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La guerre et la paix

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XII

De toute cette jeunesse il ne restait plus que Nicolas et Sonia, la demoiselle étrangère et la fille aînée de la comtesse, de quatre ans plus âgée que Natacha et qui comptait déjà au nombre des grandes personnes.

Sonia était une petite brune mignonne, avec des yeux doux, ombragés de longs cils. Le ton olivâtre de son visage s'accusait encore plus sur la nuque et sur ses mains fines et gracieuses, et une épaisse natte de cheveux noirs s'enroulait deux fois autour de sa tête. L'harmonie de ses mouvements, la mollesse et la souplesse de ses membres grêles, ses manières un peu réservées la faisaient comparer à un joli petit minet prêt à se métamorphoser en une délicieuse jeune chatte. Elle essayait par un sourire de prendre part à la conversation générale, mais ses yeux, sous leurs cils longs et soyeux, se portaient involontairement sur le cousin qui allait partir pour l'armée: ils exprimaient si visiblement ce sentiment d'adoration particulier aux jeunes filles, que son sourire ne pouvait tromper personne; il était évident que le petit minet ne s'était pelotonné que pour un instant, et qu'une fois hors du salon, à l'exemple de Boris et de Natacha, il sauterait et gambaderait de plus belle avec ce cher petit cousin.

—Vous avez parfaitement raison; j'ai été, Dieu merci, l'amie de mes enfants, et ils me donnent jusqu'à présent toute leur confiance,—répondit la comtesse; elle nourrissait à cet égard les illusions de beaucoup de parents qui s'imaginent connaître les secrets de leurs enfants.—Je sais que mes filles n'auront rien de caché pour moi, et que si Nicolas fait des folies,—un garçon y est toujours plus ou moins obligé,—il ne se conduira pas comme ces messieurs de Pétersbourg.

—Tout dépend de l'éducation!

—Savez-vous qu'elle est déjà amoureuse de Boris! Qu'en pensez-vous?» dit la comtesse en souriant et en échangeant un regard avec son amie la princesse A. Mikhaïlovna.

—Quelle charmante petite créature que votre cadette, un véritable vif-argent.

—Oui, elle me ressemble, reprit naïvement le père, et quelle voix! Bien qu'elle soit ma fille, je suis forcé d'être juste; ce sera une véritable cantatrice, une seconde Salomoni! Nous avons pris un Italien pour lui donner des leçons.

—On le dit depuis longtemps, on le redira encore, et puis on n'en parlera plus.... Oui, ma chère, voilà de l'amitié, ou je ne m'y connais pas.... Il entre aux hussards!»

—N'est-ce pas trop tôt? À son âge, cela peut lui gâter la voix.

—Mais pourquoi donc serait-ce trop tôt? Nos mères se mariaient bien à douze ou treize ans.

—Mais la guerre est déclarée, dit-on?

—Je vous ai déjà déclaré, papa, que si vous me défendiez de partir, je resterais. Mais je ne puis être que militaire, je le sais très bien, car, pour devenir diplomate ou fonctionnaire civil, il faut savoir cacher ses sentiments, et je ne le sais pas,» continua-t-il en regardant ces demoiselles avec toute la coquetterie de son âge.

—Il faut avouer, reprit le comte, que la comtesse a voulu atteindre l'impossible avec Véra; mais, après tout, elle a réussi, et parfaitement réussi,» ajouta-t-il, en lançant à sa fille un coup d'œil approbateur.

—Ce sont de bons enfants,—dit le comte, dont le grand moyen pour trancher les questions compliquées était de trouver tout parfait.—Que faire? il a voulu être hussard.... Que voulez-vous, ma chère?

—Ah! c'est bien vrai, j'ai été élevée tout autrement,» dit la jeune comtesse Véra en souriant.

«Si je la tenais sévèrement, si je lui défendais de le voir, Dieu sait ce qu'il en adviendrait (elle voulait dire sans doute par là qu'ils s'embrasseraient en cachette): tandis que maintenant je sais tout ce qu'ils se disent; elle vient elle-même me le conter tous les soirs. Je la gâte, c'est possible, mais cela vaut mieux, croyez-moi.... Quant à ma fille aînée, elle a été élevée très sévèrement.

