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La guerre et la paix

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XIII

Deux jours après, Rostow, qui n'avait plus revu Dologhow, ni chez ses parents, ni chez lui, reçut de lui ces quelques mots:

«N'ayant plus l'intention de me présenter chez vous, par des motifs qui te sont sans doute connus, et partant bientôt pour l'armée, je réunis ce soir mes amis pour leur dire adieu. Tu nous trouveras à l'hôtel d'Angleterre.»

—Voyons, taille donc! lui dit Rostow.

—Sur parole!» lui répondit Dologhow.

—Oui, Messieurs, on m'a assuré qu'on avait fait courir à Moscou le bruit que je trichais au jeu.... S'il en est ainsi, je vous conseille d'être sur vos gardes!

—Oh! ces vieilles commères de Moscou!» ajouta-t-il, en reprenant le talon.

—Je suis pourtant allé chez toi, lui dit Rostow, en rougissant légèrement.

—Je n'ai pas d'argent, dit-il.

—Choisis une carte si tu veux,» ajouta Dologhow sans lui répondre.

Écartant l'argent qu'il avait devant lui, il se prépara à tailler. Rostow s'assit à ses côtés sans jouer.

À ce moment Rostow, réprimant avec peine une exclamation, se prit la tête à deux mains. Le sept de cœur, qui lui était si nécessaire, était la première carte de la taille, et il avait perdu plus qu'il ne pouvait payer!

«Tu n'as donc pas peur de jouer avec moi? lui dit Dologhow en se renversant sur le dossier de sa chaise, comme pour raconter à ses amis quelque chose de gai:

«Te rappelles-tu ce que nous disions un jour à propos du jeu: «Il n'y a qu'un imbécile pour se confier à la chance; il faut jouer à coup sûr...» et pourtant je veux l'essayer!... Et faisant craquer son jeu de cartes, il dit au même moment: «La banque, Messieurs!»

«Sans doute, mais j'ai peur de m'embrouiller... de grâce, mettez votre argent sur les cartes.... Quant à toi, ne te gêne pas, ajouta-t-il en s'adressant à Rostow, nous ferons nos comptes plus tard.»

«Ne joue pas, cela vaut mieux, lui dit Dologhow.... Et Nicolas, chose étrange, sentit la nécessité de prendre une carte, en plaçant dessus une somme insignifiante.

«Messieurs, dit-il, veuillez placer l'argent sur les cartes; sans cela, je ne me reconnaîtrai plus dans les comptes.»

«Mais laisse donc, lui dit Dologhow, qui cependant n'avait pas l'air de l'observer, tu te referas plus vite!... C'est étrange, je fais gagner les autres, et toi, je te fais toujours perdre... c'est peut-être parce que tu me crains?»

«Il y a longtemps que je ne t'ai vu, merci d'être venu! Laissez-moi finir de tailler ma banque, nous allons avoir Illiouchka avec son chœur.

«Aurais-tu par hasard peur de jouer avec moi?» lui demanda en souriant Dologhow, qui avait deviné sa pensée.

Une vingtaine de personnes entouraient une table, à laquelle il était assis et qui était éclairée par deux bougies. Une pile d'or et d'assignats s'étalait devant lui: il taillait une banque. Nicolas ne l'avait pas rencontré depuis le refus de Sonia, et éprouvait un certain embarras à le revoir.

Une singulière conversation, qu'ils avaient eue un certain jour ensemble, revint dans ce moment à la mémoire de Nicolas: «Il n'y a qu'un imbécile pour se confier à la chance,» lui avait dit son ami.

Un des joueurs émit l'opinion qu'on pouvait avoir confiance en lui.

Rostow perdit les cinq roubles qu'il venait de mettre; il remit encore et perdit de nouveau. Dologhow passa dix fois.

Rostow obéit. Ramassant par terre un sept de cœur dont le coin était écorné, et dont plus tard il ne se souvint que trop, il écrivit bien lisiblement dessus le chiffre 800, avala son verre de champagne, et tout en souriant à Dologhow et en suivant avec anxiété le mouvement de ses doigts, il attendit l'apparition d'un sept! La perte ou le gain, que pouvait lui amener cette carte, avait pour lui une grande importance, car, le dimanche précédent, son père, en lui remettant 2 000 roubles, lui avait confié qu'il se trouvait dans des embarras d'argent, et l'avait prié de bien économiser cette somme jusqu'au mois de mai. Nicolas lui avait assuré qu'elle lui suffirait et au delà, et il ne lui restait plus déjà que 1 200 roubles. Aussi, s'il venait à perdre sur ce sept de cœur, non seulement il aurait 1 600 roubles à payer, mais il se verrait obligé de manquer à sa parole! «Qu'il me donne au plus vite cette carte, se disait-il, et je prends ma casquette, et je file à la maison souper avec Denissow, Natacha et Sonia, et je jure de ne plus toucher une carte de ma vie!» Tous les détails de sa vie de famille, ses plaisanteries avec Pétia, ses conversations avec Sonia, ses duos avec Natacha, la partie de piquet avec son père ou sa mère, tous ces plaisirs intimes se représentèrent à lui avec la netteté et le charme d'un bonheur perdu et inappréciable. Il ne pouvait admettre qu'un hasard aveugle, en faisant tomber à droite ou à gauche ce sept de cœur, pût le priver de ces joies reconquises, et le précipiter dans un abîme de malheur indéfini et inconnu. Cela ne pouvait être, et il suivait, avec une anxiété fiévreuse, le mouvement des mains rouges, velues, à larges articulations, de Dologhow, qui s'arrêtèrent, et déposèrent le paquet de cartes, pour prendre un verre et une pipe.

Rostow comprit, à ce sourire, que Dologhow se trouvait, comme au dîner du club, dans une de ces dispositions d'esprit où, éprouvant le besoin de sortir du train-train monotone de la vie, il se laissait volontiers entraîner à commettre une méchante action.

Rostow avait déjà perdu 800 roubles. Il allait faire son reste sur une carte, lorsque le verre de champagne qu'on lui offrait arrêta son mouvement, et il ne fit que sa mise habituelle de vingt roubles:

Nicolas balbutia quelques mots et cherchait, sans y parvenir, une plaisanterie à lui répondre, lorsque l'autre, le regardant en face, articula lentement, nettement, et de façon à être entendu de tous:

Le jeu continua, et le domestique ne cessait de verser du champagne à flots.

En quittant le théâtre, où il était allé avec Denissow et les siens, Rostow s'y rendit vers dix heures et on l'introduisit aussitôt dans le plus bel appartement, que Dologhow avait loué pour cette circonstance.

Dès que Rostow entra, Dologhow lui jeta un regard froid et tranchant, comme s'il eût été sûr d'avance qu'il allait venir:

«Écoute, lui dit Dologhow, ne va pas t'enfoncer!...» et il continua à tailler.

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