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La guerre et la paix

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XI

La fortune des Rostow n'était pas en équilibre, malgré les deux années passées à la campagne.

Nicolas, fidèle à sa promesse, continuait à servir sans bruit dans le même régiment, ce qui n'était pas de nature à lui ouvrir une brillante carrière. Il dépensait peu, mais le genre de vie qu'on menait à Otradnoë, et surtout la façon dont Mitenka régissait la fortune de la famille, faisaient faire la boule de neige aux dettes. Le vieux comte ne voyait qu'une issue à cette triste situation: obtenir pour lui un emploi du gouvernement; et il se rendit à Pétersbourg avec tous les siens, pour quêter une place, et, comme il disait, pour amuser une dernière fois les jeunes filles.

À Moscou, la famille Rostow faisait tout naturellement partie de la plus haute société, mais ici leur cercle fut assez mêlé, et ils furent reçus en provinciaux par ceux-là mêmes qui, après avoir ouvertement profité à Moscou de leur hospitalité, daignaient à peine les reconnaître à Pétersbourg.

«Voyez-vous, disait Berg à son camarade, qu'il appelait son ami, parce qu'il était de bon ton d'avoir un ami, j'ai tout disposé, tout arrangé, et je ne me marierais pas si la moindre chose clochait dans mes plans. Mon papa et ma maman sont à l'abri du besoin, depuis que je leur ai fait obtenir une pension, et moi, je pourrai fort bien vivre à Pétersbourg, grâce aux revenus de ma place, à mon savoir-faire et à la dot de ma fiancée. Je ne l'épouse pas pour son argent... non, ce serait malhonnête, mais il faut que chacun, la femme comme le mari, apporte son contingent dans le ménage. À mon avoir j'inscris mon service, ce qui vaut bien sans doute quelque chose; au sien, ses relations, sa petite fortune, toute médiocre qu'elle peut être, et avec le tout je pourrai parfaitement marcher. Et puis, elle est belle, d'un caractère solide, elle m'aime, ajouta-t-il en rougissant, je l'aime aussi, car elle a beaucoup de bon sens... c'est tout l'opposé de sa soeur, dont le caractère est désagréable et l'esprit insignifiant..., on dirait qu'elle n'est pas de la famille..., c'est une perle que ma fiancée..., vous la verrez, et j'espère que vous viendrez souvent..., il allait dire: «dîner,» mais après réflexion il se reprit et dit: «... prendre le thé,» et d'un coup de langue il lança vivement un petit anneau de fumée bien réussi, emblème parfait du bonheur qu'il rêvait.

«Vous serez de mon avis, comte; ce serait une vilaine action de me marier sans connaître les ressources dont je disposerai pour pourvoir à l'entretien de ma femme.»

«Tu seras content de moi, mon cher... mais j'aime à voir que tu t'occupes de tes intérêts, c'est bien, très bien!...» Et, frappant sur l'épaule de son futur gendre, il se leva pour rompre ce pénible entretien; mais ce dernier, sans cesser de sourire, lui dit, avec le plus grand calme, que s'il ne savait au juste à quoi s'en tenir sur la fortune de sa fiancée, et que s'il n'en touchait pas une partie au moment même du mariage, il se verrait contraint de se retirer:

Sa proposition fut accueillie tout d'abord avec un sentiment de surprise peu flatteur pour lui: «Comment le fils d'un obscur gentillâtre de Livonie osait-il aspirer à la main d'une comtesse Rostow?» Mais le trait distinctif de son caractère, son naïf égoïsme, lui aplanit encore une fois toutes les difficultés; il était si convaincu de bien faire, que cette conviction se communiqua peu à peu à toute la famille, et l'on finit par trouver la combinaison parfaite. La fortune des Rostow était très dérangée, le futur ne l'ignorait certes point. Véra comptait vingt-quatre printemps, et, malgré sa beauté et sa sagesse, personne ne s'était encore présenté!... Le consentement fut donc accordé.

