La guerre et la paix在线阅读

La guerre et la paix

Txt下载

移动设备扫码阅读

VI

Le vieux comte retourna chez lui; Pétia et Natacha lui promirent de le suivre de près. La matinée étant encore peu avancée, on en profita pour aller plus loin. On lâcha deux chiens dans un épais taillis au fond d'un ravin, et Nicolas de sa place eut l'oeil sur tous les chasseurs.

En face de lui, son homme, enfoncé dans un fossé, se dérobait derrière un buisson de noisetiers. À peine lancés, les chiens donnèrent de la voix à intervalles rapprochés, et peu d'instants après, la trompe annonça la vue; la meute se précipita dans la direction des prairies, et Nicolas, attendant que le renard parût dans la plaine, vit les piqueurs aux bonnets rouges se lancer au galop en avant.

—Rougaï! Rougaïouchka!» ajouta-t-il en mettant dans cet appel toute la tendresse et tout l'espoir que lui inspirait son favori.

—Qu'est-ce que cela peut me faire si mon chien n'a pas de chance... je n'en suis pas moins la chasse avec intérêt. Et puis...»

—Oui, elle n'est pas mal, elle a du train.... Tu verrais bien, se dit Nicolas à part lui, tu verrais bien quelle chienne est Milka, si nous tombons sur un vieux lièvre!»... Et, se tournant vers son écuyer, il annonça qu'il donnerait un rouble de gratification à celui qui découvrirait un lièvre au gîte.

—Le prendre en travers, la belle affaire! dit l'écuyer d'Ilaguine.

—Je n'irai pas me fourrer là dedans! Vos chiens..., affaire sûre,... en avant, marche!... ont été payés un village par tête et valent des milliers de roubles!... Je regarderai, pendant que les vôtres se le disputeront.

—Est-ce un vieux? demanda Ilaguine, en sifflant à lui Erza, non sans émotion, et vous, Mikhaïl Niknorovitch? ajouta-t-il en s'adressant au «petit oncle», qui avait l'air fort maussade.

—Est-ce qu'on va les laisser chasser avec nos chiens?... et c'est encore ma chienne souris qui l'a pris!... Il n'entendait pas raison et empoignait déjà le renard... alors je les ai roulés tous deux! Voici la bête proprement ficelée!... Et de cela, en veux-tu?» ajouta-t-il d'un air farouche, en tirant son couteau; il s'imaginait sans doute avoir encore affaire à son adversaire.

—Elle s'est éreintée, elle lui a trois fois donné la chasse toute seule, criait Nicolas, sans s'adresser à personne et sans rien entendre de ce qui se disait autour de lui.

—Du moment qu'Erza l'avait forcé, tout chien, fût-ce même un chien de basse-cour, pouvait l'attraper,» ajouta à son tour Ilaguine, la figure empourprée et hors d'haleine, par suite de sa course folle.

—Celle-là? Oui, elle est bonne, elle chasse bien,» répondit Ilaguine du ton le plus indifférent.... Et cependant, pour Erza, il avait cédé à son voisin trois familles de «dvorovy«.

—C'est parfaitement juste!

—Allons-y, allons-y ensemble,» répondit Nicolas en jetant un regard de défiance sur Erza et sur Rougaï, les deux rivaux de sa Milka, qui ne s'était jamais mesurée avec eux: «Et si elle allait se couvrir de honte? pensait-il en avançant.

À peine avait-il tourné le bois, qu'il vit venir à sa rencontre un gros cavalier coiffé d'un bonnet garni de castor, monté sur un beau cheval noir et suivi de deux écuyers: c'était Ilaguine en personne.

«Rougaï, Rougaïouchka!... affaire sûre... marche!...» s'écria une troisième voix, et Rougaï, le chien bossu du «petit oncle», s'étirant et courbant son dos comme un ressort, atteignit les deux autres, les dépassa, et, faisant un effort surnaturel, tomba sur le lièvre, qu'il lança d'un coup de gueule sur la prairie, le rattrapa par un nouveau bond, le renversa et se roula avec lui sur la terre fangeuse qui s'attachait à son corps par larges plaques. Les chiens et les chasseurs formèrent cercle autour d'eux. Seul «le petit oncle», tout jubilant, descendit de cheval, s'approcha du lièvre, et secoua en l'air sa patte droite pour en faire écouler le sang; l'émotion qu'il éprouvait donnait à ses yeux, qui allaient en tous sens, une expression effarée, ses mouvements étaient saccadés, ses paroles entrecoupées et sans suite: «Affaire sûre... marche!... Voilà un chien! Il les vaut tous, et les plus chers et les moins chers aussi.... Affaire sûre... marche!» disait-il en suffoquant, et l'on aurait dit, aux regards furibonds qu'il lançait autour de lui, qu'il se croyait entouré d'ennemis, et que, offensé et malmené par tous, il venait maintenant de se réhabiliter d'une façon éclatante: «Voilà les chiens de mille roubles! Rougaï, voici pour toi, mon vieux, tu l'as mérité! ajouta-t-il en lui jetant la patte crottée qu'il venait de couper.

