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La guerre et la paix

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XV

Après avoir parcouru la ligne des troupes jusqu'au flanc gauche, le prince André monta à la batterie d'où, au dire de l'officier d'état-major, on découvrait tout le terrain. Il descendit de cheval et s'arrêta au bout de la batterie, au quatrième et dernier canon. L'artilleur de garde voulut lui présenter les armes, mais, au signe de l'officier, il reprit sa marche monotone et régulière. Derrière les bouches à feu se trouvaient les avant-trains, et plus loin, les chevaux attachés au piquet et les feux du bivouac des artilleurs. À gauche, non loin du dernier canon, s'élevait une petite hutte formée de branchages entrelacés, de l'intérieur de laquelle partaient les voix animées de plusieurs officiers.

On apercevait en effet de cette batterie la presque totalité des troupes russes et la plus grande partie de celles de l'ennemi. Sur une colline, juste en face, se dessinait à l'horizon le village de Schöngraben; à droite et à gauche, on distinguait, à trois endroits différents, au milieu de la fumée de leurs feux, les troupes françaises, dont le plus grand nombre était massé dans le village et derrière la montagne. À gauche des maisons, à travers les nuages de fumée, on entrevoyait confusément une masse sombre, qui paraissait être une batterie, mais dont, à l'œil nu, on ne pouvait se rendre compte. Notre flanc droit s'étendait sur une hauteur assez élevée, dominant l'ennemi, et occupée par l'infanterie et par les dragons, qu'on apercevait distinctement sur le bord du plateau. Du centre, où se trouvaient en ce moment la batterie de Tonschine et le prince André, partait un chemin en pente douce, qui remontait directement au ruisseau dont le cours nous séparait de Schöngraben. Sur la gauche, nos troupes occupaient tout l'espace jusqu'aux forêts, dont la lisière était éclairée au loin par les feux qu'y avait allumés notre infanterie. Le développement de la ligne de l'ennemi était plus grand que le nôtre, et il était évident qu'il pouvait nous tourner des deux côtés. Un ravin à pic longeait les derrières de nos positions, et rendait difficile la retraite de la cavalerie et de l'artillerie. Le prince André, appuyé contre un canon, marqua à la hâte, sur une feuille arrachée à son calepin, la position de nos troupes, en y indiquant deux endroits qu'il comptait signaler à l'attention de Bagration, pour lui proposer, d'abord de réunir toute l'artillerie au centre, et en second lieu de faire passer l'infanterie de l'autre côté du ravin. Le prince André, qui avait été, depuis le commencement de la campagne, constamment attaché au général en chef, était habitué à se rendre compte des mouvements des masses et des dispositions générales à prendre. Ayant beaucoup étudié les relations historiques des batailles, il ne saisissait, dans l'engagement qui se préparait, que les traits principaux, et pensait involontairement aux conséquences qu'ils exerceraient sur l'ensemble des opérations. «Si l'ennemi dirige l'attaque sur le flanc droit, se disait-il, les régiments de grenadiers de Kiew et de chasseurs de Podolie devront défendre leurs positions jusqu'au moment d'être renforcés par les réserves du centre, et dans ce cas les dragons peuvent les prendre en travers et les culbuter. Si on attaque le centre, qui est d'ailleurs à couvert de la grande batterie, nous concentrons le flanc gauche sur cette hauteur, et nous nous replions, en nous échelonnant jusqu'au ravin.» Pendant qu'il était absorbé dans ses réflexions, il continuait à entendre, sans prêter toutefois la moindre attention à leurs paroles, les voix des officiers qui étaient dans la hutte. Une d'elles cependant le frappa tout à coup par la sincérité de son accent, et malgré lui il se prit à écouter.

—Voyons, Tonschine, faites-nous part de votre absinthe, dit la voix mâle.

—Qu'on ait peur ou non, reprit une voix plus jeune, cela revient au même, on ne l'évitera pas.

—Oui, mais en attendant on a peur.

—C'est donc le même capitaine qui était sans bottes chez la vivandière, se dit le prince André, en reconnaissant avec plaisir l'organe de celui qui philosophait.

—Ah! vous autres savants, s'écria une troisième voix à l'intonation mâle, vous autres artilleurs, vous n'êtes si sûrs de votre fait que parce que vous traînez toujours à votre suite de l'eau-de-vie et de quoi manger.»

«Oui, et pourtant on a peur, reprit la première voix, on a peur de l'inconnu, voilà! On a beau vous conter que l'âme s'en va au ciel, ne sait-on pas qu'il n'y a pas de ciel, qu'il n'y a qu'une atmosphère?

«Non, mon ami, disait cette voix sympathique, qu'il croyait connaître, je dis que, s'il était possible de savoir ce qui nous attend après la mort, personne de nous n'en aurait peur; c'est ainsi, mon ami!

C'était probablement une plaisanterie de fantassin.

—De l'absinthe, pourquoi pas? répondit Tonschine. Quant à comprendre la vie future...,» il n'acheva pas sa phrase, car au même moment un sifflement fendit l'air, et un boulet, traversant l'espace avec une rapidité vertigineuse, s'enfonça avec fracas dans la terre, qu'il fit rejaillir autour de lui à deux pas de la hutte, le sol trembla sous le coup. Tonschine s'élança hors de la hutte, la pipe à la bouche, sa bonne et intelligente figure un peu pâle; il était suivi de l'officier d'infanterie à la grosse voix, qui boutonna son uniforme, chemin faisant, et qui courut à toutes jambes rejoindre sa compagnie.

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