«Que de soucis, que de souffrances avant de pouvoir en jouir!... et maintenant je tremble plus que je ne me réjouis. J'ai peur, toujours peur! C'est justement l'âge le plus dangereux pour les filles comme pour les garçons.

«Oui, ma chère, disait le vieux comte en montrant Nicolas, son ami Boris a été nommé officier et il veut le suivre par amitié pour lui, me quitter, laisser là l'université et se faire militaire.... Et dire, ma chère, que sa place aux Archives était toute prête! C'est ce que j'appelle de l'amitié!

«On tâche toujours de mieux réussir avec les aînés et d'en faire quelque chose d'extraordinaire, dit Mme Karaguine.

«Nous avons aujourd'hui à dîner le colonel du régiment de Pavlograd; il est ici en congé et il l'emmènera. Que faire? dit le comte en haussant les épaules et en s'efforçant de parler gaiement d'un sujet qui lui avait causé beaucoup de chagrin.

«Les secrets de cette jeunesse sont cousus de fil blanc,» dit la princesse Droubetzkoï en le suivant des yeux... «cousinage, dangereux voisinage« «Oui,» reprit la comtesse, après l'éclipse de ce rayon de soleil et de vie apporté par toute cette jeunesse....

«Je regrette, lui dit-elle, que vous n'ayez pas été jeudi chez les Argharow. Je me suis ennuyée sans vous,» murmura-t-elle tendrement.

«Ce n'est pas du tout par amitié!» s'écria Nicolas, qui devint pourpre et eut l'air de s'en défendre comme d'une action honteuse.

«C'est bon, c'est bon, dit le comte; il s'enflamme tout de suite. Bonaparte leur a tourné la cervelle à tous, et tous cherchent à savoir comment de simple lieutenant il est devenu Empereur. Après tout, je leur souhaite bonne chance,» ajouta-t-il sans remarquer le sourire moqueur de Mme Karaguine.

Toute la vivacité de Nicolas disparut comme par enchantement, et, profitant du premier moment favorable, il s'éloigna à sa recherche, la figure bouleversée.

On se mit à parler de Napoléon, et Julie, c'était le nom de Mlle Karaguine, s'adressant au jeune Rostow:

Mme Karaguine, ne sachant que répondre, hocha la tête.

Mme Karaguine se décida enfin à faire ses adieux, en promettant de revenir dîner.

Mais par malheur son sourire ne l'embellissait pas, car, au contraire de ce qui a lieu d'habitude, il donnait à sa figure une expression désagréable et affectée. Cependant elle était plutôt belle, assez intelligente, instruite, elle avait la voix agréable, et ce qu'elle venait de dire était parfaitement juste; pourtant, chose étrange, tous se regardèrent, étonnés et embarrassés.

Le jeune homme, très flatté, se rapprocha d'elle, et il s'ensuivit un aparté plein de coquetterie, qui lui fit oublier la jalousie de Sonia, tandis que la pauvre petite, toute rouge et toute frémissante, s'efforçait de sourire. Au milieu de l'entretien il se tourna vers elle, et Sonia, lui répondant par un regard à la fois passionné et irrité, quitta la chambre, ayant beaucoup de peine à retenir ses larmes.

La petite chatte, les yeux attachés sur les siens, semblait guetter la minute favorable pour recommencer ses agaceries et donner un libre cours à sa nature féline.

Il jeta un coup d'œil sur sa cousine et sur Mlle Karaguine, qui semblaient toutes deux l'approuver.

Et répondant elle-même à une question que personne ne lui avait adressée, mais qui la préoccupait constamment:

Et comme si elle répondait ensuite à ses propres pensées, elle ajouta:

«Quelle sotte! s'écria la comtesse après l'avoir reconduite, je croyais qu'elle ne s'en irait jamais!»

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