«Que veut dire cela? D'où est venu ce chasseur inconnu? ce n'est pas celui du petit oncle?» pensait Nicolas.

«Que s'est-il passé entre vous? demanda Nicolas.

«Où est sa tête?» lui demanda Nicolas; mais le lièvre, pressentant la gelée du lendemain, ne donna pas au chasseur le temps de répondre: il fit un bond et déboula; les chiens découplés et les lévriers descendirent en hurlant le versant de la colline, et les piqueurs à cheval partirent à fond de train, les uns pour les aider à se rabattre, les autres pour les pousser dans la direction voulue. Ilaguine, Natacha et le petit «oncle» galopaient, sans même savoir où ils allaient, tantôt à la suite des chiens, tantôt à la suite du gibier, mourant de peur de manquer la chasse. Le lièvre était vieux et agile: couchant d'abord ses oreilles pour écouter ces cris et ce piétinement de chevaux et de chiens qui l'avaient subitement entouré de partout, il fit ensuite une dizaine de sauts, laissa approcher les chiens, puis, comprenant enfin le danger, et choisissant sa voie, il dressa une oreille puis l'autre, détala à toute vitesse et se blottit dans les chaumes. À quelques pas de lui s'étendait une prairie marécageuse. Les deux chiens du chasseur qui l'avait levé avaient été les premiers à prendre sa piste, mais ils en étaient encore assez loin, lorsque Erza, la chienne rousse d'Ilaguine, les dépassa; arrivée à quelques pas du lièvre, elle sauta à son tour pour essayer de l'attraper par la queue, mais, manquant son élan, elle tomba et roula sur elle-même, pendant que le lièvre accélérait sa course, et que Milka filait sur lui comme un trait et gagnait de l'avance.

«Miloucha, ma petite Miloucha!» et la voix triomphante de Nicolas retentit dans l'air; Milka semblait être au moment de le saisir, mais sa vitesse lui fit dépasser le but, le lièvre s'étant arrêté court! Erza la belle chienne, renouvela aussitôt son attaque; elle fit un saut en avant; et l'on aurait dit que, suspendue en l'air, elle mesurait de l'oeil, avec prudence cette fois, la distance à franchir, afin de retomber juste sur le dos de sa proie:

«Mais c'est vous, comte, qui possédez une chienne superbe, celle qui a des taches noires!

«Je ne puis comprendre, reprit Ilaguine, la jalousie des chasseurs entre eux à propos de leurs meutes et du gibier? Quant à moi, je jouis de tout, de la promenade, d'une agréable société, comme aujourd'hui par exemple,—et il souleva de nouveau son bonnet à l'intention de Natacha,—mais compter avec envie les peaux ou les pièces tuées, ce n'est pas mon faible, vous l'avouerai-je, et je vous dirai même que cela me touche fort peu.

«Il me semble que vous avez là une bonne chienne?... Pleine de feu?

«Erza, ma bonne petite Erza!» s'écria Ilaguine en adressant à sa chienne une touchante invocation qu'Erza ne daigna pas écouter, car, à l'instant où elle allait happer le lièvre, il repartit de plus belle et se mit à courir sur la lisière même du champ et de la prairie. Erza et Milka, galopant de front comme deux timoniers, s'en rapprochèrent encore, mais le terrain marécageux arrêtait leur course.

«C'est un des chasseurs d'Ilaguine, qui se querelle avec notre Ivan,» dit l'écuyer de Nicolas. Ce dernier l'envoya à la recherche de sa soeur et de Pétia, et se dirigea au pas vers l'endroit où les valets de chiens réunissaient la meute; il descendit de cheval et attendit le résultat de l'altercation. Le chasseur qui avait été pris à partie par l'autre s'avança vers son jeune maître, le renard attaché à la selle de son cheval. Ôtant de loin son bonnet rouge, il essayait visiblement de rester respectueux, tout en étouffant de colère; il avait l'oeil poché, mais il semblait ne pas s'en douter.

«Ainsi donc, comte, dit-il en reprenant le premier sujet de leur conversation, chez vous aussi le rendement a été assez maigre cette année?...» Puis, croyant de son devoir de lui rendre sa politesse en examinant à son tour la meute de Rostow, il aperçut Milka:

«Ah! je crois qu'il l'a levé, dit Ilaguine avec une feinte indifférence. Eh bien, allons, donnons-lui la chasse!

Toujours extrême dans ses jugements et dans ses sentiments, Nicolas, qui ne l'avait jamais vu, mais qui tenait pour certains les actes de violence et d'arbitraire attribués à Ilaguine le détestait cordialement, le regardant comme son plus mortel ennemi, il se dirigeait vers lui, serrant avec colère son fouet dans sa main, prêt à en venir sans réflexion aux dernières extrémités.

