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La guerre et la paix

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VIII

«Ma bonne amie, lui dit un matin la petite princesse...,» et sa petite lèvre se retroussa comme d'habitude, mais cette fois avec une tristesse marquée, car depuis le jour où la terrible nouvelle avait été reçue, les sourires, les voix, la démarche même de chacun, tout portait dans la maison l'empreinte de la douleur, et la petite princesse, sans s'en rendre compte, en subissait involontairement l'influence.

«Ma bonne amie, je crains que le «fruschtique«de ce matin, comme dit Phoca le cuisinier, ne m'ait fait du mal?

—Tu as raison, c'est vrai, c'est peut-être ça.... Je vais y aller.... Courage, mon ange!..., et embrassant sa belle-sœur, elle s'apprêta à sortir de la chambre.

—Qu'as-tu, ma petite âme? Tu es pâle, tu es très pâle, s'écria la princesse Marie, en accourant tout effrayée auprès d'elle.

—Non, non! s'écria la petite princesse, dont la pâle figure exprima non seulement une souffrance physique, mais encore une terreur d'enfant, à l'idée des douleurs inévitables dont elle avait le pressentiment.

—Non, c'est l'estomac... dites que c'est l'estomac, Marie, dites, dites...» Et elle pleurait comme pleurent les enfants capricieux et malades en se tordant les mains avec désespoir et en s'écriant: «Mon Dieu, mon Dieu!»

—Ne faudrait-il pas envoyer chercher Marie Bogdanovna, Votre Excellence? dit une des filles de chambre qui se trouvait là. Marie Bogdanovna était la sage-femme du chef-lieu de district, et depuis quinze jours on l'avait fait venir à Lissy-Gory.

—Le prince est couché, répondit le maître d'hôtel, Demiane.

—Le Seigneur est miséricordieux, ma petite colombe!...» Et la vieille bonne alluma les bougies à la lampe des images, et s'assit à la porte, en tirant de sa poche un bas, qu'elle se mit à tricoter. La princesse Marie prit un livre et feignit de lire, mais à chaque pas, à chaque bruit, elle tournait ses yeux effrayés et interrogateurs sur sa bonne, qui la calmait aussitôt du regard. Ce sentiment qu'éprouvait la princesse Marie était d'ailleurs partagé par tous les habitants de cette vaste maison. D'après une ancienne superstition, plus les douleurs de l'accouchement sont ignorées, moins l'accouchée est censée souffrir: aussi tous feignaient-ils de n'en rien savoir; personne n'en soufflait mot, mais en dehors de la tenue grave et respectueuse, habituelle aux gens du vieux prince, il se trahissait chez eux une inquiétude attendrie et l'intuition de ce qui allait se passer, dans ce moment, de grand et d'incompréhensible.

—Et le docteur qui n'est pas encore arrivé de Moscou! dit la princesse, car, selon le désir du prince André et de sa femme, on y avait envoyé chercher un accoucheur.

—Eh bien, tant mieux, princesse, répondit la sage-femme sans hâter le pas, et en se frottant les mains de l'air assuré d'une personne qui connaît sa valeur.... Il est inutile que vous sachiez ça, vous autres demoiselles.

—Dites au prince, répondit avec emphase Marie Bogdanovna, que le travail est commencé.

—Cela ne fait rien, princesse, ne vous tourmentez pas, tout ira bien, même sans le docteur.»

—C'est André! se dit la princesse Marie... et les pas se rapprochèrent.... C'est impossible, ce serait trop extraordinaire!...» Au même moment, le prince André, couvert d'une pelisse dont le collet était blanc de neige, se montra sur le palier inférieur.... C'était bien lui, mais pâle, amaigri, changé, avec une expression, inaccoutumée chez lui, de douceur attendrie et inquiète. Il gravit les dernières marches, et embrassa sa sœur, que l'émotion étouffait.

—Bien, dit le prince, en fermant sa porte,» et Tikhone n'entendit plus le moindre bruit dans le cabinet.

—Ah! ma bonne, comme je suis contente.

—Ah! Dieu merci! s'écria la princesse, il faut aller le recevoir: il ne comprend pas le russe.»

«Vous n'avez donc pas reçu ma lettre? lui demanda-t-il en l'embrassant de nouveau, pendant que l'accoucheur, avec lequel il s'était rencontré à la dernière station, montait l'escalier.

«Tu diras: «Le prince demande»... et reviens me dire....

«Princesse, ma petite mère, on arrive sur la route avec des lanternes! dit-elle en refermant la fenêtre,... ce doit être le «doctoure».

