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La guerre et la paix

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Le lendemain, il se réveilla tard, et, rassemblant ses idées, il se rappela tout d'abord qu'il devait se présenter le jour même à l'empereur François; et toutes les impressions de la veille, l'audience du ministre, la politesse exagérée de l'aide de camp, sa conversation avec Bilibine, traversèrent en foule son cerveau. Ayant endossé, pour se rendre au palais, la grande tenue qu'il n'avait pas portée depuis longtemps, gai et dispos, le bras en écharpe, il entra, en passant, chez son hôte, où se trouvaient déjà quatre jeunes diplomates, entre autres le prince Hippolyte Kouraguine, secrétaire à l'ambassade de Russie, que Bolkonsky connaissait.

Les trois autres, que Bilibine lui nomma, étaient des jeunes gens du monde, élégants, riches, aimant le plaisir, qui formaient ici, comme à Vienne, un cercle à part, dont il était la tête et qu'il appelait «les nôtres». Ce cercle, composé presque exclusivement de diplomates, avait ses intérêts en dehors de la guerre et de la politique. La vie du grand monde, leurs relations avec quelques femmes et leur service de chancellerie occupaient seuls leurs loisirs. Ces messieurs firent au prince André l'honneur très rare de le recevoir avec empressement, comme un des leurs. Par politesse et comme entrée en matière, ils daignèrent lui adresser quelques questions au sujet de l'armée et de la bataille, pour reprendre ensuite leur conversation vive et légère, pleine de gaies saillies et de critiques sans valeur.

—Écoutez, lui dit Bilibine, en le reconduisant dans l'antichambre, vous ferez bien, dans votre entrevue avec l'Empereur, de donner des éloges à l'intendance, pour sa manière de distribuer les vivres et de désigner les étapes.

—Vous ne savez probablement pas, Bolkonsky, reprit Bilibine, que toutes les atrocités commises par l'armée française, j'allais dire par l'armée russe, ne sont rien en comparaison des ravages causés par cet homme parmi nos dames.

—Quand même je le voudrais, je ne le pourrais pas, répondit Bolkonsky.

—Où allez-vous donc?

—Oui, il faudra inspirer à ce sanguinaire soldat des sentiments plus humains, ajouta Bilibine.

—Oh! oh! Alors au revoir, Bolkonsky!

—Oh! Don Juan! oh! serpent! dirent plusieurs voix.

—La femme est la compagne de l'homme,» dit le prince Hippolyte, en regardant ses pieds à travers son monocle.

—Je me rends chez l'Empereur.

—Il me sera difficile, messieurs, de profiter de vos aimables dispositions à mon égard, objecta Bolkonsky, en regardant à sa montre, car il est temps que je sorte.

—Il faudra lui montrer la ravissante Amélie, s'écria un «des nôtres», en baisant le bout de ses doigts.

—Et moi, messieurs, je vous dénonce Kouraguine, le terrible Don Juan, qui profite du malheur d'autrui.»

—Au revoir, prince; revenez dîner avec nous, nous nous chargerons de vous.

«Voyons, parlez-moi de cela, dit-il en riant.

«Voyons, messieurs, dit Bilibine, Bolkonsky est mon hôte et je tiens, autant qu'il est en mon pouvoir, à le faire jouir de tous les plaisirs de Brünn. Si nous étions à Vienne, ce serait bien plus facile, mais ici, dans ce vilain trou morave, je vous demande votre aide: il faut lui faire les honneurs de Brünn. Chargez-vous du théâtre, je me charge de la société. Quant à vous, Hippolyte, la question du beau sexe vous regarde.

«Le cabinet de Berlin ne peut pas exprimer un sentiment d'alliance, commença Hippolyte en regardant son auditoire avec assurance, sans exprimer... comme dans sa dernière note... vous comprenez... vous comprenez.... Puis, si S. M. l'Empereur ne déroge pas aux principes, notre alliance... attendez, je n'ai pas fini...»

«Je suppose que l'intervention sera plus forte que la non-intervention et... on ne pourra pas imputer à fin de non-recevoir notre dépêche du 28 novembre; voilà comment tout cela finira...»

«Il faut que je vous fasse les honneurs de Kouraguine, dit Bilibine tout bas; il est charmant dans ses dissertations politiques; vous allez voir avec quelle importance...»

«Et voici le bouquet! dit l'un d'eux qui racontait la déconvenue d'un collègue: le chancelier lui assure à lui-même que sa nomination à Londres est un avancement, qu'il doit la considérer comme telle: vous représentez-vous sa figure à ces mots?

«Démosthène, je te reconnais au caillou que tu as caché dans ta bouche d'or,» s'écria Bilibine, qui, pour mieux témoigner sa satisfaction, semblait avoir fait descendre sur son front toute sa forêt de cheveux.

Le prince Hippolyte était étalé dans un fauteuil à la Voltaire, les jambes jetées négligemment par-dessus les bras du fauteuil:

Hippolyte, riant plus fort et plus haut que les autres, avait pourtant l'air de souffrir de ce rire forcé qui tordait en tous sens sa figure habituellement apathique.

Et saisissant la main du prince André:

Et s'approchant d'Hippolyte, le front plissé, il entama sur les événements du jour une discussion qui attira aussitôt l'attention générale.

Et il lâcha la main du prince André.

Bilibine et «les nôtres» éclatèrent de rire, et le prince André put constater que cet Hippolyte dont il avait été, il faut l'avouer, presque jaloux, était le plastron de cette société.

—Eh bien! parlez pour deux, car il a la passion des audiences sans jamais trouver un mot à dire, comme vous le verrez.»

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