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La guerre et la paix

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II

À la suite de cette conversation, Nicolas resta triste et préoccupé pendant quelques jours. L'inévitable nécessité qui s'imposait à lui, pour complaire à sa mère, d'entrer dans les ennuyeux détails de l'administration des biens, le tourmentait au delà de toute expression; aussi résolut-il, le surlendemain de son arrivée, d'en finir sans plus tarder et d'avaler au plus tôt cette amère pilule. Les sourcils froncés et la mine renfrognée, il se dirigea, sans répondre aux questions qu'on lui adressait, vers l'aile du château habitée par Mitenka et lui demanda à voir les «comptes de toute la fortune». Ce qu'étaient ces «comptes de toute la fortune», Nicolas lui-même l'ignorait, et Mitenka, terrifié et stupéfait, ne le savait pas davantage; aussi ses explications furent-elles des plus embrouillées. Le starosta, l'adjoint du maire du village et le starosta provincial, qui attendaient dans l'antichambre, entendirent tout à coup, avec effroi, mais non sans une certaine satisfaction, les éclats de voix du jeune comte, qui devenaient de plus en plus violents et qui étaient accompagnés d'une volée d'injures tombant dru comme grêle:

«Brigand, créature ingrate, chien que tu es, je t'assommerai!» etc.

—Écoutez, mon père, c'est un voleur, un misérable, je le sais, et ce que j'ai fait est bien fait... mais, si vous le désirez, je ne lui en reparlerai plus.

—Tu lui en as voulu de ne pas avoir inscrit les sept cents roubles, mais ils le sont dans le total... tu n'as pas regardé la page suivante.

—Non, mon âme, non, je t'en supplie, occupe-toi des affaires, je suis vieux, et...» Le comte s'arrêta embarrassé; il savait mieux que personne qu'il était un mauvais administrateur, et responsable par conséquent, devant ses enfants, des fautes qu'il commettait, mais incapable de les réparer.

—Je savais bien, pensa Nicolas, que je ne tirerais rien au clair, dans ce monde de fous.

«Va-t'en, misérable, va-t'en, débarrasse-moi de ta présence!

«Sais-tu, mon ami, dit en souriant le lendemain matin le vieux comte à son fils; tu t'es emporté à tort, Mitenka m'a tout conté.

«Je suis plus ignorant que vous dans tout cela; ainsi donc, mon père, pardonnez-moi si ma conduite vous a fâché.... Que le diable emporte tous les paysans et l'argent et les totaux inscrits sur «les pages suivantes»! Je savais bien ce qu'autrefois signifiait «paroli à six levées»; mais, quant aux reports d'une page à une autre, je n'y comprends goutte!» Et il se jura à lui-même de ne plus se mêler de rien. Un jour cependant, sa mère lui demanda conseil; elle avait une lettre de change de deux mille roubles qu'elle avait prêtés dans le temps à Anna Mikhaïlovna. Comment agirait-il en cette circonstance?

Puis, à la satisfaction et à l'effroi toujours croissants des auditeurs, ils virent Nicolas, la figure rouge de colère, les yeux injectés de sang, traîner Mitenka par le collet et le pousser au dehors à grands coups de pied et de genou, tout en lui criant à tue-tête:

Mitenka, lancé en avant, dégringola les six marches du perron pour aller tomber dans un massif (ce massif était le refuge habituel et inviolable des gens d'Otradnoë, quand ils se trouvaient en faute; le régisseur lui-même, quand il revenait gris de la ville, profitait parfois de cet asile protecteur, et bien d'autres comme lui en avaient éprouvé la vertu).

La femme et la belle-soeur de Mitenka, avec des figures bouleversées, entr'ouvrirent la porte de leur chambre, d'où s'échappait la vapeur d'un samovar et où se dressait un grand lit, sur lequel s'étalait une couverture piquée composée de chiffons d'étoffes de toutes couleurs. Rostow passa, haletant, devant elles, et s'achemina résolument vers la maison.

La comtesse ne tarda pas à apprendre, par les femmes de chambre, ce qui venait de se passer, et en tira la conclusion rassurante que leurs affaires s'arrangeraient sans peine; mais, s'inquiétant de l'impression que cette scène avait pu produire sur son fils, elle alla à plusieurs reprises coller l'oreille à porte de sa chambre, où elle l'entrevit fumant silencieusement une pipe.

«C'est tout simple, lui dit Nicolas, puisque vous me permettez de vous donner mon avis. Je n'aime ni Anna Mikhaïlovna, ni Boris, mais ils ont été traités par nous en amis, et ils sont pauvres. Voilà donc ce qu'il nous reste à faire!» Et il déchira la lettre de change devant sa vieille mère, qui en sanglota de joie. À dater de ce jour, Nicolas, pour occuper ses loisirs, se passionna pour la chasse à courre, établie chez eux sur un très grand pied.

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