: on fit d'abord une visite à la Sainte-Vierge, puis une autre à Mme Aubert Chalmé, la fameuse couturière, à laquelle Marie Dmitrievna inspirait une telle terreur, que, pour s'en débarrasser plus vite, elle lui cédait à perte ses plus jolis objets; cette fois cependant une bonne partie du trousseau lui fut commandée. Quand elles furent rentrées, Marie Dmitrievna renvoya Sonia, et prit Natacha à part:

L'âge n'avait pas courbé sa taille: sa parole haute, ferme et brève, disait franchement son opinion à chacun, et toute sa personne semblait être une protestation vivante contre les faiblesses, les passions et les entraînements de l'humanité, que pour sa part elle se refusait à admettre. Levée chaque matin de bonne heure, elle passait un casaquin, et vaquait aux soins de son ménage; ensuite, quand c'était jour de fête, elle sortait en voiture, pour aller à la messe, et visiter les prisons, ce dont elle ne soufflait jamais mot. Les autres jours, après avoir achevé sa toilette, elle recevait, sans distinction de rang, tous ceux qui venaient s'adresser à sa charité. Ses audiences terminées, elle dînait. Trois ou quatre bonnes connaissances partageaient avec elle un repas copieux et bien préparé invariablement suivi d'une partie de boston. Vers la soirée, elle tricotait, pendant qu'on lui lisait les journaux ou les livres nouvellement parus. Elle n'acceptait aucune invitation, et ne faisait que fort rarement une exception à sa règle de conduite, en faveur des gros bonnets de la ville.

Elle n'était pas encore couchée, lorsque les Rostow arrivèrent en faisant crier sur ses gonds la massive porte d'entrée et remplirent le vestibule de froid et de neige. Debout, sur le seuil de la grande salle, ses lunettes abaissées sur le nez, la tête rejetée en arrière, Marie Dmitrievna examinait les voyageurs avec son air habituel de sévérité. On aurait pu la croire profondément irritée contre eux, mais les ordres qu'elle donnait successivement à ses gens, à propos des bagages et des nouveaux venus, contredisait bien vite cette supposition:

—Oui, sans doute,» répondit Natacha à contre-coeur.

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