Quelques jaloux, il est vrai, dénigraient bien un peu ses mérites, mais on était forcé de convenir que c'était un brave militaire, exact au service, très bien noté par ses chefs, d'une moralité irréprochable, en train de parcourir une carrière brillante, et jouissant d'une position assurée dans le monde.

Quatre ans auparavant, un soir qu'il était au théâtre à Moscou, Berg y aperçut Véra Rostow, et, la désignant à un de ses camarades, Allemand comme lui, il lui dit: «Voilà celle qui sera ma femme.» Après avoir mûrement pesé toutes ses chances, et comparé sa position à celle des Rostow, il se décida à faire le pas décisif.

Quand vint la guerre de Finlande, il s'y distingua également: ramassant un éclat de grenade, qui venait de tuer un aide de camp aux côtés du commandant des troupes, il le remit à son chef. Ce fait, raconté par lui à satiété, fut accepté avec la même facilité que son premier exploit, et Berg fut de nouveau récompensé. En 1809, il était donc capitaine dans la garde, décoré, et il occupait à Pétersbourg une place très avantageuse, pécuniairement parlant.

Peu après leur arrivée, Berg fit sa déclaration à Véra et fut accepté.

Le premier moment d'indécision une fois passé, la famille prit l'air de fête qui est de règle en pareille circonstance, mais on y sentait une affectation, mélangée d'un certain embarras, qui provenait de la joie que l'on éprouvait de se débarrasser de Véra, et que l'on craignait de ne pas suffisamment déguiser. Le vieux comte, fort gêné par-dessus le marché, ne pouvait parvenir, par suite de ses nombreuses dettes, à fixer le chiffre de là dot; huit jours seulement le séparaient de la noce, et il n'en avait rien dit à Berg, fiancé depuis un mois. 300 âmes représentaient la fortune de chacune de ses filles à leur naissance, mais depuis lors elles avaient été engagées et vendues; de capital, il n'y en avait point, et il ne savait comment résoudre la difficulté. Donnerait-il à sa fille la propriété de Riazan? Vendrait-il une forêt, où emprunterait-il de l'argent contre une lettre de change? Il y songeait encore, lorsque Berg, entrant chez lui un matin, lui demanda carrément, un aimable sourire sur les lèvres, de vouloir bien lui déclarer quelle serait la dot de la comtesse Véra. Le comte, troublé par cette question, qu'il ne pressentait et ne redoutait que trop, lui répondit par des lieux communs:

Le comte, emporté par un mouvement généreux, et désireux d'éviter de nouvelles demandes, mit fin à la conversation en lui promettant formellement de lui signer une lettre de change de 80 000 roubles. Berg baisa son futur beau-père à l'épaule pour lui exprimer sa reconnaissance, en ajoutant qu'il lui en faudrait présentement 30 000 pour monter son ménage, ou tout au moins 20 000, et que, dans ce cas, la lettre de change ne serait que de 60 000.

Ils tenaient table ouverte, et leurs soupers réunissaient les personnages les plus divers et les plus étranges: quelques pauvres vieux voisins de campagne, leurs filles avec la demoiselle d'honneur Péronnsky à leur côté, Pierre Besoukhow et le fils d'un maître de poste du district, employé à Pétersbourg. Les intimes de la maison étaient Droubetzkoï, Pierre Besoukhow, que le vieux comte avait rencontré dans la rue et qu'il avait amené chez lui, et Berg, qui y passait des journées entières à témoigner à la comtesse Véra les attentions exigées de la part d'un jeune homme à la veille de faire sa proposition.

Il montrait avec orgueil sa main droite blessée à Austerlitz, et tenait sans nécessité aucune son sabre de la main gauche. Sa persévérance à raconter cet incident, et l'importance qu'il y donnait, avaient fini par faire croire à son authenticité, et il avait obtenu deux récompenses.

«Oui, oui, c'est bien, dit le vieux vivement.... Seulement, excuse-moi, mon cher, si je te donne les 20 000 en plus des 80.... Tu peux y compter, mon cher, ce sera ainsi, n'en parlons plus!»

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