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La guerre et la paix

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XIII

Il faisait déjà sombre lorsqu'ils arrivèrent à l'entrée principale de la maison de Lissy-Gory, et le prince André attira en souriant l'attention de Pierre sur l'agitation qui se manifesta, à leur vue, du côté d'une petite entrée latérale. Une petite vieille courbée sous le poids d'un sac, et un homme de petite taille, à longs cheveux, et habillé de noir, s'enfuirent aussitôt; deux femmes coururent les rejoindre, et tous les quatre, se retournant effrayés pour examiner la voiture, disparurent par un escalier de service.

«Ce sont les hommes de Dieu, que Marie recueille, dit le prince André, ils m'ont pris pour mon père, car il les fait chasser, tandis qu'elle les reçoit. En cela seul elle ose lui désobéir.

—Vraiment!» dit Pierre avec curiosité, mais cependant d'un ton grave, qui acheva de lui gagner le cœur de la princesse Marie.

—Voyons, André!... Ne lui raconte rien, Pélaguéïouchka.

—Seigneur Jésus! s'écria la pèlerine en se signant. Oh! ne répète pas cela, mon père. Je connais un «Général» qui ne croyait pas, et qui disait: «Ce sont les moines qui trompent!» Oui, il l'a dit, et il est devenu aveugle!... Et alors il a rêvé, et il a vu notre sainte Vierge de Petchersk, qui lui a dit: «Crois en moi et je te guérirai!».... Et alors il a prié, supplié: «Menez-moi, menez-moi à elle!».... Je te raconte la sainte vérité, car je l'ai vu, lorsqu'on l'a amené aveugle et lorsqu'il s'est jeté devant elle en lui disant: «Guéris-moi et je te donnerai ce que j'ai reçu en cadeau du Tsar.» Je l'ai vu, et j'ai vu l'étoile qui y est incrustée, car elle lui a rendu la vue!... C'est péché de parler ainsi, et Dieu te punira.

—Quoi, quelle étoile? demanda Pierre.

—Quoi donc? de nouvelles reliques? demanda le prince André.

—Qu'est-ce donc? demanda Pierre.

—Permettez-moi, dit Pierre, de lui adresser une question. Tu l'as vu de tes propres yeux?

—Non, je suis seule, répondit Ivanouchka, en s'efforçant de prendre une voix de basse. Nous ne nous sommes rencontrées qu'à Youknow avec Pélaguéïouchka...»

—Mais, princesse, c'est une plaisanterie que j'ai faite à Pélaguéïouchka! Princesse, ma parole, je n'ai pas voulu l'offenser. Ce n'est pas sérieux, je t'assure!»

—Mais qu'est-ce que «les hommes de Dieu»? demanda Pierre.

—Mais pourquoi donc, ma bonne mère, ne pas le lui raconter? Je l'aime, il est bon, c'est un élu de Dieu, c'est mon bienfaiteur.... Je n'ai pas oublié, vois-tu, qu'il m'a donné dix roubles. Comme j'étais à Kiew, Kirioucha me dit, Kirioucha, vous savez bien, l'innocent, un véritable homme de Dieu, qui marche nu-pieds été et hiver, Kirioucha me dit: «Pourquoi erres-tu en pays étranger? Va à Koliasine, une image miraculeuse de notre sainte mère la Vierge s'y est montrée.» Alors j'ai dit adieu aux saints, et j'y suis allée!... Et arrivée là, poursuivit la vieille d'un ton monotone, ceux que je rencontrais me disaient: «Nous possédons une grande grâce: l'huile sainte découle de la joue de notre sainte mère la Vierge....

—Mais c'est une supercherie! objecta Pierre, qui l'avait écoutée avec attention.

—Je suis charmée de vous voir,» ajouta-t-elle en se tournant vers Pierre, qui lui baisait la main. Elle l'avait connu enfant; son affection pour André, ses malheurs et surtout sa bonne et honnête figure la disposaient en sa faveur. Elle le regardait de ses yeux profonds et doux, et semblait lui dire: «Je vous aime bien et, je vous en supplie, ne vous moquez pas des «miens». Une fois les premiers compliments échangés, elle les engagea à s'asseoir.

—J'y ai été, mon père, répondit la petite vieille. C'est à Noël que je me suis rendue digne de recevoir, chez les saints, la sainte et céleste communion; maintenant je viens de Koliasine. Une grande grâce s'y est révélée!

