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La guerre et la paix

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XI

Le prince André, placé sur le passage de l'Empereur, dans le groupe des officiers autrichiens, eut l'honneur d'attirer son regard et de recevoir un salut de sa longue tête. La cérémonie achevée, l'aide de camp de la veille vint poliment transmettre à Bolkonsky le désir de Sa Majesté de lui donner audience. L'empereur François le reçut debout au milieu de son cabinet, et le prince André fut frappé de son embarras: il rougissait à tout propos et semblait ne savoir comment s'exprimer:

«Dites-moi à quel moment a commencé la bataille?» demanda-t-il avec précipitation.

—À sept heures?... c'est bien triste, bien triste!»

—À sept heures, je crois.

—Y a-t-il assez de fourrages à Krems?

—Trêve de plaisanteries, repartit le prince André, le sujet est grave et triste.»

—Trois milles et demi, sire.

—Pas en quantité suffisante.»

—Mais que se passe-t-il donc? demanda le prince André au moment où Bilibine, dont le visage toujours calme trahissait cependant une certaine émotion, venait à sa rencontre.

—Les Français ont-ils quitté la rive gauche?

—Je viens de chez l'archiduc, et je n'y ai rien appris.

—Je ne saurais préciser à Votre Majesté l'heure à laquelle la bataille s'est engagée sur le front des troupes, car à Diernstein, où je me trouvais, la première attaque a eu lieu à six heures du soir,» reprit vivement Bolkonsky.

—Je n'ai rien vu! Mais enfin qu'y a-t-il donc? reprit-il avec impatience.

—Et vous n'avez pas remarqué que chacun fait ses paquets?

—De Diernstein à Krems?

—D'où et jusqu'où, sire?

—D'après les derniers rapports de nos espions, les derniers Français ont traversé la rivière la même nuit sur des radeaux.

—Comment, ici? mais puisque le pont était miné, pourquoi ne l'avoir pas fait sauter?

—Ce qu'il y a? Il y a que les Français ont passé le pont défendu par d'Auersperg, qui ne l'a pas fait sauter, que Murat arrive au grand galop sur la route de Brünn et que, sinon aujourd'hui, du moins demain ils seront ici.

—C'est à vous que je le demande, car personne, pas même Bonaparte, ne le saura jamais!»

—C'est justement là le hic... Écoutez: Les Français occupent Vienne, comme je vous l'ai déjà dit, tout va très bien. Le lendemain, c'est-à-dire hier au soir, messieurs les maréchaux Murat, Lannes et Belliard montent à cheval et vont examiner le pont; remarquez bien, trois Gascons! Messieurs, dit l'un d'eux, vous savez que le pont de Thabor est miné et contre-miné, qu'il est défendu par cette fameuse tête de pont que vous savez, et quinze mille hommes de troupes qui ont reçu l'ordre de le faire sauter pour nous barrer le passage. Mais comme il serait plus qu'agréable à notre Empereur et maître, Napoléon, de s'en emparer, allons-y tous trois et emparons-nous-en. «Allons,» répondirent les autres. Et les voilà qui partent, qui prennent le pont, le franchissent, et toute l'armée à leur suite passe le Danube, se dirigeant sur nous, sur vous et sur vos communications.

—Avouez que c'est charmant cette histoire du pont de Thabor!... Ils l'ont passé sans coup férir!»

—Ah! Excellence! s'écria Franz, nous allons plus loin: le scélérat est de nouveau sur nos talons.

«À quelle heure la bataille a-t-elle commencé?

«À quelle heure a été tué le général Schmidt?

«Qu'est-ce que cela veut dire?

«Prince, on vous trompe et voilà les Français!»

«Mais si le pont est franchi, l'armée est perdue, elle sera coupée!

«Mais d'où venez-vous donc, pour ignorer ce que savent tous les cochers de fiacre?

