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La guerre et la paix

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XX

Le jour était mal choisi pour faire des démarches de ce genre. Il était impossible de se présenter chez le général de service, en frac et sans congé, et quand même Boris l'aurait voulu, celui-ci n'aurait pu rien faire le lendemain 27 juin (9 juillet), jour où furent signés les préliminaires de la paix. Les Empereurs échangèrent les grands-cordons de leurs ordres: Alexandre reçut la Légion d'honneur, et Napoléon, le Saint-André. Un grand banquet, auquel les Empereurs devaient assister, fut offert par le bataillon de la garde française au bataillon de Préobrajensky.

Plus Rostow pensait à la façon d'agir de Boris, plus il en était affecté. Il feignit de dormir quand Boris rentra, et le lendemain matin il s'éclipsa de bonne heure, pour aller courir les rues en habit civil et en chapeau rond, et examiner les Français, leurs uniformes et les maisons occupées par les deux souverains. Sur la place, on commençait à disposer les tables destinées au repas, et à pavoiser les façades des maisons de drapeaux russes et français, ornés des chiffres A et N.

—Veuillez alors passer de son côté.»

—Quelle hardiesse! La supplique aurait dû être remise par votre chef. Partez vite, partez vite!...»

—Qu'est-ce que c'est? demanda une voix dans l'autre chambre.

—Mais vous, qui êtes-vous? un officier?

—Le comte Rostow, lieutenant.

—Encore un pétitionnaire! répondit celui qui s'habillait.

—Du major Denissow.

—Dites-lui d'attendre, remettez-le à plus tard. Il va sortir, il faut l'accompagner.

—Demain, demain, il est trop tard à présent...»

—C'est une supplique à remettre à Sa Majesté, répondit Nicolas d'une voix tremblante.

À peine la lui avait-il remise, qu'un bruit d'éperons résonna sur l'escalier, et le général se rapprocha des autres. C'était la suite qui descendait et qui se mit immédiatement en selle. L'écuyer Heine, le même qui était à Austerlitz, amena le cheval de l'Empereur; un léger craquement de bottes se fit entendre, et Rostow devina aussitôt quel était celui qui descendait les degrés. Oubliant sa crainte d'être reconnu, il s'avança au milieu de quelques autres curieux, et revit, après un intervalle de deux ans, ces traits, ce regard, cette démarche, cet ensemble séduisant de douceur et de majesté qui lui étaient si chers.... Son enthousiasme et son amour se réveillèrent avec une nouvelle force. L'Empereur portait l'uniforme du régiment de Préobrajensky, le pantalon de peau collant, les bottes fortes, et sur la poitrine la plaque d'un ordre étranger (la Légion d'honneur) que Nicolas ne connaissait pas. Tenant son chapeau sous son bras, et mettant ses gants, il s'arrêta au haut des marches du perron, et éclaira tout ce qui l'entourait de son lumineux regard. Il jeta quelques mots en passant à certains privilégiés, et, reconnaissant le général de cavalerie, il lui sourit et l'appela à lui d'un signe de la main.

À cette invitation faite avec indifférence, Rostow s'effraya de son entreprise; la pensée de se trouver inopinément face à face avec l'Empereur était si séduisante et si terrible à la fois, qu'il était presque sur le point de s'enfuir, mais le fourrier de la chambre lui ouvrit la porte et le fit entrer chez l'officier de service.

«Qui demandez-vous? lui dit-on.

«Que faites-vous donc là, mon cher, et en habit civil encore?»

«Que désirez-vous? Une supplique?...

«Je le verrai, mais comment lui remettrai-je moi-même la supplique? Comment lui dirai-je tout?... M'arrêterait-on par hasard à cause de mon habit civil?... Non! non! Il comprendra que c'est une injustice, car il comprend tout, lui.... Et si l'on m'arrête?... Après tout, le grand mal.... Ah! on se rassemble.... Eh bien, j'irai et je la remettrai: tant pis pour Droubetzkoï, qui m'y oblige!...»

«Il est évident que Boris ne veut rien faire, se disait Nicolas, et tout est fini entre nous!... mais je ne m'en irai pas sans avoir tenté l'impossible pour Denissow. Il faut que sa lettre parvienne à l'Empereur... et l'Empereur est là!» ajoutait-il mentalement en se rapprochant sans le vouloir de la demeure impériale.

«De qui est la supplique, et qui êtes-vous?

«Cette fois-ci, je ne laisserai pas échapper l'occasion comme à Austerlitz. Je tomberai à ses pieds, je le prierai, je le supplierai!» Son cœur battait avec violence à la pensée de le revoir: «Il m'écoutera, me relèvera, me remerciera! Il me dira: «Je suis heureux de pouvoir faire le bien et réparer les injustices!»...

«C'est triste pour ce brave, dit-il, donne-moi la supplique.»

«Bien faite et la beauté du diable!» disait-il à quelqu'un dans la pièce voisine. À la vue du jeune homme, il fronça le sourcil et se tut.

Un large escalier montait du perron au premier étage; à droite était une porte fermée, et sous la voûte de l'escalier une autre porte, qui conduisait au rez-de-chaussée.

Un homme de taille moyenne, de trente ans environ, en pantalon blanc, en bottes fortes, qui venait de passer une fine chemise de batiste, se faisait boutonner ses bretelles par son valet de chambre.

Toute la suite recula, et Rostow put s'apercevoir qu'une assez longue conversation s'engageait entre eux deux.

Rostow sortit; le perron était envahi par une foule de généraux en grande tenue, devant lesquels il se trouvait forcé de passer.

Rostow fit quelques pas vers la porte:

Le jeune homme, effrayé, s'empressa de se justifier, mais, la bonhomie railleuse de son chef l'ayant rassuré, il le prit à part, lui exposa l'affaire d'une voix émue et implora son appui. Le général branla la tête d'un air soucieux:

L'Empereur fit un pas vers son cheval, la suite et la foule de la rue s'élancèrent en avant, et Alexandre, saisissant le pommeau de la selle, se retourna encore une fois vers le général, et lui dit d'une voix accentuée, comme s'il tenait à être entendu de tous:

Et, mourant de peur, rien qu'en songeant qu'il pouvait rencontrer l'Empereur, il craignait de se couvrir de honte, d'être mis aux arrêts devant lui, il comprenait et regrettait toute l'inconvenance de sa conduite, et se glissait les yeux baissés hors de cette brillante réunion, lorsqu'une voix de basse bien connue l'appela par son nom, et une main se posa sur son épaule:

Et il reprit sa toilette interrompue.

Et il passa, sans faire la moindre attention aux regards curieusement dirigés sur lui.

Et avec une décision dont il ne se serait pas cru capable, il se dirigea vers l'entrée.

Deux chevaux tout sellés attendaient devant la porte: la suite se rassemblait pour escorter Alexandre.

C'était un général de cavalerie, ancien divisionnaire de Rostow, qui avait su pendant cette campagne conquérir les bonnes grâces de l'Empereur.

«Impossible, général, et c'est impossible parce que la loi est au-dessus de moi!» Il posa le pied dans l'étrier, le général s'inclina respectueusement. Pendant que l'Empereur s'éloignait au galop, Nicolas, oubliant tout dans son exaltation, courut à sa suite avec la foule.

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