«Marie Bogdanovna! C'est commencé, je crois, dit-elle, les yeux agrandis par la terreur.

«Dieu merci! disait cette voix, et mon père?

«Dieu est grand, le «docteur» est inutile!...»

«C'est moi, Machinka, et j'ai apporté, mon ange, les bougies de leur mariage pour les allumer devant les saints, dit-elle en soupirant.

Un violent coup de vent ébranla le châssis de la fenêtre, fit sauter la targette mal assujettie, et un courant d'air humide et glacé passa au travers des rideaux d'étoffe, et éteignit la bougie. La princesse Marie tressaillit. La vieille bonne, posant son tricot sur la table, s'approcha de la fenêtre et se pencha en dehors, pour essayer de ramener le battant.

Un instant après il y rentra, en se donnant à lui-même pour excuse les bougies à remplacer, et il vit le prince étendu sur le canapé. À la vue de son visage défait, il secoua la tête, et s'approchant de son vieux maître, il le baisa à l'épaule, et sortit, en oubliant les bougies et son excuse. Le plus solennel des mystères qui soient en ce monde continuait à s'accomplir. La soirée se passa ainsi, la nuit vint, et ce sentiment d'attente émue, au lieu de s'apaiser, s'accroissait de minute en minute.

La princesse Marie ne lisait plus depuis longtemps son livre de prières, et elle regardait fixement sa bonne, dont la petite figure ratatinée, avec sa mèche de cheveux gris échappée de dessous le mouchoir et sa peau ridée sous le menton, lui était si familière dans ses moindres détails. Tout en tricotant, la vieille Savischna racontait à voix basse, pour la centième fois, comment la princesse-mère était accouchée de la princesse Marie à Kichinew, sans sage-femme, et n'ayant pour tous soins que ceux d'une paysanne moldave:

La princesse Marie courut chercher la sage-femme qu'elle rencontra à mi-chemin.

Jetant un châle sur ses épaules, elle quitta la chambre, et vit en passant par l'antichambre que la voiture était déjà arrêtée devant le perron. Elle s'avança sur le palier de l'escalier. Sur un des piliers de la balustrade on avait placé une chandelle que le vent faisait couler. Un peu plus bas, sur le second palier, le valet de chambre, Philippe, l'air tout effrayé, en tenant une autre à la main. Encore plus bas, au tournant même, de l'escalier, on entendait comme le pas lourd de bottes fourrées, et le timbre d'une voix bien connue frappa l'oreille de la princesse Marie:

Il faisait une de ces nuits du mois de mars où l'hiver semble reprendre son empire, et déchaîne avec une fureur désespérée ses derniers ouragans et ses dernières bourrasques de neige. On avait envoyé un relais de chevaux sur la grand'route pour le docteur allemand, et des hommes munis de lanternes, postés au tournant, devaient le conduire à travers les ornières et les trous du chemin de Lissy-Gory.

Cinq minutes après, la princesse Marie entendit de sa chambre porter un objet très lourd. Elle regarda. C'était un divan en cuir du cabinet du prince André, que les gens transportaient dans la chambre à coucher, et elle remarqua que leur figure était empreinte d'un sentiment inusité de gravité et de douceur. La princesse Marie prêtait l'oreille à tous les bruits de la maison, ouvrait sa porte, regardait, inquiète, ce qui se passait dans le corridor. Quelques femmes allaient et venaient en silence et se détournaient à sa vue. N'osant pas les questionner, elle rentrait dans sa chambre, et tantôt se jetant dans son fauteuil, elle prenait son livre de prières, tantôt s'agenouillant devant les images, elle s'apercevait, avec surprise et chagrin, que la prière était impuissante à calmer son agitation. La porte s'ouvrit tout à coup, et sa vieille bonne, coiffée d'un large mouchoir, se montra sur le seuil. Prascovia Savischna ne venait chez elle que rarement: tel était l'ordre du vieux prince.

Aucun éclat de rire ne retentissait dans l'aile habitée par les filles et les femmes de service. Les domestiques et les laquais se tenaient silencieusement sur le qui-vive dans l'antichambre. Dans les dépendances, personne ne dormait, et des feux et de la lumière y étaient entretenus. Le vieux prince marchait dans son cabinet, en appuyant sur ses talons, et envoyait à tout instant le vieux Tikhone demander à Marie Bogdanovna ce qui en était, lui répétant chaque fois:

—Marie! quelle étrange coïncidence!» Et, ôtant sa pelisse et ses bottes fourrées, il passa chez sa femme.

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