Son écuyer venait de découpler ses chiens, lorsqu'il aperçut au même moment un renard roux, bas sur jambes, d'une physionomie particulière, qui fuyait à travers champs: la meute ne tarda pas à l'entourer. Balayant la terre de sa queue, le renard se mit à courir en décrivant des ronds qui se rétrécissaient de plus en plus, lorsqu'un chien blanc, puis un chien noir se jetèrent sur lui; tout se confondit dans la mêlée, et les têtes des chiens, tournées vers leur proie, formèrent à leur tour un cercle confus dont les ondulations étaient à peine sensibles. Deux chasseurs, l'un avec un bonnet rouge, l'autre avec un caftan vert, s'en approchèrent.

Rostow fut surtout frappé de la beauté d'une chienne de race pure, au corps allongé, aux muscles d'acier, au museau fin et pointu, aux yeux noirs à fleur de tête, tachetée de roux, et appartenant à Ilaguine. Il avait entendu vanter la vitesse des chiens de sa meute, et devinait dans cette belle petite chienne une rivale à sa Milka. Au milieu d'une conversation insignifiante sur les récoltes, il dit à Ilaguine, en se tournant vers lui:

Pour se faire pardonner l'infraction commise par son piqueur, il supplia instamment Rostow de venir lancer le lièvre chez lui, dans un endroit situé à une verste de là, qui, disait-il, fourmillait de lièvres. Nicolas y consentit volontiers, et l'équipage de chasse, ainsi augmenté de moitié, se mit en route.

Nicolas, se tournant vers Natacha et Pétia, qui venaient de le rejoindre, les pria de l'attendre pendant qu'il irait tirer l'affaire au clair.

Natacha, également excitée, poussait de son côté des cris de triomphe si aigus, et si sauvages, que peut-être ailleurs en aurait-elle eu honte, mais ils ne faisaient qu'exprimer ses impressions et celles des autres chasseurs. Le «petit oncle» lia son lièvre, le jeta adroitement sur la croupe de son cheval, et, sans se départir de son air rogue et maussade, s'éloigna sans proférer une parole. Nicolas et Ilaguine avaient été trop froissés dans leur amour-propre de chasseurs pour reprendre tout de suite leur air affecté d'indifférence, et ils suivirent longtemps des yeux Rougaï, le vieux chien bossu qui, l'échine crottée, marchait derrière le «petit oncle», avec le calme d'un triomphateur: «Vous voyez, je suis comme tout le monde, semblait-il leur dire, mais à la chasse c'est autre chose, attention!»

Natacha, fort inquiète, et daignant que cet entretien ne prit une mauvaise tournure avait suivi son frère de loin, elle se rapprocha en voyant les saints qu'on échangeait de part et d'autre, Ilaguine, se découvrant tout à fait devant elle, se récria sur sa grâce, et assura qu'elle était la vivante image de Diane, tant par son amour de la chasse, que par sa beauté.

Natacha devinait et partageait l'agitation de son frère et celle que les deux vieux s'efforçaient en vain de dissimuler.

Les chasseurs donnèrent au renard le coup de grâce, et il lui sembla de loin qu'ils restaient groupés, à deux pas de leurs chevaux, sans songer à le lier; quelques chiens s'étaient couchés pendant que les hommes gesticulaient avec chaleur, en se montrant la bête; le cor fit entendre le signal convenu pour indiquer qu'il y avait querelle.

Le cri prolongé de l'un des valets de chiens l'interrompit; debout sur une légère éminence, le fouet levé, le valet répéta son cri avec une nouvelle force: c'était le signal convenu pour dire qu'il avait devant lui le lièvre couché à quelques pas.

Le chasseur triomphant racontait à ses camarades, pleins d'une curiosité sympathique, tous les détails de son exploit.

La meute et le reste de la société avançaient sans se presser; le chasseur posté sur l'éminence n'avait pas bougé, attendant ses maîtres.

Ilaguine, qui était en froid et même en procès avec les Rostow, chassait précisément ce jour-là sur les terres réservées par un long usage à ces derniers, et, comme par un fait exprès, il s'était dirigé vers le bois du rendez-vous, en permettant même à son chasseur de suivre les voies de la bête que les Rostow avaient levée.

Il fallut couper à travers champs; les maîtres se réunirent, et chacun d'eux, étudiant à la dérobée les chiens de ses compagnons, tremblait rien qu'à l'idée d'en découvrir parmi eux de supérieurs aux siens, comme forme et comme flair.

Au lieu de l'ennemi qu'il s'attendait à affronter, Nicolas trouva un voisin fort aimable, fort bien élevé et très désireux de faire sa connaissance, soulevant à demi son bonnet, Ilaguine lui exprima tous ses regrets de la querelle survenue entre leurs hommes, lui jura que son chasseur serait sévèrement puni pour avoir chassé avec une meute qui ne lui appartenait pas, et finit par lui proposer de chasser sur ses propres terres.

Lorsque, après cet incident le «petit oncle» s'approcha de Nicolas et s'adressa à lui, Nicolas se sentit honoré de cette marque de condescendance, malgré tout ce qui venait de se passer.

0.49%
VI