—Il faut que vous sachiez que c'est une femme, dit le prince André.

—Et Ivanouchka est avec toi?

—Certainement, mon père, certainement, j'ai été trouvée digne de cette grâce: le visage était tout resplendissant d'une lumière céleste, et l'huile dégouttait, dégouttait, de la joue.

—C'est sans doute qu'on a promu au grade de général notre sainte mère la Vierge,» dit le prince André en souriant.

—C'est bon, c'est bon, dit la princesse Marie en rougissant, tu raconteras cela une autre fois.

—C'est ainsi qu'on trompe le peuple, poursuivit-il.

—Attends, tu vas les voir.»

—André, au nom du ciel!» reprit sa sœur.

—André! murmura la princesse d'un ton suppliant.

—Ah, notre père, que dis-tu là? s'écria avec terreur Pélaguéïouchka, en se tournant vers la princesse Marie, comme pour l'appeler à son secours.

«Quel plaisir avez-vous à les troubler dans leur foi? dit la princesse Marie. Pourquoi êtes-vous venus?

«Où as-tu été? à Kiew? demanda le prince André.

«Oui, mon père, une grande grâce s'est révélée à Koliasine!

«Mais, ma bonne amie, vous devriez au contraire m'être reconnaissante d'expliquer à Pierre votre intimité avec ce jeune homme.

«Je ne l'ai pas encore vue, elle se cache avec ses «hommes de Dieu», nous allons les surprendre, elle sera sans doute très confuse, mais tu les verras. C'est curieux, ma parole!

«Dieu, Dieu, quel péché, et tu as un fils! dit-elle en devenant toute rouge, de pâle qu'elle était.... Qu'as-tu dit? Que Dieu te pardonne!» et elle se signa. «Ah! que Dieu lui pardonne,» ajouta-t-elle en s'adressant à la princesse Marie, et en rassemblant ses hardes pour s'en aller.

«André, pourquoi ne pas m'avoir prévenue? dit la princesse Marie d'un ton de reproche, en se mettant devant ses pèlerins, comme une poule qui cache ses poussins.

«Ah! voilà Ivanouchka, dit le prince André, en indiquant d'un sourire le jeune néophyte.

Pélaguéïouchka pâlit, en joignant les mains avec désespoir.

On voyait que les vaines supplications de la princesse Marie et les plaisanteries du prince André au sujet des pèlerins étaient chose habituelle entre eux.

Leur bienfaitrice se préoccupait bien à tort pour «les siens», car ceux-ci n'éprouvaient aucune gêne. La petite vieille, après avoir renversé sa tasse sur sa soucoupe à côté du morceau de sucre tout grignoté, se tenait immobile et les yeux baissés sur son fauteuil, en jetant à droite et à gauche des regards sournois, et en attendant l'offre d'une nouvelle tasse. Ivanouchka buvait à petites gorgées le thé qui remplissait sa soucoupe, et regardait en dessous les deux jeunes gens, de ses yeux qui exprimaient la ruse féminine.

Le prince André n'eut pas le temps de lui répondre. Les domestiques étant sortis à leur rencontre, il les questionna sur l'arrivée probable de son père, qu'on attendait de la ville voisine à tout instant.

Laissant Pierre dans son appartement, qui était toujours préparé pour le recevoir, le prince André passa dans la chambre de l'enfant et revint ensuite pour mener Pierre chez sa sœur:

La princesse Marie se troubla et rougit jusqu'au blanc des yeux, quand elle les vit entrer dans sa petite chambre, où brillaient les images dorées éclairées par les lampes. Il y avait, à côté d'elle, sur le canapé, un jeune garçon en habit de frère convers, avec un nez aussi long que les cheveux, et près d'elle également, dans un fauteuil, une petite vieille toute ratatinée, toute ridée, dont la figure avait une expression d'extrême douceur et d'humilité.

Elle était prête à pleurer, elle avait peur, elle avait honte de profiter des bienfaits d'une maison où on parlait ainsi, et peut-être en même temps regrettait-elle d'être obligée d'y renoncer.

Celle-ci, ne se possédant pas du désir de raconter ce qu'elle avait vu, l'interrompit:

Pélaguéïouchka s'arrêta d'un air incrédule, mais la sincérité du repentir qui se lisait sur les traits de Pierre et le regard affectueux du prince André l'apaisèrent peu à peu.

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