«Le bataillon français entre dans la tête du pont, encloue les canons, et le pont est à eux! Mais voilà le plus joli, continua-t-il en laissant au plaisir qu'il trouvait à sa narration le soin de calmer son émotion.... Le sergent posté près du canon, au signal duquel on devait mettre le feu à la mine, voyant accourir les Français, était sur le point de tirer, lorsque Lannes lui arrêta le bras. Le sergent, plus fin que son général, s'approcha d'Auersperg et lui dit ceci ou à peu près:

«Je ne plaisante pas, continua Bilibine, rien de plus vrai, rien de plus triste! Ces messieurs arrivent seuls sur le pont et agitent leurs mouchoirs blancs, ils assurent qu'il y a un armistice et qu'eux, maréchaux, vont conférer avec le prince Auersperg; l'officier de garde les laisse entrer dans la tête du pont. Ils lui racontent un tas de gasconnades: que la guerre est finie, que l'empereur François va recevoir Bonaparte, que, quant à eux, ils vont chez le prince Auersperg... et mille autres contes bleus. L'officier envoie chercher Auersperg. Ces messieurs embrassent leurs ennemis, plaisantent avec eux, enfourchent les canons, pendant qu'un bataillon français arrive tout doucement sur le pont et jette à l'eau les sacs de matières inflammables! Enfin paraît le général-lieutenant, notre cher prince Auersperg von Nautern.

«En un mot, ces messieurs, qui n'étaient pas Gascons pour rien, lui jettent tant de poudre aux yeux avec leurs belles phrases, et lui, de son côté, se sent tellement honoré de cette intimité soudaine avec des maréchaux de France, si aveuglé par le manteau et les plumes d'autruche de Murat, qu'il n'y voit que du feu, et oublie celui qu'il devait faire sur l'ennemi!»

«Comment se porte Koutouzow? Quand a-t-il quitté Krems?...» etc....

«Combien de milles?

«Cher ennemi, fleur des guerriers, autrichiens, héros des campagnes de Turquie, trêve à notre inimitié, nous pouvons nous tendre la main, l'empereur Napoléon brûle du désir de connaître le prince Auersperg!»

Murat, craignant de voir l'affaire compromise s'il le laissait continuer, s'adresse de son côté, en vrai Gascon, à d'Auersperg avec une feinte surprise:

Malgré la vivacité de son récit, Bilibine n'oublia pas de s'arrêter pour donner le temps au prince André d'apprécier le mot qu'il venait de lancer.

Là-dessus, l'ayant remercié, il le congédia. Le prince André sortit et se vit aussitôt entouré d'un grand nombre de courtisans; il n'y avait plus pour lui que phrases flatteuses et regards bienveillants, jusqu'à l'aide de camp, qui lui fit des reproches de ne pas s'être logé au palais et lui offrit même sa maison. Le ministre de la guerre le félicita pour la décoration de l'ordre de Marie-Thérèse de 3ème classe que l'Empereur venait de lui conférer; le chambellan de l'Impératrice l'engagea à passer chez Sa Majesté; l'archiduchesse désirait également le voir. Il ne savait à qui répondre et cherchait à rassembler ses idées, lorsque l'ambassadeur de Russie, lui touchant l'épaule, l'entraîna dans l'embrasure d'une fenêtre pour causer avec lui.

Le prince André, qui s'était arrêté en route chez un libraire pour y prendre quelques livres, s'était attardé.

Le prince André, l'ayant satisfait sur ce point, se vit bientôt obligé de répondre à d'autres demandes tout aussi naïves.

Le prince André écoutait sans comprendre.

L'Empereur paraissait n'avoir qu'un but: poser un certain nombre de questions; quant aux réponses, elles ne l'intéressaient guère.

L'Empereur lui coupa la parole, puis lui demanda en souriant:

L'Empereur l'interrompit de nouveau:

Il comptait présenter à l'Empereur une description exacte, qu'il tenait toute prête, de ce qu'il avait vu et appris.

Et cependant, malgré l'ennui qu'aurait dû lui causer cette fâcheuse nouvelle, il éprouvait une certaine satisfaction. Depuis qu'il avait appris la situation désespérée de l'armée russe, il se croyait destiné à la tirer de ce péril: c'était pour lui le Toulon qui allait le faire sortir de la foule obscure de ses camarades et lui ouvrir le chemin de la gloire. Tout en écoutant Bilibine, il se voyait déjà arrivant au camp, donnant son avis au conseil de guerre, et proposant un plan qui pourrait seul sauver l'armée; naturellement on lui en confiait l'exécution.

En dépit des prévisions de Bilibine, la nouvelle qu'il avait apportée avait été reçue avec joie, et un Te Deum avait été commandé. Koutouzow venait d'être nommé grand-croix de Marie-Thérèse, et toute l'armée recevait des récompenses. Grâce aux invitations qui pleuvaient sur lui de tous côtés, le prince André fut obligé de consacrer toute sa matinée à des visites chez les hauts dignitaires autrichiens. Après les avoir terminées, vers cinq heures du soir, il retournait chez Bilibine, et composait, chemin faisant, la lettre qu'il voulait écrire à son père et dans laquelle il lui décrivait sa course à Brünn, lorsque devant le perron il aperçut une britchka plus d'à moitié remplie d'objets emballés, et Franz, le domestique de Bilibine, y introduisant avec effort une nouvelle malle.

Bolkonsky haussa les épaules:

«Je ne reconnais pas la discipline autrichienne tant vantée; comment, vous permettez à un de vos subalternes de vous parler ainsi!».... Quel trait de génie!...

Le prince Auersperg se pique d'honneur et fait mettre le sergent aux arrêts! Avouez que c'est charmant, toute cette histoire du pont de Thabor!

«Ce n'est ni bêtise, ni lâcheté... c'est trahison peut-être! s'écria le prince André, qui se représentait les capotes grises, les blessés, la fumée de la poudre, la canonnade et la gloire qui l'attendait.

—Nullement, cela met la cour dans de trop mauvais draps; ce n'est ni trahison, ni lâcheté, ni bêtise; c'est comme à Ulm: c'est... cherchant une pointe... c'est du Mack, nous sommes Mackés, dit-il en terminant, tout fier d'avoir trouvé un mot, un mot tout neuf, un de ces mots qui seraient répétés partout, et son front se déplissa en signe de satisfaction, pendant qu'il regardait ses ongles, le sourire sur les lèvres.

—Où allez-vous? dit-il au prince André, qui s'était levé.

—Je pars.

—Pour où?

—Pour l'armée!

—Mais vous pensiez rester encore deux jours?

—C'est impossible, je pars à l'instant.»

Et le prince André, ayant donné ses ordres, rentra dans sa chambre.

«Écoutez, mon cher, lui dit Bilibine en l'y rejoignant, pourquoi partez-vous?»

Le prince André l'interrogea du regard, sans lui répondre.

«Mais oui, pourquoi partez-vous? Je sais bien, vous pensez qu'il est de votre devoir de vous rendre à l'armée, maintenant qu'elle est en danger; je vous comprends, c'est de l'héroïsme!

—Pas le moins du monde.

—Oui, vous êtes philosophe, mais soyez-le complètement! Envisagez les choses d'un autre point de vue, et vous verrez que votre devoir est au contraire de vous garder de tout péril. Que ceux qui ne sont bons qu'à cela s'y jettent; on ne vous a pas donné l'ordre de revenir, et ici on ne vous lâchera pas! Ainsi donc, vous pouvez rester et nous suivre là où nous entraînera notre malheureux sort. On va à Olmütz, dit-on; c'est une fort jolie ville: nous pourrons y arriver dans ma calèche fort agréablement.

—Pour Dieu, cessez vos plaisanteries, Bilibine.

—Je vous parle sérieusement et en ami. Jugez-en: pourquoi partez-vous quand vous pouvez rester ici? De deux choses l'une: ou bien la paix sera conclue avant que vous arriviez à l'armée; ou bien il y aura une débâcle, et vous partagerez la honte de l'armée de Koutouzow...»

Et Bilibine déplissa son front, convaincu que son dilemme était irréfutable.

«Je ne puis pas en juger,» répondit froidement le prince André.

Et au fond de son cœur il pensait:

«Je pars pour sauver l'armée!

—Mon cher, vous êtes un héros!» lui cria Bilibine.

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